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La responsabilité de l’employeur au temps du coronavirus

16 septembre 2020 | Derriennic Associés |

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La crise sanitaire a profondément bouleversé le droit social, exposant aujourd’hui l’entreprise sur deux terrains.

En premier lieu, les entreprises ont dû et doivent encore adapter leur réflexe de prévention afin de préserver leur salarié de toute exposition directe au virus.

En second lieu, elles doivent également veiller à ce que les droits des salariés, nécessairement impactés dans ce contexte, n’engendrent pas de nouveaux risques, notamment psychosociaux.

Le cabinet propose d’évoquer aujourd’hui ces deux points de vigilance que sont le risque d’atteinte directe et indirecte à la santé des salariés.

L’atteinte directe à la santé du salarié : faire face à la covid-19

L’obligation de sécurité impose à l’employeur, non de garantir l’absence de toute exposition à un risque, mais de prendre toutes les mesures de prévention et de sécurité possibles afin d’éviter la réalisation de ce risque (Cass. Soc., 22 oct. 2015, n°14-20173).

L’employeur est en particulier tenu à trois séries de prescriptions : évaluer et prévenir les risques, informer et former les salariés, et mettre en place une organisation et des moyens adaptés (C. Trav., art. L.4121-1).

  • l’évaluation des risques professionnels : la mise à jour du DUER

L’employeur doit élaborer et mettre à jour dans un document unique l’ensemble des risques susceptibles d’impacter la santé et la sécurité de ses salariés (C. Trav., art. R.4121-1).

Cette mise à jour s’impose notamment lorsqu’une information supplémentaire intéressant l’évaluation d’un risque dans une unité de travail est recueillie, ce qui est manifestement le cas de la survenance de la covid-19 (C. Trav., art. R.4121-2).

Trois étapes doivent être menées dans l’actualisation du DUER :

  • identifier les risques liés à la transmission du virus au regard du fonctionnement spécifique de l’entreprise (réception de clientèle ? de personnes particulièrement susceptibles d’être infectées ? aération suffisante ? etc.) ;
  • décliner les risques identifiés pour chaque poste ou unité de travail.

En effet, au-delà de la promiscuité avec les collègues de travail, chaque mission peut présenter différents facteurs de propagation plus ou moins importante du virus. Les DUER mettent généralement en avant un barème d’exposition aux risques.

  • faire correspondre pour chaque risque des mesures organisationnelles et techniques.

Il s’agit, autrement dit, d’apporter, au besoin avec l’aide du médecin du travail, une réponse adaptée afin de préserver au mieux la santé des salariés.

La mise à jour du DUER ne consiste pas en une formalité administrative et théorique. Par ordonnance du 9 avril 2020, le Tribunal judiciaire de Paris a condamné La Poste à procéder immédiatement à la mise à jour de son DUER, en dépit de mesures de prévention déjà mises en place. Outre des dommages-intérêts, le Tribunal lui enjoint ainsi de faire figurer dans son document unique :

  • le recensement de l’ensemble des activités postales essentielles et non essentielles à la vie de la Nation ;
  • les conditions d’exercice des activités au vu des circonstances actuelles ;
  • les incidences de l’arrivée des nouveaux agents dont des intérimaires et des salariés en CDD ;
  • les mesures prises en cas d’infections signalées, suspectes ou avérées ;
  • les risques psychosociaux résultant de l’épidémie.

Bien que la question de la consultation préalable du CSE sur le DUER ait été discutée devant les juges (pour une consultation imposée : CA Vers. 24 avr. 2020, n°20/01993 ; pour une position contraire : TJ Aix-en-Provence, 30 avr. 2020 ; TJ Havre 7 mai 2020 ; TJ Paris, 9 avr. 2020 ; TJ Lyon, 22 juin 2020), nous ne pouvons aujourd’hui que recommander non seulement d’associer le CSE (et sa CSSCT) à l’évaluation des risques mais encore de le consulter préalablement.

Une telle prudence évitera l’amorce d’un contentieux et démontrera en tout état de cause la bonne foi de l’employeur à faire primer le dialogue social.

Le dernier protocole, en date du 31 août 2020, appelle d’ailleurs l’entreprise à associer les représentants du personnel et les représentants syndicaux à sa démarche de prévention des risques.

Une fois mis à jour, le document unique devra être tenu à la disposition des salariés, du médecin du travail et de l’inspection du travail. Compte tenu du contexte, une campagne d’information par mailing pourrait être envisagée, en sus de l’affichage habituel.

  • l’information et la formation

L’employeur doit également veiller à assurer à l’ensemble des travailleurs une information récurrente et précise sur les nouvelles règles de prévention.

L’entreprise ne peut ainsi se reposer sur le relais du CSE ou des syndicats mais doit réaliser, d’elle-même, une campagne d’informations (affichage, courriels, etc.).

A ce titre et au-delà du DUER, le dernier protocole impose désormais à l’entreprise de diffuser, par une note de service, les mesures de protection qu’elle choisit de mettre en œuvre.

Le question-réponse du ministère du travail, publié le 7 septembre dernier, ajoute que cette note de service doit être présentée au CSE et être annexée au règlement intérieur.

L’employeur doit en outre dispenser des formations qui ne doivent pas seulement rester théoriques. Le juge des référés peut, s’il constate qu’elle n’est que théorique, contraindre l’employeur à dispenser une formation pratique sur les moyens d’éviter la propagation du virus (TJ Le Havre, 7 mai 2020).

Ces mesures doivent, naturellement, figurer dans le DUER.

  • les mesures adaptées pour y faire face

Enfin, au-delà de l’information et des formations, le DUER doit encore présenter des mesures protocolaires concrètes pour éviter tout risque.

Les pouvoirs publics ont fourni en ce sens plusieurs recommandations utiles.

En premier lieu et bien qu’il ne soit plus la règle imposée mais seulement une voie « privilégiée » depuis le protocole de dé-confinement du 24 juin dernier, le télétravail reste une mesure particulièrement efficace.

En deuxième lieu, les derniers protocoles ainsi que les documentations propres à chaque activité professionnelle (90 guides métiers) offrent encore de nombreuses pistes pour réagir efficacement face au virus :

  • désignation obligatoire d’un « référent covid » dans l’entreprise (pouvant être le dirigeant dans les entreprises de petite taille) ;
  • rappel des gestes barrière : distanciation physique (espacement des bureaux d’au moins un mètre de toute autre personne, gestion des flux de circulation, jauger le nombre de personnes maximal dans un espace clos) et mesures d’hygiène (lavage des mains, désinfection des locaux, écran de protection, aération régulière) ;
  • attention particulière à donner aux travailleurs détachés, saisonniers, intérimaires pour qu’ils disposent du même degré de protection que les salariés de l’entreprise ainsi que ceux à risque de forme grave de covid-19 pour qu’ils aient un accès privilégié au télétravail ou un aménagement de poste spécifique ;
  • port obligatoire du masque dans les lieux collectifs clos, en sus de la distanciation physique. A ce titre, une note interministérielle du 23 juillet 2020 recommandait déjà aux employeurs de se munir d’un stock préventif de masques (en textile lavable à filtration garantie ou de type chirurgical conforme aux normes européennes) pour 10 semaines afin de faire face à une résurgence potentielle de l’épidémie.

Le dernier protocole impose désormais le porte du masque grand public (répondant aux spécifications de norme AFNOR S76-001) avec toutefois des aménagements possibles, en fonction du département où se situe l’établissement, les contraintes s’accroissant selon qu’on se situe en zone verte ou rouge ;

  • procédure spécifique en cas de personnes présentant des symptômes : isolement et invitation à ne pas se rendre sur le lieu de travail et à faire un dépistage, contacter le médecin du travail, évaluer les risques de contamination sur le lieu de travail.

Là encore, il est recommandé aux entreprises de consulter les annexes du protocole national du 31 août, lesquelles fournissent plusieurs exemples de bonnes pratiques leur permettant de satisfaire à l’obligation de sécurité.

Les entreprises peuvent également mettre à la disposition des salariés un contrôle de température sans toutefois pouvoir l’imposer.

  • éviter la qualification de risque biologique ?

La directive 90/219/CEE du 26 novembre 1990, transposée aux articles R. 4421-1 et suivants du code du travail, instaure, en présence de risques biologiques, des obligations de prévention renforcées comme la limitation au niveau le plus bas du nombre de travailleurs exposés ou susceptibles de l’être, une surveillance médicale renforcée, la définition de processus de travail et de mesures de contrôle technique ou de confinement visant à éviter ou à minimiser le risque, etc.

Toutefois, beaucoup de ces dispositions ne s’appliquent pas dès lors que l’activité, bien qu’elle puisse conduire à exposer des travailleurs, n’implique pas normalement l’utilisation délibérée d’un agent biologique et que l’évaluation des risques ne met pas en évidence de risque spécifique (C. Trav., art. R.4421-1).

Alors qu’aucune nomenclature n’est légalement imposée, plusieurs documents uniques classent pourtant la covid-19 dans la catégorie des risques biologiques. Mais est-ce la bonne chose à faire ?

Aux termes de plusieurs décisions récentes rendues en référé, les tribunaux ont retenu que le coronavirus pouvait relever dans certaines hypothèses de la règlementation sur les risques biologiques.

Dans deux affaires engagées à l’initiative de l’inspection du travail, le juge relevait que l’activité en cause (pour l’une, l’aide à domicile, pour l’autre, activité d’hypermarché) n’impliquait pas l’utilisation délibérée d’un agent biologique.

En revanche, le juge relevait que le DUER identifiait la covid-19 comme un risque biologique, de sorte que l’employeur était alors tenu d’appliquer les règles spécifiques quant à la prévention de tels risques (TJ Lille, 3 avr. 2020, n°20/00380 ; TJ Lille, 14 avr. 2020, n°20/00386).

Certaines de ces décisions sont critiquables en ce sens qu’elles détournent la réglementation sur les risques biologiques de sa finalité première. En effet, celle-ci n’a pas été conçue pour la crise actuelle où la menace provient, non pas d’agents biologiques utilisés ou générés par l’entreprise elle-même, mais de l’extérieur où le risque n’est pas spécifique mais généralisé. Son application ne paraît donc pas adaptée ici.

Certaines juridictions l’écartent d’ailleurs comme le Tribunal du Havre ayant relevé que « le travail des salariés de l’usine RENAULT consiste en la fabrication de la carrosserie et le montage du véhicule, ils ne sont donc pas en contact prolongé avec des personnes potentiellement atteintes du virus du covid-19. En conséquence, ils ne peuvent donc pas être considérés comme des travailleurs exposés à des risques biologiques » (TJ  Le Havre, 7 mai 2020).

Il en résulte que, sauf activité particulièrement exposée (personnel soignant, laboratoires, etc.), les documents uniques ne devraient pas, selon nous, identifier la covid-19 comme risque biologique, sans quoi l’employeur se placerait de lui-même sur un terrain dont il sera ensuite tenu de suivre les prescriptions spécifiques.

L’atteinte indirecte à la santé : anticiper les effets pervers de la crise

Toutes les décisions rendues en référé en lien avec le coronavirus mettent en évidence l’importance d’inclure, dans le DUER, l’évaluation des risques psychosociaux (RPS).

Or, ces RPS peuvent survenir dans plusieurs hypothèses. Si on pense naturellement à l’angoisse d’être contaminé (ou de contaminer ses proches) par la Covid-19, les RPS découlant du détournement des congés ou encore de ses données personnelles s’avèrent plus flous dans l’esprit des DRH.

Il y a donc lieu d’identifier avec prudence toute conséquence accidentelle mais néanmoins anxiogène pour le salarié.

  • le respect du droit au repos et aux congés

Sujet évoqué à plusieurs reprises au début de la crise, les jours de repos ainsi que les jours de congé acquis par les salariés ont pu être la cible de plusieurs entreprises.

Or, le salarié qui se voit imposer la prise de repos ou de congés pourrait faire valoir, outre une exécution déloyale du contrat de travail, que cette situation a fait naître une angoisse particulière résultant de la contrainte de se retrouver injustement confiné durant ses congés.

Pour rappel, le harcèlement moral, qui peut être caractérisé en présence de méthodes de gestion anormales, se réfère à une dégradation des conditions de travail susceptible de porter notamment atteinte aux droits du salarié (C. Trav., art. L.1152-1).

Il est donc primordial que l’entreprise s’assure d’avoir respecté les règles afférentes aux congés et aux repos, dont on sait que les manquements impactent la santé des salariés (comme nous l’a appris la jurisprudence relative aux forfaits annuels en jours).

A ce titre et en principe, l’employeur ne peut imposer au salarié la prise de jours de congés mais peut seulement, si des jours ont déjà été posés, en modifier les dates en raison des circonstances exceptionnelles tenant à la crise (C. Trav., art. L.3141-16).

Au regard du contexte particulier, l’ordonnance 2020-323 du 25 mars 2020 est venue permettre à l’employeur d’imposer, sous réserve qu’un accord d’entreprise ou de branche l’y autorise, la prise de 6 jours de congés et de 10 jours de repos.

Il s’agit toutefois là d’exceptions qui restent d’interprétation stricte.

Ainsi, une entreprise ne peut, même en raison de la crise sanitaire, revenir sur les dispositions d’un accord collectif en étendant unilatéralement, sous couvert de son pouvoir de direction, la période de prise obligatoire des congés (TJ Lyon, 9 juil. 2020, n°20/00838).

  • le respect de la vie privée et des données personnelles du salarié

Il n’est pas contestable que l’éventuelle violation de la vie privée ou encore la diffusion de données personnelles causerait au salarié un important préjudice susceptible de caractériser un harcèlement moral.

Le premier risque concerne les données relatives à l’état de santé du salarié.

Que ce dernier soit potentiellement diagnostiqué porteur du virus ou qu’il soit considéré comme personne vulnérable en raison d’une ALD, ces informations hautement personnelles ont été nécessairement portées à la connaissance de l’employeur.

En effet, bien que l’employeur ne puisse imposer de tests de dépistage à l’entrée des locaux, le salarié est tenu, en raison de son obligation de sécurité à l’égard de ses collègues de travail, d’avertir son employeur dès lors qu’il présente des symptômes. Il en est de même de l’état de santé des salariés faisant partie des personnes à risques, afin que celles-ci bénéficient d’un placement en activité partielle ou d’un télétravail le cas échéant.

S’agissant de la diffusion de l’information, la Cour de cassation a jugé que l’employeur était en droit de refuser de transmettre au CSE des informations relatives à l’état de santé nominatif de salariés, relevant que « les informations divulguées, relatives à l’état de santé des intéressés, relèvent de la vie privée et que le comité d’établissement, chargé d’assister les dirigeants de l’entreprise dans leur décision, n’est pas une autorité publique » (Cass. Civ. 2ème, 10 juin 2004, n°02-12926).

Si l’information nominative doit donc demeurer entre les mains de l’employeur, ce dernier pourrait néanmoins alerter le CSE ou encore les collègues potentiellement en contact d’un risque de contamination et les inviter à prendre les mesures de dépistage nécessaires.

Le confinement et, avec lui, le télétravail ont pu entraîner pour le salarié d’importantes difficultés à concilier vie professionnelle et vie personnelle.

La période témoigne même d’une recrudescence de violences conjugales, au point que le décret n°2020-683 du 4 juin 2020 est venu ainsi instaurer un nouveau cas de déblocage anticipé de la participation et du PEE : lorsque le salarié est victime de telles violences commises par son actuel ou ancien conjoint (C. trav. art. R 3324-22).

Nul doute que cette information sensible, qui devra nécessairement rester confidentielle, sera susceptible là encore de générer pour le salarié concerné un stress particulier.

Il n’est donc pas exclu d’envisager, au sein du DUER, une procédure interne particulière afin de garantir aux salariés le cloisonnement de ses données.

Enfin, le télétravail a vu se développer la pratique des visio-conférences permettant, de facto et par l’intermédiaire de la caméra, un aperçu du domicile du salarié.

Il se pourrait que celui-ci refuse que son employeur ou ses collègues de travail accèdent ainsi à la vue de son domicile. Ce refus, juridiquement légitime, ne pourra donc donner lieu à sanction.

  • Les effets insidieux du télétravail : des RPS aux addictions ou éviter de tomber de charybde en scylla

Durant le confinement, les pouvoirs publics ont imposé le télétravail à toutes les entreprises, dès lors que l’activité et l’emploi le permettaient. Il reste aujourd’hui la voie privilégiée afin de lutter contre la transmission du virus et beaucoup d’entreprises se tournent vers la pérennisation de ce mode d’organisation du travail.

Or, de nombreuses études ont montré qu’une durée de confinement de plus de 10 jours est prédictive de syndromes post-traumatiques.

Certes, confinement et télétravail n’auront plus lieu de se confondre en dehors de la crise sanitaire. Pour autant, il faudra veiller à ce que le télétravail, s’il est généralisé, ne conduise pas aux mêmes dérives sur le long terme.

Le télétravail, a fortiori prolongé, a pu ainsi exposer les salariés à plusieurs titres : une surcharge de travail, l’ennui (cf. le bore-out reconnu comme harcèlement moral : CA Paris 2 juin 2020, n°18/05421), l’inquiétude ou le stress sont autant de facteurs qui en tant que tels sont source de mal-être mais peuvent, de surcroît, favoriser les conduites addictives.

Les médecins ont souligné en effet que les RPS précités pouvaient pousser à la consommation de substances psychoactives comme l’alcool, le tabac, les drogues ou encore accentuer des dépendances comportementales aux outils numériques, au travail, au jeu, etc.

La question mérite donc d’être soulignée dans toute son ampleur et non seulement réduite au « stress » simple, ce d’autant que tout accident survenu au domicile du salarié en télétravail sera considéré comme accident du travail.

Il serait donc bon que l’entreprise, en concertation avec son service de santé au travail, identifie non seulement les « primo-RPS » induits par le télétravail mais encore les potentielles addictions afin de mettre en place des solutions préventives.

En ce sens, le DUER devra, après avoir identifié chacun des RPS précités, prévoir une politique de prévention adéquate en :

  • rappelant le cadre du travail : prévoir les règles permettant de distinguer activité professionnelle et sphère privée (plages horaires de contact ; droit à la déconnexion ; contrôle de la durée du travail ; espace dédié au télétravail…) ;
  • échangeant avec les salariés : prévoir des réunions, questionnaires ou workshop dédiés à la question et aux axes d’amélioration ;
  • conservant le lien : éviter l’isolement en mettant en place des points réguliers ;
  • prévoyant un entretien dès lors que des signes de bascule apparaissent (retards répétés, erreurs fréquentes, fatigue ou irritabilité ou, à l’inverse, surinvestissement) ;
  • donnant des clés de dialogue aux managers afin de ne pas stigmatiser les salariés : ne pas vouloir leur extirper des aveux, ne pas recourir directement à la sanction, souligner les changements sans être réprobateur ;
  • mettant à disposition des outils « neutres » pour les salariés les plus vulnérables : cellule de crise ou de soutien (composée d’un membre de la CSSCT et du médecin du travail par exemple), permanence téléphonique (ligne verte dédiée et anonyme), etc.

Ainsi, qu’il s’agisse des facteurs d’exposition au coronavirus ou des RPS en découlant, l’entreprise devra procéder à un travail approfondi d’analyse des risques et de mise en place de mesures adéquates afin d’y faire face.

A défaut, sa responsabilité pourra être engagée, sur différents terrains.

L’éventuelle responsabilité de l’employeur :

La responsabilité de l’employeur peut être engagée par plusieurs personnes, sur la base de différents fondements.

  • Le contentieux prud’homal

L’obligation de sécurité prenant source dans le contrat de travail, c’est le salarié qui pourra agir au premier plan contre l’employeur, en saisissant le Conseil de prud’hommes.

Celui-ci pourra agir préventivement en usant de son droit de retrait, lequel suppose un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé (C. trav., art. L. 4131-1).

Si ce retrait apparaît injustifié, l’entreprise effectuera une retenue sur salaire au titre d’une absence injustifiée, ce qui fera sans doute naître un contentieux.

Indépendamment du droit de retrait, le salarié pourra agir sur le terrain de l’obligation de sécurité afin d’obtenir des dommages-intérêts voire, si le manquement était suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat, des indemnités de rupture au titre de la prise d’acte qui aura été notifiée.

Rappelons à ce titre que le manquement à l’obligation, outre l’absence de mise en place de mesures de sécurité adéquates, peut être caractérisé par l’absence de mise à jour du document unique (Cass. soc., 8 juil. 2014, n°13-15470).

Quid enfin du préjudice d’anxiété ? La Cour de cassation a récemment reconnu la possibilité d’être indemnisé pour « tout salarié qui justifie d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’une telle exposition » (Cass. soc., 11 sept. 2019, n°17-24879). La Covid-19 ne nous semble pas pouvoir donner lieu à un tel préjudice. En raison de son délai d’incubation de 14 jours, cette période apparaît en effet, selon nous, objectivement trop courte pour laisser place à l’invocation d’un préjudice d’anxiété.

  • Le contentieux en faute inexcusable

Dans l’hypothèse où le salarié parviendrait à faire reconnaître par la CPAM sa contamination sur le lieu de travail en tant qu’accident du travail, le risque consiste encore dans l’éventualité d’une action en faute inexcusable, engagée dorénavant devant le Pôle social du Tribunal judicaire.

Compte tenu des difficultés probatoires à établir, pour le salarié, la certitude de sa contamination par/via le travail, il est fort à parier que l’Assurance maladie ne donnera que peu de suites aux demandes d’accident du travail (à l’exception du personnel soignant pour lequel les pouvoirs publics ont indiqué que la Covid-19 serait reconnue comme maladie professionnelle).

Notons toutefois que malgré un lien de causalité incertain, l’employeur est néanmoins tenu, lorsque le salarié lui fait état d’un accident du travail, de déclarer celui-ci en tant que tel, même en cas de désaccord (CSS, art. L.441-2). Il aura en revanche tout intérêt à formuler des réserves, en soulignant par exemple que la contamination n’est reliée à aucun fait précis ou qu’aucun de ses collègues ne présente de symptômes et que sa contamination a une origine extra-professionnelle.

A supposer que le caractère professionnel de l’accident soit établi, le salarié devra ensuite démontrer que l’entreprise n’avait pas pris les mesures nécessaires pour le préserver du danger. Autrement dit, il s’agira d’établir le non-respect des préconisations sanitaires du Gouvernement.

  • Le contentieux pénal

Après que plusieurs plaintes ont été récemment déposées puis classées sans suite à l’encontre de sociétés comme Amazon ou Carrefour, se posent la question de la poursuite de l’employeur au plan pénal.

Le délit de mise en danger de la vie d’autrui suppose l’existence d’une obligation légale ou règlementaire particulière de prudence ou de sécurité ; le caractère immédiat du risque de mort ou de blessure créé et, enfin, un manquement manifestement délibéré à l’obligation de sécurité (C. Pén., art. 223-1 ; Cass. Crim, 13 nov. 2019, n°18-82718).

Dans le cas du coronavirus, la réunion de ces conditions semble difficile à établir. L’obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée ne se retrouve ni dans le code du travail ni dans les décrets parus durant la crise, ces textes faisant seulement état d’obligations très générales sur les mesures à mettre en œuvre. Quant aux protocoles de dé-confinement, questions-réponses et autres fiches du ministère du travail, ces documents n’ont aucune portée normative. Enfin, l’infraction suppose d’établir un lien de causalité entre la supposée violation de l’obligation avec un risque immédiat de mort. Le SARS-Cov-2 étant potentiellement présent en tous lieux, ce lien de causalité sera plus que délicat à démontrer.

Le délit général d’inobservation de textes réglementaires par l’employeur pourrait également être mis en avant (C. Trav., art. L.4741-1). En cas de primo-infraction, la peine d’amende s’élève à 10.000 €, applicable autant de fois qu’il y a de travailleurs concernés.

Bien que le risque pénal puisse être présent, celui-ci doit, à notre sens, être considéré également à la lumière de cette crise, sans précédent, en raison de laquelle les poursuites ne seront pas nécessairement automatiques. Celles-ci dépendront de la politique pénale appliquée par les Procureurs de la République, étant en outre rappelé que la répression pénale peut laisser place à des mesures alternatives aux poursuites (rappel à la loi, composition pénale, etc.).

  • Le contentieux collectif au Tribunal judiciaire

Enfin et non des moindres, l’action judiciaire peut encore être menée par le CSE, les organisations syndicales ou l’inspection du travail.

Le CSE ainsi que les organisations syndicales ont qualité pour saisir le juge, en référé, afin de faire injonction à l’entreprise d’évaluer les risques et de mettre à jour le DUER, voire d’adopter des mesures de protection renforcées et de solliciter la cessation de toute activité tant que ces mesures n’auront pas été mises en place.

Les premières décisions (Amazon, Renault, etc.) font preuve d’une sévérité particulière, d’autant plus au vu du montant des astreintes qui peuvent assortir ces décisions (1 million d’euros par jour pour l’affaire Amazon).

Il est donc primordial d’associer les représentants du personnel dans la politique de prévention déployée mais aussi dans les modalités de reprise de l’activité.

Enfin, l’entreprise devra également montrer sa bonne foi à l’inspection du travail, laquelle reste compétente en tout état de cause pour saisir le juge des référés dès lors qu’il constate un risque sérieux d’atteinte à l’intégrité physique d’un travailleur (C. Trav., art. L.4732-1).

L’ensemble de ce qui précède révèle ainsi une période particulièrement difficile à traiter, tant au point de vue économique qu’au point de vue des relations sociales, de par les risques en matière de sécurité physique et psychologique des salariés. Ces risques, et les moyens d’y pallier, nécessitent un important travail d’analyse dont les DRH ne peuvent faire l’économie sans exposer l’entreprise.