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NTIC – Lettre d’actualité numéro 20

08 décembre 2018 | Derriennic Associés|

CONTRATS INFORMATIQUES

L’installation de la mauvaise version d’un logiciel par un intégrateur ne constitue pas un défaut apparent de non-conformité susceptible d’être couvert par la réception sans réserve de la chose vendue

CA Paris, pôle 5 – ch. 11, 28 sept. 2018, n° 17/03111

Une société spécialisée dans le marketing digital utilise la version standard d’un logiciel de gestion dénommé HFM. Ce logiciel est édité en version standard et en version entreprise. Le licencié fait appel à un intégrateur tiers afin de réaliser la migration vers une version ultérieure du logiciel HFM standard.

Quelques mois plus tard, lors d’un audit réalisé par l’éditeur chez le licencié, il est apparu que la version entreprise du logiciel avait été téléchargée et installée à la place de la version standard lors de la migration. Le rapport d’audit exige, compte tenu de l’architecture informatique du licencié et des règles imposées par l’éditeur, la régularisation par l’acquisition de 550 licences dites « entreprises » et des frais de support pour la période d’utilisation du logiciel sans licences.

L’intégrateur propose au licencié de modifier son architecture informatique tout en conservant les licences HFM dites « standard » acquises afin de régulariser la situation. Le licencié refuse et accepte l’offre de régularisation de l’éditeur pour un montant total de 147.060,47€ HT. Le Licencié demande ensuite le remboursement des sommes payées à l’intégrateur qui s’y oppose.

L’éditeur assigne l’intégrateur en paiement de dommages et intérêts devant le tribunal de commerce de Paris. Lequel a débouté le licencié de toutes ses demandes au motif que la non-conformité n’avait pas empêché le fonctionnement normal du progiciel HFM, cette dernière n’ayant été révélée aux parties que 18 mois plus tard lors d’un audit. En l’absence de réserve le licencié était réputé avoir accepté les prestations effectuées, conformément aux dispositions du contrat.

La cour d’appel de Paris infirme le jugement dans toutes ses dispositions et considère que « la réception sans réserve de la chose vendue ne couvrant que les défauts apparents de non-conformité, l’appelant établit que l’installation des Licences Entreprise, l’usage qui en est suivi, ne peuvent valoir acceptation tacite ou implicite des licences installées à défaut de réserves dès lors que la licencié ignorait la non-conformité ou l’erreur révélée par le rapport d’audit, l’usage continu des licences installées ne présentant pas le caractère non-équivoque d’une acceptation. »

La cour d’appel fait donc droit à la demande de réparation du licencié justifiant d’une faute, d’un préjudice de 283.440,38 euros et d’un lien de causalité. Etant précisé que l’application de la clause limitative de responsabilité a été écartée par les juges en raison de l’inopposabilité des conditions générales de service non signées par les parties.

DROIT PUBLIC

Marchés Publics : l’erreur d’identification des prestations dans la déclaration de sous-traitance fait obstacle au paiement direct du sous-traitant

CA MARSEILLE, 24 septembre 1018, n°17MS03449, Sté TETRA

Saisie par un sous-traitant qui réclamait le paiement direct de ses prestations par le Maître d’ouvrage public, la Cour administrative d’appel de Marseille adopte une position particulièrement stricte sur l’exigence d’identification des prestations dans la déclaration de sous-traitance.

Dans cette affaire, la déclaration de sous-traitance sur le fondement de laquelle le Maitre d’ouvrage public avait accepté le sous-traitant et agréé ses conditions de paiement contenait une erreur quant à l’identification des prestations (il était indiqué des prestations de « pose de clôture » à la place de prestations de « remplissage de béton »).

Dans premier temps, la Cour reconnait (i) que l’entreprise sous-traitante justifie avoir réalisé des prestations pour le Maître d’ouvrage, et (ii) que le montant indiqué sur le contrat de sous-traitance correspond à celui figurant sur la déclaration de sous-traitance, ce qui aurait pu constituer un indice pour s’assurer que les prestations objet du contrat de sous-traitance correspondaient à celles figurant sur la déclaration de sous-traitance validée par le Maître d’ouvrage.

Toutefois, la Cour estime que, à défaut d’élément permettant de conclure à une simple erreur de plume, rien ne permet de s’assurer que les prestations effectivement sous-traitées et celles visées dans la déclaration de sous-traitance sont effectivement les mêmes.

Elle rejette donc la demande de paiement de l’entreprise sous-traitante.

Les entreprises sous-traitantes doivent renforcer leur vigilance quant aux éléments figurant dans la déclaration de sous-traitance, et notamment l’identification des prestations réalisées, au risque de compromettre leur droit au paiement direct.

ECONOMIE

Le régime fiscal des crypto-actifs se dessine et participe de la construction du leadership législatif français en la matière

Amendement n°II-2523 adopté le 13 novembre 2018 par l’Assemblée Nationale dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2019

Un amendement au projet de loi de finances 2019 précise le cadre fiscal des crypto-monnaies, des crypto-actifs et des plus-values générées, confirmant ainsi le leadership législatif français en la matière.

Après avoir adopté le 9 octobre dernier l’article 26 de la loi PACTE tendant à fournir un cadre législatif aux levées de fonds en crypto-actifs (« ICO »), l’Assemblée Nationale poursuit son travail en adoptant un amendement gouvernemental clarifiant le cadre fiscal de ces nouvelles technologies financières.

Les plus-values générées sur les crypto-actifs seront taxées à un taux global de 30% (12,8 % au titre de l’impôt sur le revenu et 17,2 % au titre des prélèvements sociaux).

De plus, l’amendement fait peser sur les personnes physiques, les associations et les sociétés n’ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, une obligation de déclaration des comptes de crypto-actifs ouverts, détenus, utilisés ou clos auprès d’entreprises, personnes morales, institutions ou organismes établis à l’étranger.

Les contribuables qui ne respecteraient pas cette nouvelle obligation déclarative pourront être sanctionnés d’une amende dont le montant variera en fonction de la gravité des faits commis, laquelle ne pourra dépasser 10.000 euros par déclaration.

Du côté des entreprises émettrices de levées de fonds en crypto-actifs, un régime comptable devrait être présenté d’ici la fin de l’année. La genèse législative des crypto-actifs ne fait donc que commencer.

Pour contextualiser cet amendement au projet de loi de finances, précisons que la veille de son adoption par l’Assemblée Nationale, l’Autorité des Marchés Financiers avait publié une analyse sur les tendances des levées de fonds en crypto-actifs en France et au niveau mondial, de laquelle il ressort que ce mode de financement, d’actualité certes brûlante, demeure toutefois marginal.

En effet, les ICO n’ont représenté qu’1,6% du financement mondial en actions en 2017, dont la majorité a eu lieu aux Etats-Unis. La France ne représente qu’une part modeste de ce nouveau type de financement avec 15 ICO qui ont levé 89 millions d’euros. Par ailleurs, l’AMF a observé un phénomène de concentration des montants et du nombre de projets : 17 ICO représentent à elles seules 40% des montants totaux levés.

L’élaboration progressive d’un cadre législatif est donc primordiale puisqu’elle pourrait permettre à la France de devenir un acteur central de ce nouveau marché.

L’écosystème des nouvelles technologies financières continue à se dessiner, et l’année 2019 sera certainement marquée par la poursuite cette genèse législative, qui doit notamment être examinée par le Sénat en janvier.

DROIT D’AUTEUR

Le droit d’auteur indifférent à la saveur d’un produit alimentaire et à l’odeur ?

CJUE 13 novembre 2018 C-310/17 Levola Hengelo BV/Smilde Foods BV

Par un très intéressant arrêt du 13 novembre dernier, la CJUE en excluant la protection d’une saveur alimentaire au titre du droit d’auteur nous livre des précisions sur la notion d’ « œuvre » au sens du droit d’auteur européen.

Dans le cadre d’un contentieux relatif à la reproduction d’une saveur alimentaire d’un fromage néerlandais, les juges européens ont été interrogés sur la possibilité pour une telle saveur de bénéficier du régime de protection du droit d’auteur.

La Cour a répondu par la négative en considérant que :

  • la notion d’« œuvre » au sens du droit européen implique nécessairement une expression de l’objet de la protection au titre du droit d’auteur qui le rende identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité (comme par exemple une œuvre littéraire, picturale, cinématographique ou musicale) ;
  • une telle identification précise et objective d’une saveur alimentaire n’est pas possible par des moyens techniques en l’état actuel du développement scientifique : elle repose effectivement essentiellement sur des sensations et des expériences qui sont subjectives et variables.

Eu égard à la motivation de cet arrêt, cette solution pourrait tout à fait être transposable aux parfums, dont la protection par le droit d’auteur fait débat entre les différents Etats membres, mais également aux odeurs, en général.

A noter que ces éléments ne se retrouvent toutefois pas dénués de toute protection, en particulier compte tenu de la réforme récente en matière de secret des affaires et en droit des marques élargissant quelque peu leur périmètre de protection.

Les applications « locales » de cet arrêt sont donc à suivre avec intérêt.

DROIT SOCIAL

La communication des bulletins de paie de salariés par l’employeur, même à des fins probatoires, peut constituer une atteinte injustifiée à leur vie privée

Le 7 novembre dernier, la Cour de cassation a approuvé des juges du fond d’avoir accordé une réparation à des salariés dont le bulletin de paie avait été communiqué à des fins probatoires dans le cadre d’un litige, en se fondant sur l’article 9 du code civil : « la seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation ».

Pour mémoire, la jurisprudence encourageait jusqu’alors la production de tout élément détenu par l’employeur en vue d’une discussion contradictoire, et ce, en écartant les arguments tenant au principe de l’égalité des armes, du secret des affaires ou du respect de la vie privée (Cass. soc. 19 décembre 2012 n° 10-20.526 et Cass. soc. 4 juin 2014 n° 13-13.672).

Il était ainsi admis, voire exigé, que l’employeur révèle dans le cadre d’un litige les contrats de travail, bulletins de paie, montant des primes, tableaux d’avancement et de promotion de ses salariés…

L’employeur ne disposait d’aucun moyen pour s’opposer à une telle communication, puisqu’il était considéré que l’atteinte à la vie privée était justifiée par un motif légitime tenant à la protection des droits de la partie qui les sollicite.

Par exception, la Cour de cassation vient donc de reconnaitre que l’obligation de transmission par l’employeur n’était pas illimitée en se fondant sur le respect de la vie privée.

Pour autant, il ne s’agit pas d’un réel revirement, puisque la Cour de cassation ne sanctionne pas la communication des bulletins de paie en elle-même, mais l’absence de consentement préalable des salariés d’une part, et par ailleurs, la communication de l’intégralité des mentions du bulletin de paie alors que certaines n’étaient pas requises par le litige.

Ainsi, la Cour de cassation continue d’approuver la communication de certaines informations : cette communication étant justifiée par les besoins du litige.

En revanche, elle considère que la communication des autres mentions n’était pas justifiée, de sorte qu’il y a bien une atteinte à la vie privée des salariés.

Il demeure la question du consentement du salarié qui semble requis, sans que la Cour de cassation ne précise si cet accord préalable est exigé avant toute communication ou seulement celles qui ne relèvent pas d’un intérêt légitime de l’employeur au sens de la règlementation sur les données personnelles.

Dans la première hypothèse, l’employeur pourrait alors se prévaloir du refus du salarié pour faire obstacle à une telle communication.