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Une illustration (rare) d’un refus des juges de prononcer une expertise judiciaire en matière de contentieux informatique complexe

20 février 2023 | Derriennic associés|

Ici, une société spécialisée dans le négoce de fruits et légumes avait choisi de s’équiper d’un progiciel permettant de gérer sa production agricole. Une proposition commerciale de 317K€ avait été adressée par le prestataire et validée par le client en mars 2018, date à laquelle les opérations d’implémentation ont visiblement démarré.

Des tensions sont apparues au mois de mai 2019, pour se cristalliser en avril 2021, lorsque le prestataire adresse une facture de 296K€ (sans que l’on sache précisément ce qui avait été facturé sur les trois premières années de projet), refusée par le client.

Celui-ci avait manifestement commencé à développer, en interne, une solution similaire, et invoquait, pour s’opposer au paiement, un délaissement du projet par le prestataire à compter de mai 2019, des erreurs de conception, des anomalies techniques, un écart entre le résultat et ses attentes fonctionnelles et surtout, l’incapacité du prestataire à assurer la phase de migration des données.

Après une tentative de médiation, le client a sollicité une expertise judiciaire mais sa demande a été rejetée. Il a donc interjeté appel, mais les juges de la Cour d’appel de Montpellier, vont confirmer la décision des premiers juges, détaillant avec minutie et pédagogie les raisons de leur refus de faire droit à la demande d’expertise judiciaire de l’appelant.

Ils rappellent en premier lieu les conditions nécessaires pour qu’une expertise judiciaire soit ordonnée :

  • Un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution du litige ;
  • L’utilité de la mesure dans le cadre d’une action future au fond, non manifestement vouée à l’échec ;
  • Le fait que cette mesure n’ait pas vocation à pallier la carence probatoire de celui qui l’invoque, ce qui implique de démontrer de façon suffisamment plausible, le bienfondé de l’action envisagée.

Or, en l’espèce, la Cour d’appel fait le constat que, faute d’éléments probants relatifs à d’éventuels manquements du prestataire, l’appelant n’établit pas, de façon suffisamment plausible, que l’action envisagée avait des chances de prospérer. La Cour relève en effet :

  • Des contradictions dans les affirmations du client (invoquant un arrêt du projet en mai 2019 mais produisant des mails d’octobre 2019 établissant que le projet suivait son cours) ;
  • Que la migration des données n’était pas, du moins selon les termes du contrat, à la charge du prestataire ;
  • L’absence de preuve d’anomalies ou de dysfonctionnements, les mails produits faisant simplement état d’interrogations de ses équipes, sans véritables griefs formulés ;
  • L’absence d’une quelconque force probante d’un rétroplanning de difficultés établi en interne et qui n’a, visiblement, jamais été transmis au prestataire ;
  • Que la question de la conformité du logiciel par rapport aux besoins du client est inopérante car :
  • il s’agit d’un logiciel standard, non sur mesure, dont le prestataire démontre qu’il a déjà été installé dans d’autres entreprises exerçant la même activité que le client ;
  • le client avait de toute façon eu l’occasion de vérifier, par le biais de démonstrations en avant-vente et de visites sur des sites équipés, qu’il correspondait à ses attentes.

En l’absence de démonstration d’un motif légitime, et particulièrement à défaut de justifier que son action au fond n’était pas manifestement pas vouée à l’échec, la Cour d’appel confirme le rejet de la demande d’expertise.

Les juges d’appel vont plus loin puisqu’ils confirment, dans la foulée (et prenant au passage le contre-pied de ce qui avait été jugé par le Tribunal de commerce), que la contestation opposée par le client (et basée sur quelques mails et un rétroplanning) n’était pas sérieuse, si bien que la demande de provision du prestataire était considérée comme justifiée : le client sera donc condamné à lui régler la somme de 296.000€.

Source : CA Montpellier 5 janvier 2023 n°22/01971