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Le partage de responsabilité en cas d’échec de projet informatique

20 février 2023 | Derriennic associés|

En l’espèce, une société spécialisée dans l’aménagement de locaux commerciaux avait confié à un prestataire informatique le soin de lui fournir une solution informatique de gestion achats-ventes-stocks et de comptabilité, de déployer le logiciel, de former les utilisateurs et d’assurer la maintenance du logiciel une fois l’installation terminée.

Le projet a rapidement accusé du retard avant d’être définitivement gelé.

Les faits étaient un peu particulier en ce que :

  • Le prestataire avait, en cours de projet, décidé de cesser son activité d’intégrateur du logiciel commandé par le client, décision qui, dans la pratique, s’était notamment matérialisée par le départ du seul salarié compétent pour réaliser ce type d’intégration ;
  • Concomitamment, le client, informé de cette décision par le salarié en question, avait cessé de régler les factures ;
  • Faute de voir ses factures réglées, le prestataire avait interrompu ses recherches d’un prestataire externe pour finaliser le déploiement.

Un effet de réaction en chaine donc, qui avait finalement poussé le prestataire à solliciter, sur requête, le règlement de ses factures.

Par une ordonnance du 17 juillet 2020, le président du Tribunal de commerce de Pau avait fait droit à sa demande.

Le client a donc formé opposition de cette ordonnance quelques jours plus tard et a obtenu gain de cause devant le même tribunal, condamnant le prestataire, en plus du remboursement, au paiement de diverses indemnités.

Appel a été interjeté par le prestataire et la Cour d’appel de Pau, dans son arrêt du 9 janvier 2023, a rendu un arrêt relativement didactique, quoique peut être un peu clément vis-à-vis du prestataire.

Elle commence par trancher un débat relatif à la nature des obligations du prestataire : de moyens ou de résultat ?

Rappelant que le contrat prévoyait une clause stipulant que la nature des tâches confiées, impliquant des facteurs indépendants de la volonté du prestataire (que ce soit l’installation d’origine, les méthodes de travail, la qualification de l’utilisateur etc.), justifiant que l’obligation ne soit que de moyens, les juges vont assez logiquement estimer que cette clause fait sens, qu’elle n’a pas pour objet de vider l’obligation du prestataire de sa substance et qu’en conséquence, l’obligation à sa charge ne peut être que de moyens.

Elle va ensuite procéder à un genre de listing des causes de l’échec du projet pour apprécier le partage de responsabilité qui doit être opéré. En synthèse, du côté des défaillances du prestataire, la Cour retient :

  • La fourniture d’un planning initial totalement irréaliste ;
  • Un démarrage prématuré du déploiement du logiciel, à une période où le serveur nécessaire à l’installation n’avait pas encore été livré (impliquant une installation provisoire du logiciel sur un autre serveur, ce qui a occasionné des frais inutiles) ;
  • Un audit, prévu au contrat, entamé avant la signature du contrat, et dont le prestataire ne parvenait pas à justifier de l’existence, malgré l’émission d’une facture réglée par le client ;
  • L’absence d’information claire et anticipée, du fait qu’ils avaient décidé de cesser leur activité d’intégrateur du logiciel objet des prestations ;
  • Une incapacité à garantir l’intervention d’une ressource externe pour finaliser le projet.

Pour l’ensemble de ces défaillances, la Cour souligne donc que le prestataire « n’a pas cessé de poursuivre l’exécution du contrat en raison du non-paiement des factures, dont plusieurs étaient contestables, mais bien en raison de son impuissance opérationnelle liée à la cession de ses activités d’intégrateur de l’ERP ».

Elle retient cependant également quelques défaillances du côté du client, à savoir : (i) le fait d’avoir accepté des formations et la réalisation de quelques prestations alors que le contrat n’était pas signé, (ii) le fait de n’avoir pas alerté le prestataire sur le fait qu’elle risquait potentiellement d’avoir des difficultés à honorer certaines des factures, en raison d’un refus de subvention.

Ces manquements, côté prestataire, paraissent relativement légers, pour justifier que, en comparaison de ceux véritablement concrets du prestataire, une répartition à égalité des responsabilités soient opérée.

C’est pourtant ce que fait la Cour d’appel, qui va considérer que « la rupture des relations contractuelles, courant 2020, est imputable aux deux parties qui n’ont pas exécuté de bonne foi, pour des raisons propres à chacune d’elles, et non tirées du comportement de l’autre, qui ont conduit à mettre en échec l’exécution du contrat d’intégration de l’ERP », ajoutant « les deux parties, chacune poursuivant ses propres intérêts au détriment d’une saine collaboration, ont contribué à mettre en échec l’exécution du contrat ».

Elle va donc confirmer le jugement en ce qu’il a prononcé la résolution du contrat, mais l’infirmer sur l’imputabilité, qui sera prononcée aux torts partagés.

On peut comprendre cette posture de la Cour d’appel consistant à « couper la poire en deux », lorsque l’exposé des faits révèle, comme c’est bien souvent le cas dans les projets informatiques, que chacune des parties a contribué à l’apparition des difficultés et a concouru, in fine, à l’échec du projet.

Il n’en demeure pas moins qu’au cas d’espèce, les défaillances semblaient plutôt se situer du côté du prestataire, en tout cas en s’en tenant à une lecture stricte de l’arrêt, si bien qu’une répartition à 50/50 parait assez généreuse pour ce dernier.

On peut d’ailleurs s’étonner que dans cette affaire le client n’ait pas évoqué la réticence dolosive du prestataire, qui faisait signer un contrat d’intégration d’ERP en juillet 2019 (s’engageant notamment à assurer la maintenance pour une période dont on peut présumer qu’elle devait au moins durer quelques années), pour acter en novembre de la même année qu’il renonçait finalement à cette activité d’intégrateur de l’ERP en question (et se séparait dans la foulée du seul salarié compétent pour ce faire).

Source : Cour d’appel de Pau, 2e chambre section 1, 9 janvier 2023, n° 21/02543