
Tribunal judiciaire de Paris, 31 décembre 2024, n° 24/57566
Le réseau social X a été condamné à communiquer les données d’identification d’utilisateurs ayant proféré des menaces et des messages haineux et violents en ligne. Une nouvelle jurisprudence qui illustre les bénéfices de l’article 145 du Code de procédure civile au service des victimes de cyber-infractions.
La démonstration de l’intérêt légitime pour la communication des données d’identification
La reconnaissance d’un motif légitime par le Tribunal judiciaire de Paris
A la suite de la publication de messages haineux, violents et menaçants sur le réseau social X par un auteur anonyme, visant un père et son fils mineur de six ans, le père souhaite engager des poursuites pénales à l’encontre de cet auteur. Néanmoins, il doit d’abord l’identifier.
Il assigne alors la société Twitter, en son nom personnel et en qualité de représentant légal de son fils mineur, devant le Président du Tribunal judiciaire de Paris, statuant en référé, aux fins d’ordonner la communication des données d’identification et techniques.
S’agissant des données d’identification, le Tribunal judiciaire rappelle que l’utilisation de l’article 145 du Code de procédure civile requiert la démonstration d’un motif légitime d’établir ou de conserver, avant tout procès, des faits dont pourrait dépendre la solution du litige.
En l’espèce, le demandeur soutient que les messages reçus pouvaient être pénalement qualifiés de « menaces de mort » tandis que la société Twitter souligne l’absence de caractère explicite des propos, estimant qu’ils seraient, tout au plus, constitutifs de faits contraventionnels.
Le Tribunal judiciaire de Paris reconnaît cependant l’existence d’un motif légitime à rechercher l’identité de l’auteur des messages litigieux, en vue d’engager un procès pénal contre lui, et considère donc que les conditions de l’article 145 du Code de procédure civile sont réunies.
Quand la procédure civile sert le procès pénal
Pour décider de l’application de l’article 145 du Code de procédure civile, le juge des référés se prononce sur la qualification pénale des faits, en énonçant que les propos « peuvent ressortir de la qualification pénale du délit de menaces de morts prévu par l’article 222-17 du Code pénal ». Il précise également qu’il existe, à ce stade de la procédure, « un procès pénal en germe non manifestement voué à l’échec ».
Néanmoins, il convient de rappeler que l’essence même de l’article 145 du Code de procédure civile est de préparer le procès au fonds (mesures d’instruction in futurum). Dès lors, en se positionnant sur la qualification des propos qui relèveraient, à son sens, du délit de menaces de morts, pour analyser l’intérêt légitime, le juge civil ne se prononce -il pas déjà indirectement sur le fond du litige pénal ?
L’apport de précisions sur les données techniques devant être communiquées
La communication de données techniques en plus des données d’identification
Au sens des articles L34-1 et R10-13 du Code des postes et des communications électroniques, il peut être fait droit à la demande de communication des données techniques, telles que l’adresse IP et le port source associé par exemple, si la procédure pénale envisagée relève de la « délinquance grave ».
Le juge des référés considère que les propos litigieux, pouvant être assimilés au délit de menaces de morts, relèvent de la délinquance grave, et qu’il convient en ce sens de faire droit à la demande de communication des données techniques.
La communication des horaires et fuseaux horaires exacts de connexion
Les demandeurs formaient une demande complémentaire de communication visant, notamment, à obtenir la communication des horaires et fuseaux horaires exacts des connexions.
Bien que ces données ne soient pas expressément listées par l’article R10-13 du Code des postes et des communications électroniques, le juge des référés déclare qu’en raison de l’utilisation désormais généralisée d’adresses IP « nattées » (mutualisées pour plusieurs utilisateurs), la précision de l’horaire exact et du fuseau horaire de la connexion est une nécessité technique pour parvenir à identifier l’utilisateur de l’adresse IP.
Il est donc fait droit à la communication des données techniques, comprenant l’horodatage exact à la seconde près ainsi que le fuseau horaire de connexion des adresses IP utilisées pour les publications des contenus litigieux. On peut toutefois reprocher que cette condamnation ne soit pas assortie d’une astreinte financière par jour de retard…
Le recours aux pseudonymes sur internet n’offre pas l’impunité escomptée par les cyber-délinquants et ne les protège pas des éventuelles poursuites judiciaires… L’alliance entre juge civil et juge pénal dans ce jugement en est une parfaite illustration.
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