Chambre Commerciale de la Cour de Cassation, 26 mars 2013, CBC c/ Selligent France, n°12-11688
La société Connecting Business Center (CBC) acquiert, en avril 2003, de la société Selligent France (Selligent) des licences d’un logiciel CRM. Elle conclut par ailleurs avec la société Syntegra un contrat d’intégration de ce logiciel. En juin 2004, Syntegra rompt le contrat d’intégration de logiciel conclu avec CBC. En mars 2008, Selligent assigne CBC aux fins d’obtenir le paiement des factures impayées par celle-ci en vertu du contrat de licence.
La Cour de Cassation retient que « la résiliation d’un contrat de déploiement de logiciel qui s’inscrit dans un ensemble complexe et indivisible, entraîne la caducité du contrat portant sur les licences, sauf à tenir compte dans l’évaluation du préjudice résultant de l’anéantissement de cet ensemble contractuel de la faute de la partie qui en a été à l’origine ».
Cet arrêt s’inscrit dans le droit fil d’une jurisprudence qui a consacré de longue date l’indivisibilité contractuelle entre plusieurs conventions, faisant échec au principe d’effet relatif des conventions, posé par l’article 1165 du code civil.
En matière informatique, l’intégration de progiciel constitue un terrain propice à l’application de la théorie de l’indivisibilité, dès lors que le client conclut en général en parallèle, d’une part, un contrat de licence/maintenance avec l’éditeur et, d’autre part, à minima, un contrat d’intégration du progiciel dans son système informatique avec un intégrateur, comme c’est le cas en l’espèce.
Ainsi, concernant l’intégration d’un progiciel Oracle, un arrêt du 13 février 2007 de la Cour de Cassation avait jugé que des contrats de licence, mise en œuvre, formation et maintenance portant sur le même ensemble logiciel étaient interdépendants « dans la mesure où ils poursuivaient tous le même but ». Puis, la Cour de cassation avait précisé dans un second arrêt que la résiliation d’un contrat dont dépend directement un autre contrat prive celui-ci de sa cause et entraîne sa caducité.
La Cour d’appel de Paris, dont l’arrêt du 30 septembre 2011 est cassé par la décision ici présentée, avait pour sa part résisté à cette consécration de la théorie de la cause objective, n’admettant qu’une indivisibilité conditionnelle, subordonnée au motif de la résiliation du contrat initial. Pour condamner CBC au paiement, elle retenait que « si le contrat de licence était causé par le contrat de déploiement du logiciel avec lequel il forme un ensemble contractuel interdépendant, CBC ne pouvait se prévaloir de la résiliation du contrat par Syntégra que si cette rupture résultait d’une décision judiciaire n’ayant pas pour origine sa propre faute ».
Or la Cour de cassation estime qu’en statuant ainsi, la Cour d’appel a violé les articles 1131 et 1134 du Code civil qui disposent, rappelons-le, que :
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- « l’obligation sans cause ou sur une fausse cause ou sur une cause illicite ne peut avoir aucun effet » (1131)
- « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » (1134)
La Cour de cassation s’attache donc à rappeler que :
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- la cause de l’un des contrats de l’ensemble contractuel, en l’espèce la cause du contrat de licence conclu par le client CBC avec l’éditeur Selligent, s’apprécie objectivement au regard de l’existence du ou des autres contrats de l’ensemble contractuel. En l’occurrence, la cause réside dans l’existence du contrat de déploiement conclu par CBC avec Syntégra.
- la sanction de la disparition de la cause du contrat est lacaducité du contrat concerné.
- la faute de la partie à l’origine de la résiliation n’empêche pas que le contrat de licence soit rendu caduc, dès lors qu’on se livre à une analyse objective de l’existence de la cause mais doit s’analyser en termes d’évaluation du préjudice et donc en termes de réparation contractuelle.
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Cette décision limite la portée des clauses stipulant l’indépendance des contrats d’un ensemble donné, dès lors que si un juge constate l’existence d’un lien objectif entre deux contrats, il conditionnera le sort de l’un à celui de l’autre, même en présence d’une clause prévoyant leur indépendance.