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Le partage des règles de responsabilité dans un projet informatique conduit en Méthode Agile

04 avril 2024 | Derriennic Associés|

La faute du Prestataire s’apprécie avec un degré de sévérité accru dans le cadre d’un projet en méthode dite « agile » où la collaboration du Client conditionne (encore plus que dans un projet classique) la bonne fin des prestations.

En l’espèce, la décision du Client de résilier a été considérée comme fautive, faute pour celui-ci de parvenir à démontrer l’existence de manquements suffisamment graves.

Dans les faits, une société, spécialisée dans l’ingénierie informatique a conclu le 24 mai 2016 un contrat avec la CAFAT, organisme en charge de la gestion du régime de la sécurité sociale pour la Nouvelle-Calédonie, pour la mise en place d’un logiciel de gestion des demandes d’adhérents.

Un premier lot du projet a été livré le 25 juillet 2016 mais le Client a, 10 jours plus tard, fait part (i) de son mécontentement quant à la prestation exécutée, (ii) et de son intention de ne régler qu’à la hauteur de 30 % le prix de la prestation pour le lot n°1 (et d’annuler le lot 2).

Le Prestataire l’a mis en demeure de payer puis l’a assigné, le 9 novembre 2018.

En réponse, le Client a résilié le contrat, invoquant divers manquements.

Le 19 mai 2021, le Tribunal de commerce de Nantes a condamné le Client à régler les sommes relatives au lot n°1 et l’a débouté de sa demande de résolution du contrat aux torts exclusifs de la société RS2I. Le Client a interjeté appel aux fins de (i) voir prononcer la résolution du contrat aux torts du prestataire, (ii) juger que les défaillances du prestataire justifiaient l’exception d’inéxécution qu’elle opposait pour ne pas payer les factures litigieuses et (iii) obtenir réparation d’un préjudice qu’elle estimait à 17.000 €.

De son côté, le Prestataire, sollicitait la confirmation du jugement dans toutes ses dispositions.

Argumentaire déployé par les parties. En synthèse le Client soutenait que l’outil livré n’était ni fonctionnel ni conforme à ses besoins, et que le prestataire ne rapportait pas la preuve de la bonne exécution des prestations. Elle soulignait que selon elle, un procès-verbal sans réserve n’empêchait pas de constater, par la suite, des non-conformités durant la phase de mise au point effective. Or, elle détaillait (du moins selon elle) un certain nombre de dysfonctionnement qui avaient d’ailleurs entrainé l’acceptation du prestataire de réduire le coût du lot 1 et de mettre fin au contrat.

Elle estimait par ailleurs que le Prestataire avait manqué à son devoir de gestion de projet en ne procédant à aucune livraison intermédiaire, en ne systématisant pas les comités de pilote et en ne respectant pas les délais. Enfin, elle considérait que le prestataire avait manqué à son devoir d’alerte.

De son côté, le Prestataire affirmait :

  • Avoir respecté le planning ;
  • Avoir été confronté à un besoin changeant de la part de son Client (ce qui a été reconnu par mail), et avoir su s’adapter à cette contrainte, sans jamais recevoir de plainte de la part du Client. Sur ce point, la CAFAT rétorquait que les évolutions de besoin n’étaient pas incompatibles avec une méthodologie de type agile induisant selon elle une « adaptation aux évolutions du projet » ; n’a jamais reçu de plainte du Client ;
  • Que le procès-verbal de recette, s’il n’est pas une preuve incontestable de la conformité des prestations, était malgré tout conforté par une série de mails allant, également, dans le sens d’une satisfaction, à tout le moins partielle, du Client.

La Cour d’appel retient d’abord que si le procès-verbal contient effectivement peu de réserves (4 au total), le prestataire fournit, au surplus, à chaque fois une explication détaillée qui n’est ensuite pas invalidée ou contestée par le Client.

Surtout, elle se montre réceptive du fait qu’à quelques jours de la livraison, le Client a reconnu être responsable d’un retard d’exécution lié à l’utilisation d’un format d’envoi des messages inadapté et à plusieurs modifications successives de ses besoins et du périmètre des prestations prévues au contrat. La Cour relève à ce titre que :

  • « S’il est effectivement indiqué dans l’offre commerciale émise par la société RS2I qu’elle met en œuvre une « méthodologie Agile », permettant d’adapter le contrat aux évolutions des besoins de la CAFAT en cours d’exécution, il n’est nullement prévu que les modifications apportées aux prestations contractuelles n’auront pas d’impact sur le planning, au demeurant prévisionnel, l’offre commerciale précisant simplement que la CAFAT pourra revoir ses priorités « pour le même budget » ».

La Cour relève également que le prestataire avait incontestablement alerté, et ce à plusieurs reprises, son Client sur les conséquences de telles modifications, notamment en termes de délais, et que l’appelante ne justifiait pas avoir contesté la teneur des messages, qui lui attribuaient la responsabilité de nombreuses modifications du projet et surtout des retards que ceux-ci devaient entrainer.

En définitive, la Cour relève que le Client ne démontre pas que les réserves formulées au procès-verbal de livraison du 25 juillet 2016 ne permettaient pas à la solution informatique de fonctionner, ni qu’elles ne pouvaient être aisément reprises par la société RS2I, alors que les relations contractuelles devaient se poursuivre entre les parties pour l’exécution du lot n°2. Ce faisant, elle estime que le Client ne démontre pas l’existence de manquements dont la gravité justifie la résiliation du contrat à laquelle elle a procédé et a mis fin au contrat, sans établir avoir permis à la société RS2I de lever les réserves, alors même qu’au regard des motifs précités, elle a soumis son cocontractant à des difficultés d’exécution de la prestation.

Source : Cour d’appel de Versailles 2 novembre 2023 (RG n°21/04804)