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L’autorité de la concurrence sanctionne l’échange d’informations entre deux candidats à un appel d’offre

21 juin 2021 | Derriennic Associés|

ADLC 4 mars 2021, n°21-D-05

 

L’autorité de la concurrence a sanctionné un groupe pour des échanges d’informations lors d’un appel d’offre de la communauté urbaine de Lille pour la maintenance et la transformation des installations de gestion technique de ses bâtiments. La DGCCRF a poursuivi la société SANTERNE, intégralement détenue par Vinci Energies France Nord, elle-même filiale de Vinci Energies, ainsi que la société NEU AUTOMATION pour des actes anti-concurrentiels. Trois sociétés s’étaient portées candidates : Santerne, Neu et Eiffage. C’est la société Neu qui a finalement remporté le marché. Il leur est reproché d’avoir échangé des informations sensibles pendant l’appel d’offre, pratique prohibée par l’article L.420-1 du code de commerce, et notamment :

  • Sur les prix à présenter, même dans l’éventualité d’une sous-traitance entre elles :
  • La demande de communication de la société NEU de l’offre de SANTERNE ainsi que la partie technique du mémoire,
  • Des échanges d’informations sur les logiciels utilisés,
  • Sur le détail des prix, par exemple sur le fait de prévoir la partie démontage matériel Siemens, avec les évolutions de prix et impacts ;
  • Les taux horaires appliqués

Santerne soutient qu’en matière de marchés publics, les échanges d’informations qui ont été qualifiés d’anticoncurrentiels par l’Autorité étaient multilatéraux, portaient sur plusieurs marchés et faisaient toujours apparaître un jeu de compensations réciproques entre les entreprises soumissionnaires pour se répartir les marchés. L’échange d’informations porte donc sur un seul marché, n’a pas concerné l’ensemble des soumissionnaires et aucune contrepartie financière n’a été obtenue de la part de Neu.

Mais pour l’autorité, la circonstance que l’échange d’informations n’ait concerné qu’une partie des soumissionnaires à l’appel d’offres lancé en mai 2014, en l’occurrence Neu et Santerne, est sans incidence sur la qualification d’entente anticoncurrentielle. Surtout, une entente entre deux des trois soumissionnaires fausse le jeu de la concurrence et l’autorité rappelle qu’il est de jurisprudence constante que l’objet anticoncurrentiel attaché à une pratique est distinct de l’intention et qu’il est sans portée que les parties à l’échange n’aient pas eu l’intention ou même la conscience de fausser le jeu de la concurrence

Il ressort des éléments présents au dossier que les échanges d’informations, qui ont porté tant sur des éléments tarifaires que sur des éléments techniques, ont été effectués dans le but de préparer l’offre de Santerne. Ce moyen doit donc être écarté.

Santerne justifie ces échanges, en soulignant que Neu était un sous-traitant indispensable pour déposer une offre conforme aux attentes du maître d’ouvrage, compte tenu des spécificités du marché. Selon Santerne, le système de GTB de LMCU étant un système « fermé », toute modification de celui-ci nécessitait d’avoir recours aux services de Neu, qui en avait assuré l’installation.

Mais pour l’autorité, la nécessité de recourir à Neu n’est pas démontrée. Ainsi, le troisième soumissionnaire, Eiffage, a déposé une offre complètement autonome. En outre, le règlement de la consultation prévoyait la possibilité pour les candidats de proposer des variantes portant « sur la marque du logiciel de supervision à mettre à jour et les équipements qui en découlent » sans déposer d’offre de base. Il était par conséquent loisible à Santerne de déposer une offre totalement autonome, prévoyant le remplacement du logiciel de supervision sans avoir recours aux services de Neu, tout en se conformant aux attentes du maître d’ouvrage.

Pour l’autorité de la concurrence, lorsque qu’un échange d’informations intervient entre des entreprises candidates pour le même marché et qu’il porte au surplus sur de nombreux éléments tarifaires et techniques, il présente un caractère anticoncurrentiel dans la mesure où les offres des entreprises n’ont pas été élaborées de manière indépendante, alors qu’elles sont présentées comme telles.

Santerne allègue ensuite que les échanges n’ont porté que sur les prestations de sous-traitance pour lesquelles Neu aurait été incontournable. Elle relève qu’elle n’avait connaissance que du prix de 76 postes sur les 162 postes. Elle rappelle enfin que Neu n’a jamais eu communication de l’offre de Santerne et que les échanges n’ont pas donné lieu à une coordination des offres des deux sociétés. Cet argument a été jugé sans conséquence sur le caractère anticoncurrentiel de la pratique. Ni la jurisprudence ni la pratique décisionnelle n’exigent, pour retenir la qualification d’entente anticoncurrentielle, que l’échange d’informations ait porté sur l’ensemble des offres.

L’autorité rappelle la décision du conseil de la concurrence n° 07-D-47 du 18 décembre 2007 jugeant que : « lorsque des entreprises échangent des informations sur leurs prix pour une éventuelle sous-traitance en vue de l’exécution d’un marché sur appel d’offres, elles ne peuvent ensuite présenter simultanément des offres séparées pour ce marché. Dans ce cas, leurs offres ne sont pas indépendantes, même partiellement, et la concurrence est faussée».

Dans le cas d’espèce, les éléments transmis par Neu ne sont pas marginaux et concernaient les éléments les plus importants du marché. Si Santerne avait effectivement connaissance des prix envisagés par Neu pour 47 % des postes du BPU, ces derniers, ainsi que le prix du forfait de migration logicielle dont Santerne avait également connaissance, représentaient près de 86 % du prix offert par Santerne (voir paragraphe 41).

Il est rappelé, en outre, que les échanges prohibés par la jurisprudence sont non seulement ceux portant sur des éléments du prix mais plus largement tous ceux qui peuvent porter sur « l’existence de compétiteurs, leur nom, leur importance, leur disponibilité en personnel ou en matériel, leur intérêt ou absence d’intérêt pour le marché considéré». Or, Santerne et Neu, bien qu’ayant connaissance de leurs souhaits respectifs de soumissionner au marché, ont indiqué leur intérêt pour ledit marché et Santerne avait connaissance d’une part très significative du mémoire technique de Neu.

L’autorité de la concurrence va infliger solidairement aux sociétés Santerne Nord Tertiaire, Vinci Energies France, Vinci Energies et Vinci une sanction pécuniaire de 435 000 euros et leur enjoindre d’insérer, à leurs frais, la publication d’une partie de la décision sur le site Internet du journal « La Voix du Nord » et de la revue « Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment ».