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NTIC – Lettre d’actualité numéro 22

08 avril 2019 | Derriennic Associés |

PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE  

STOCKER, c’est aussi contrefaire !

Cour de justice de l’Union européenne, 4e chambre, 19 décembre 2018 – n°C-572/17

Un vendeur exploitait un commerce de détail à Stockholm (Suède), dans lequel il vendait des vêtements et des accessoires. En plus des marchandises en vente dans son magasin, ce commerçant les stockait dans deux  entrepôts, l’un attenant au lieu de vente et l’autre dans la banlieue de Stockholm. Plusieurs des marchandises vendues portaient atteinte à des marques et des droits d’auteur.

Une procédure pénale a été ouverte et le commerçant a été condamné en première instance pour contrefaçon de marques. L’infraction a été retenue à la fois pour les marchandises mises en vente dans le magasin et celles stockées dans les entrepôts.

Néanmoins la Cour d’appel infirme le jugement et soutient que seuls les actes de vente des marchandises en boutique constituent une contrefaçon du fait de l’atteinte porté au droit exclusif du titulaire des droits d’auteur et marque.

C’est dans ces circonstances que la Cour suprême suédoise (Högsta domstolen) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes : Lorsque les marchandises sont stockées dans des locaux par la personne qui propose les marchandises à la vente, existe-t-il une atteinte au droit exclusif de distribution ? Par ailleurs le fait que les marchandises soient stockées dans des locaux attenant au magasin revêt-il une importance ?

La Cour conclue qu’en l’espèce, le stockage des marchandises est une atteinte au droit exclusif de distribution. Elle rappelle qu’il doit être prouvé que les marchandises sont effectivement destinées à être distribuées au public sans l’autorisation du titulaire de ce droit.

Selon la Cour, l’appréciation de la destination des marchandises à la vente doit reposer sur un faisceau d’indices tenant compte notamment de la distance entre le lieu de stockage des marchandises et le lieu où celles-ci vont être vendues, mais également l’approvisionnement régulier du magasin par la marchandise en provenance de l’entrepôt en cause, d’élément comptables et de contrats de vente en cours. La distance entre le lieu de stockage et le lieu de vente peut donc constituer un indice pour établir que les marchandises concernées sont destinées à être vendues. Selon la Cour, stocker peut donc devenir un acte contrefaisant !

 

CONTRATS INFORMATIQUES

Contrat informatique au forfait ou en régie, focus sur des obligations du prestataire

Cour d’appel de Riom, Chambre commerciale, Arrêt du 13 février 2019, Répertoire général nº 17/01879

Dans le cadre d’un contrat au forfait, le prestataire informatique doit exiger de son client les éléments nécessaires pour définir sa mission et refuser de s’engager le cas échéant. Dans le cadre d’un contrat en régie, le prestataire peut être tenu à une obligation de résultat, même si le contrat l’exclut expressément, l’obligation pouvant se déduire de la commune intention des parties.

Une société exploite un site internet dont elle souhaite améliorer les capacités et entre en relation avec une société de prestations informatiques. Un premier contrat prévoit une réalisation pour une date donnée et un prix forfaitaire, en mettant à la charge du prestataire une obligation de résultat. Les deux parties signent un second contrat dans lequel elles constatent la carence du prestataire à réaliser les travaux selon le calendrier défini et conviennent de poursuivre leur collaboration « en régie », facturée au temps passée sur la base des rapports d’activité, jusqu’à la mise en production. Suite à de nouvelles difficultés, le client met fin à toute relation avec le prestataire au motif de divers manquements à ses obligations et se refuse à tout paiement au-delà de ceux déjà opérés. Le prestataire le fait assigner devant le tribunal de commerce qui rejette la demande de paiement ; le prestataire interjette appel.

Concernant le premier contrat, le prestataire va reprocher au client de lui avoir sciemment caché, au moment de la conclusion, la longueur prévisible des travaux et de ne pas lui avoir remis de cahier des charges -obligation contractuelle- expliquant les difficultés et les retards dans la réalisation de ses travaux, ce que confirme la signature du second contrat en régie.

Pour la Cour, le prestataire, en présentant au client une proposition technique et financière, puis en concluant le contrat, a implicitement reconnu que le client lui avait fourni les informations techniques suffisantes pour qu’il puisse établir et proposer une offre contractuelle pertinente.

Ainsi il appartenait au prestataire, en sa qualité de professionnel de l’informatique :

– d’exiger au préalable du client qu’il lui remette tous les documents et informations nécessaires pour définir sa mission, et de se refuser à s’engager, s’il estimait ne pas les avoir reçus ; ayant accepté de s’engager malgré l’absence formelle de cahier des charges, il ne saurait en faire grief au client.

– de rechercher et de déterminer le temps de travail, puis d’établir sa proposition en conséquence.

Concernant le deuxième contrat, le prestataire fait valoir qu’il n’était plus tenu que d’une obligation de moyens, remplie en mettant à disposition du client tous les moyens nécessaires à l’obtention de l’objectif fixé.

La Cour va relever que si les conditions générales du second contrat précisaient qu’il était « exclusif de toute notion de marché à forfait, d’obligation de résultat au sens général du terme », les conditions particulières prévoyaient que le contrat ‘était réputé se poursuivre tant que l’obligation de produire le Livrable‘ n’était pas honorée, et prévoyaient aussi que les parties convenaient « de poursuivre le chantier sous forme de régie avec obligation de fournir une prestation complète avec mise en production d’un Livrable » et encore que « le contrat est un contrat de régie au temps passé, assorti d’une obligation de fourniture de livrable prêt à être mis en production ».

Pour les juges, ces stipulations claires laissent apparaître que, malgré la clause qui, dans les conditions générales, excluait une obligation de résultat, la commune intention des parties a bien été de maintenir à la charge du prestataire, une obligation de résultat : celle de livrer le produit convenu.

Ainsi la Cour d’appel va confirmer le jugement en toutes ses dispositions. Le client était bien fondé à opposer au prestataire défaillant l’exception d’inexécution et le tribunal a rejeté à bon droit la demande en paiement, tant au titre du premier contrat, le prestataire ayant échoué à accomplir la prestation convenue dans le délai imparti, que du deuxième contrat, le prestataire n’ayant pas fourni les éléments pertinents de contrôle du travail accompli, puis interrompu ses travaux sans avoir obtenu le résultat recherché.

DROIT INFORMATIQUE

Association des juristes pour l’enfance / SAS OVH : le TGI enjoint OVH de rendre inaccessible un site espagnol proposant la GPA à des Français

 

L’association des juristes pour l’enfance a assigné la société OVH, en sa qualité d’hébergeur, aux fins de retrait sans délai du contenu figurant sur un site Internet espagnol, édité par la société de droit espagnol Subrogalia, se faisant l’intermédiaire entre des personnes désirant avoir un enfant et des mères porteuses et ce, alors que la gestation pour autrui est interdite en France et passible d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende.

La société OVH considère, au contraire, qu’en l’absence de contenu manifestement illicite, il ne lui appartenait pas de se substituer aux autorités judiciaires afin de trancher un litige opposant l’association française et la société espagnole.

Afin de déterminer si la responsabilité civile de la société OVH était susceptible d’être engagée, le Tribunal devait, tout d’abord, déterminer si le site avait un contenu manifestement illicite et, le cas échéant, si la société en avait été informée et avait promptement agi pour retirer ces données ou les rendre inaccessible.

Le TGI considère que « la prestation proposée par le site est bien une prestation d’entremise entre une personne ou un couple désireux d’accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre ». Le TGI rajoute que cette prestation revêt un caractère habituel et lucratif et que celle-ci vise bien un public français, le site étant disponible en langue française. Dès lors, le contenu du site est bien manifestement illicite.

Le Tribunal relève ensuite que l’hébergeur avait bien été informé par l’association du contenu manifestement illicite du site, de sorte qu’il ne pouvait pas prétendre qu’il n’en avait pas connaissance «dès lors qu’il lui était démontré par l’association que le site avait vocation à permettre à des ressortissants français d’avoir accès à une pratique illicite en France et de contourner les dispositions du droit positif français ce qui constitue une infraction pénale. La localisation de la société Subrogalia en Espagne et la licéité de la GPA en Espagne sont sans influence sur la licéité du contenu du site à destination du public français».

En conséquence, le tribunal a ordonné le retrait du contenu litigieux par l’hébergeur, sans astreinte (ce dernier ayant indiqué qu’il exécuterait la décision) et à verser 3.000 euros de dommages-intérêts à l’association en réparation de son préjudice moral.

 

DONNÉES PERSONNELLES

Rappels sur le régime de responsabilité de l’hébergeur : contenu manifestement illicite et traitement de données à caractère personnel

 

CA Paris, Pôle 1, ch. 8, 1er mars 2019, n° 18/15084

Une société a pour activité principale l’hébergement et la création de sites internet, développement de logiciels, gestion d’espaces publicitaires. Elle héberge ainsi le site « annuaire.laposte.fr » et le site « www.société.com ».

Un avocat estime que cette société a associé, via une multitude de sites, son nom et son activité à des numéros de téléphone surtaxés qui ne sont pas les siens, et ce, sans son autorisation ce qui a conduit à un détournement de sa clientèle et que cela lui a causé un préjudice.

L’avocat a adressé une lettre de mise en demeure à la société, laquelle n’a pas donné suite ; le demandeur l’a donc assignée en référé.

Par une ordonnance en référés, les premiers juges du TGI de Paris ont rejeté les demandes de l’avocat en retenant principalement que le demandeur n’avait pas établi, alors que la société X est hébergeur de contenus, la notification préalable des contenus illicites au sens de la loi du 21 juin 2004, de sorte que sa responsabilité civile ne pouvait pas être engagée.

La Cour d’appel a confirmé la décision de premier instance en rappelant qu’en application de la « LCEN », la responsabilité de l’hébergeur ne peut être engagée que lorsque plusieurs conditions cumulatives sont réunies : Le contenu litigieux doit être manifestement illicite ; la personne qui souhaite faire retirer le contenu s’adresse à l’auteur ou à l’éditeur du site et sollicite en motivant sa demande de retrait.

En cas d’absence de réponse positive, la personne peut s’adresser à l’hébergeur en lui notifiant les démarches accomplies, la copie du courrier adressé à l’éditeur ou à l’auteur en lui fournissant les informations prévues à l’article 6, I, 5 de la « LCEN ».

En l’espèce, la Cour relève que la notification ne contient pas les mentions prévues par la loi et ne porte nullement mention d’un avis préalable adressé à l’éditeur ou à l’auteur, demandant le retrait du contenu qualifié d’illicite. Ainsi, le demandeur ne justifiait pas de la notification préalable en cas de contenus illicites, de sorte que la responsabilité civile de l’hébergeur ne peut être engagée. Par ailleurs, n’étant pas responsable du traitement des données à caractère personnel, il ne lui incombe pas d’effectuer une quelconque démarche relative à l’exploitation des dits sites internet, ou à celle des services de mise en relation, type formalités Cnil, éventuel recueil du consentement, informations relatives aux activités de commerce électronique via les dits sites internet, de sorte que nul trouble manifestement illicite ne peut être recherché de ces chefs.