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NTIC – Lettre d’actualité numéro 27

08 décembre 2019 | Derriennic Associés|

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INTERNET

Contenus illicites sur la toile : une responsabilité étendue des hébergeurs

CJUE 3 octobre 2019 Affaire C-18/18

La CJUE a rendu un arrêt particulièrement intéressant sur les obligations pesant sur les hébergeurs (en l’occurrence Facebook) face à un contenu illicite.

Aux termes de la Directive 2000/31 sur le commerce électronique, l’hébergeur bénéficie d’un régime de responsabilité allégée : ce n’est que lorsqu’il a connaissance d’un contenu illicite, que l’hébergeur doit agir promptement pour le supprimer ou en rendre l’accès impossible.

Mais, cette obligation de « retrait » se limite-elle au contenu illicite originel ou peut-elle englober d’autres contenus identiques peu important leur auteur ? Quid en cas de contenus similaires à un contenu illicite ? Quel est le périmètre géographique à prendre en compte pour un tel retrait : national, mondial ?

Autant de questions que la CJUE a tranché invitant les hébergeurs à revoir leurs procédures internes de gestion des informations qu’ils stockent.

En effet, dans son arrêt du 3 octobre 2019 (Affaire C-1818), la CJUE a jugé qu’une juridiction d’un Etat membre peut enjoindre à un hébergeur de supprimer ou de bloquer l’accès, non seulement d’un contenu déclaré illicite précédemment, mais aussi :

1. de contenus identiques et ce, quel qu’en soit leur auteur ;

2. de contenus équivalents, pour autant que :

  • la surveillance et la recherche des informations concernées par une telle injonction soient limitées à des informations véhiculant un message dont le contenu demeure, en substance, inchangé par rapport à celui ayant donné lieu à la déclaration d’illicéité et comportant les éléments spécifiés dans l’injonction ;
  • les différences dans la formulation de ce contenu équivalent par rapport à celle caractérisant l’information déclarée illicite précédemment ne soient pas de nature à contraindre l’hébergeur à procéder à une appréciation autonome de ce contenu (l’on comprend, en revanche, que le recours à des mécanismes automatiques est autorisé) ;

3. et ce, au niveau mondial, dans le cadre du droit international pertinent dont il est du ressort des États membres de tenir compte.

L’application concrète de cette jurisprudence, pour le moins délicate, par les juges nationaux, est très attendue.

DONNÉES PERSONNELLES 

Droit au déréférencement : précisions sur la portée territoriale

CJUE 24 septembre 2019 Affaire C-507/17

Dans un arrêt du 24 septembre 2019, la CJUE a pris position sur la portée territoriale du droit au déréférencement.

Pour rappel, le droit au déréférencement a été établi, à l’origine, par l’arrêt dit « Google Spain » du 13 mai 2014 (CJUE, aff. C-131/12) et consiste pour un individu à obtenir de l’exploitant d’un moteur de recherche la suppression de liens/résultats associés à ses nom et prénom.  Aujourd’hui, il trouve son fondement principalement à l’article 17 du RGPD.

Le litige opposait la société GOOGLE INC. (devenue GOOGLE LLC) à la CNIL, GOOGLE INC. ayant refusé, lorsqu’elle faisait droit à une demande de déréférencement, d’opérer ce déréférencement sur l’ensemble des extensions des noms de domaine de son moteur de recherche (elle les limitait aux noms de domaines dans l’UE). C’est dans ce cadre que la CJUE a été interrogé sur le point de savoir si les règles du droit de l’Union relatives à la protection des données à caractère personnel (la Directive de 95 abrogée mais applicable encore à certains litiges et le RGPD) imposent un déréférencement mondial, européen ou national.

Pour la CJUE, le droit de l’Union, oblige l’exploitant d’un moteur de recherche tel que GOOGLE à opérer le déréférencement sur tout le territoire de l’Union Européenne, à savoir sur les noms de domaine correspondant à l’ensemble des Etats membres de l’Union Européenne et, si nécessaire, avec des mesure permettant effectivement d’empêcher ou, a minima de sérieusement décourager les internautes dans l’UE d’avoir accès via des noms de domaine « non UE » à des liens qui font l’objet de la demande de déréférencement (la technique du géoblocage est à n’en pas douter visée).

Toutefois, la CJUE laisse ouverte la possibilité pour les juridictions nationales d’enjoindre un déréférencement mondial si cela se justifie après mise en balance des droits fondamentaux en jeu (d’une part, le droit de la personne concernée au respect de sa vie privée et à la protection des données à caractère personnel la concernant et, d’autre part, le droit à la liberté d’information).

Ainsi, si la règle de principe est « toute le territoire de l’UE, rien que le territoire de l’UE », elle peut souffrir d’exceptions au profit du « territoire mondial ».

Les critères dégagés par les juridictions des Etats membres des cas justifiant un déréférencement mondial sont attendus.

 

CONTRAT INFORMATIQUE 

Le rapport direct avec l’activité professionnelle exclut le bénéfice du code de la consommation

Cour d’appel de Versailles, 13ème Chambre, Arrêt du 17 septembre 2019, Répertoire général nº 18/04543

Les protections du code de la consommation sur les clauses abusives ne sont pas applicables au contrat de création de site internet si ce dernier a un rapport direct avec l’activité professionnelle du cocontractant, peu importe qu’il ne dispose d’aucune compétence en la matière.

Un artisan couvreur commande auprès d’un prestataire une solution logicielle, ayant pour objet la création d’un site internet et sa maintenance pour une durée irrévocable de 2 ans moyennant paiement mensuel. Suite à la résiliation du contrat pour défaut de paiement des loyers, le client se prévaut de l’application du code de la consommation, concluant au caractère abusif des clauses de résiliation prévues au contrat.

Le TGI de Versailles va considérer que l’article des conditions générales de location relatif à la résiliation est réputé non-écrit sur le fondement des dispositions du code de la consommation.

La cour d’appel rappelle les dispositions du code de la consommation (dans sa version applicable au présent litige) : L’article L. 132-1 alinéa 1 prévoit que ‘dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat‘ et l’article préliminaire énonce que ‘au sens du présent code, est considérée comme un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale.’

Les juges relèvent que le contrat, qui a pour objet la création d’un site internet et sa maintenance afin de faire connaître l’activité professionnelle du client, a été souscrit dans le cadre de son activité artisanale. Le contrat indique dénomination sociale et numéro Sirene et le client a apposé sa signature sous la mention suivante : ‘le client atteste que le contrat est en rapport direct à son activité professionnelle et souscrit pour les besoins de cette dernière‘.

Pour les juges le fait que le client n’exerce pas son activité sous la forme d’une société commerciale est un motif inopérant et peu importe qu’il ne dispose d’aucune compétence en matière informatique ou d’édition, d’hébergement et référencement de site internet ; le contrat a bien un rapport direct avec l’activité professionnelle du client et a été souscrit dans le cadre de son activité artisanale de couvreur en sorte que le client ne peut revendiquer le bénéfice de l’article L. 132-1 du code de la consommation sur les clauses abusives.

Nous noterons que dans cet arrêt, les juges considèrent comme fondée la demande de paiement de la somme correspondant à la totalité des loyers impayés et des loyers à échoir.

Enfin, la cour jugera irrecevable les demandes du client fondées sur les dispositions de l’article L.442-6 du code de commerce et le déséquilibre significatif : la cour d’appel de Versailles est dépourvue de pouvoir juridictionnel pour statuer sur ces demandes, puisqu’en application des articles L. 442-6, III, alinéa 5, et D. 442-3 du code de commerce, la cour d’appel de Paris est seule investie du pouvoir de statuer sur les litiges relatifs à l’application de l’article L. 442-6 du même code.

 

Attention aux clauses de pénalité GTR, clauses limitatives de responsabilité ?  Non ! 

Cour d’appel de Versailles, 12ème Chambre, Arrêt du 24 octobre 2019, Répertoire général nº 18/07160

Dans un contrat télécom d’accès à internet, les garanties de débit et de temps de rétablissement sont des obligations de résultat et le manquement grave de l’opérateur vidant de sa substance l’obligation essentielle souscrite justifie l’inopposabilité de la clause limitative de responsabilité contractuelle que constitue le plafond de pénalité en cas non-respect.

Une société souscrit auprès d’un opérateur de télécommunications, un contrat de fourniture d’un accès au réseau téléphonique et d’un service de connectivité Internet. Insatisfaite du débit de connexion constaté, le client adresse pas moins de 3 mises en demeure sur une période de plus de 6 mois qui resteront sans effet avant que le dysfonctionnement ne soit traité et clôturé le jour même à la suite d’une correction de configuration.

Le tribunal de commerce de Nanterre saisi par le client à l’effet d’obtenir la réparation de son préjudice va condamner le prestataire qui sollicite l’infirmation du jugement.

La cour d’appel relève qu’aux termes du contrat, le prestataire s’est engagé à fournir sur le site client un accès permanent à Internet « à un débit Ethernet symétrique et garanti de 93Mbps » chiffre qui sera donc retenu et considéré comme un engagement de résultat.

Pour les juges, il se déduit que pendant cette période le prestataire non seulement n’a pas respecté son obligation de résultat de garantir le débit prévu mais encore, et a fortiori, son obligation de « Garanties de qualité de service » aux termes desquelles la garantie de temps de rétablissement (GTR) doit être inférieure ou égale à 4 heures.

S’agissant d’une obligation de résultat, il appartenait au prestataire de rapporter la preuve d’un fait qui pourrait l’exonérer de sa responsabilité pendant cette période ce qu’elle ne fait pas et l’absence de réponse aux sollicitations du client pendant une aussi longue période est injustifiée.

La cour va confirmer le jugement sur le principe de la réparation du préjudice, révisant son quantum à environ 15K€, sous réserve de l’examen de l’applicabilité de la clause de limitation de responsabilité. En effet, le prestataire fait grief au tribunal d’avoir dit inopposable la clause de limitation de responsabilité contractuelle plafonnant l’indemnité à la moitié du prix de l’abonnement mensuel, soit 340€.

La cour rappelle la possibilité d’insérer au contrat des clauses limitant la réparation à laquelle est tenue une partie. En l’espèce, la clause prévoit qu’en cas de non-respect des Garanties de Qualité de Service l’opérateur paiera au Client une pénalité plafonnée et en cas de non-respect de la GTR, les pénalités auxquelles peut prétendre le client limitent à 50% du montant de l’abonnement mensuel l’indemnisation d’une absence de rétablissement du service, cette indemnisation qualifiée de « pénalités » constituant la seule conséquence du non-respect par l’opérateur des garanties de qualité service.

Pour les juges, par le non-respect du débit garanti ainsi que du temps de rétablissement également garanti, l’absence de réponse aux mises en demeure et le délai d’intervention et de résolution de la panne de plus de 6 mois, le prestataire a manqué gravement à ses obligations contractuelles et dans ce contexte « le caractère dérisoire de l’indemnisation vide de sa substance l’obligation essentielle souscrite. », « cette limitation crée un déséquilibre entre les parties dans la relation contractuelle puisque le coût d’une absence ou d’un dysfonctionnement du service, et ce quelle que soit la durée de l’absence ou des dysfonctionnements de service, est si faible pour [l’opérateur] qu’il dénature l’obligation de fournir un service avec débit minimum garanti et un délai de rétablissement également garanti, [le] conduisant à n’intervenir que contrainte et forcée à la suite d’une assignation sans respecter ses propres obligations contractuelles. »

La cour confirmera ainsi le jugement en ce qu’il a considéré que ces clauses devaient être, en l’espèce, réputées inopposables au client.

 

Le contrat clé en main n’exclut pas une simple obligation de moyens à la charge d’un prestataire informatique 

Cour d’appel de Colmar, 1ère Chambre A, Arrêt du 30 septembre 2019, Répertoire général nº 17/04831

Même dans le cadre d’une solution ‘clé en main’, lorsque le déploiement est soumis non seulement à un pilotage conjoint des parties, mais également à une part d’aléa et de contraintes technologiques relevant de la responsabilité du client, seule une obligation de moyens peut être mise à la charge du prestataire informatique.

Une société contractualise avec un prestataire informatique dans le cadre d’un « projet de mise en œuvre de la solution », visant à fournir une solution globale « clé en main » comprenant l’assistance, l’intégration de la solution adaptée au contexte de l’entreprise, l’exploitation, le pilotage et la maintenance de tout le système dans le cadre d’un contrat d’abonnement SaaS.

Des dysfonctionnements n’étant pas résolus, le client exige l’annulation de la commande puis assigne son cocontractant devant le TGI de Strasbourg, sollicitant le remboursement de factures et le paiement de dommages-intérêts ; le prestataire demande, à titre reconventionnel, l’indemnisation des préjudices du fait de la résolution unilatérale du contrat.

Le tribunal donne raison au demandeur, considérant notamment que le prestataire, tenu à une obligation de résultat, n’avait pas réussi à faire fonctionner et adapter le progiciel aux besoins du client. Le jugement relève que le client n’avait aucune maîtrise du produit et se trouvait à la discrétion du prestataire qui agissait comme un maître d’œuvre.

La cour d’appel de Colmar infirme le jugement et déboute le client de l’intégralité de ses demandes, retenant principalement que le prestataire n’était tenu que d’une obligation de moyen et que le client, qui avait à sa charge la gestion du réseau Internet et sa capacité, n’a pas mis en place la connexion professionnelle qui était préconisée.

Après le succès du pourvoi, la même cour, autrement composée, doit se prononcer à nouveau.

Pour la cour d’appel sur renvoi, si le système mis en œuvre revêtait un caractère de nouveauté, avec la mise en œuvre de solutions technologiques innovantes, dans le cadre d’une solution ‘clé en main’, il n’en demeure pas moins que le déploiement de l’installation était soumis non seulement à un pilotage conjoint des parties, mais également à une part d’aléa et de contraintes technologiques relevant de la responsabilité du client. Dès lors, seule une obligation de moyens peut être mise à la charge du prestataire informatique.

Les dysfonctionnements sont bien établis mais la plupart ont reçu solution et s’ils constituent des inconvénients, ils ne traduisent pas en eux-mêmes une inaptitude du système à fonctionner, sauf en ce qui concerne la lenteur persistante du système. Or, aux termes de la matrice de responsabilité (RACI), la gestion de la capacité du réseau internet relevait du client qui disposait d’une liaison internet d’une capacité insuffisante.

Dans ces conditions, la cour considère que c’est sans motif que le client a procédé à la résiliation unilatérale du contrat alors même qu’il a manqué à l’obligation de collaboration qui lui incombait.

La cour relève également que le client, lorsqu’il entend annuler sa commande, tout en conviant son cocontractant à une reprise de l’installation, a déjà confié à un tiers la reprise du logiciel et que le client a refusé de nouveaux tests, n’ayant par conséquent pas fait preuve de la loyauté contractuelle.

Au regard des conditions fautives de la rupture du contrat, imputable au client, c’est donc à juste titre que le prestataire informatique sollicite la réparation des préjudices résultant du défaut d’exécution du contrat consécutivement à cette rupture : pour les juges d’appel, celui-ci a indûment perdu le bénéfice de la redevance mensuelle fixe convenue entre les parties pour un montant mensuel sur la durée totale du contrat (60 mois), somme que le client sera donc condamné à payer.