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NTIC – Lettre d’actualité numéro 32

25 août 2020 | Derriennic Associés |

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DIGITAL

Airbnb, qualifiée d’éditeur de contenus et responsable à ce titre

Tribunal judiciaire de Paris, pôle civil de proximité, jugement du 5 juin 2020

Par un jugement du 5 juin 2020, le tribunal judiciaire de Paris a estimé qu’Airbnb jouait un rôle actif dans la mise en relation des voyageurs et des hôtes. Par conséquent, elle ne joue pas un simple rôle d’hébergeur mais elle est qualifiée d’éditeur.

Par un contrat de bail en février 2016, un logement meublé à Paris 4ème a été loué pour une durée de 12 mois prenant effet le 1er mars 2016, moyennant un loyer de 977 euros charges comprises. Le contrat comportait une clause interdisant au locataire de céder ou sous­ louer le logement, sauf accord écrit du bailleur (y compris sur le prix du loyer).

Constatant que son logement était sous-loué, le bailleur a saisi le juge des référés lequel a ordonné à Airbnb de communiquer le relevé des transactions relatif aux sous-locations litigieuses.

Il s’avère que le locataire avait sous-loué ledit logement 87 fois en 2016 et 77 fois en 2017, pour un total de 51 000 € et Airbnb avait perçu une commission de 1 558 €.

Le tribunal estimant que :

La société AIRBNB IRELAND est une société ayant pour objet, par l’intermédiaire d’une plate-forme numérique prenant la forme du site internet www.airbnb.fr qu’elle administre, la mise en relation entre des personnes souhaitant proposer leur logement à la location, « les hôtes » avec d’autres personnes en recherche d’un logement pour une courte durée, « les voyageurs ».

A contrario, lorsqu’elles jouent un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données, ces personnes, physiques ou morales, ont le statut d’éditeur.

Dans ses conditions générales d’utilisation, Airbnb se réserve le droit de retirer tout contenu qui y contrevient et ceux qui respectent ses règles, peuvent se voir qualifier de « superhost ».

Le tribunal en conclut que « AIRBNB a un droit de regard et s’arroge le droit de retirer un contenu pour non­ respect des conditions contractuelles mais également pour toute autre raison à  son  entière discrétion ». Le tribunal déclare ainsi que la société AIRBNB n’exerce pas une simple activité d’hébergement à l’égard des hôtes, mais a bien une activité d’éditeur compte tenu :

  • du caractère actif de la démarche de la société AIRBNB dans la mise en relation des hôtes et des voyageurs et,
  • de son immixtion dans le contenu déposé par les hôtes sur sa plateforme.

En contrôlant les contenus des hôtes, la plateforme exerce une activité illicite d’intermédiaire et commet une faute en s’abstenant de toute vérification dans l’annonce d’un meublé qui était une sous-location prohibée.

Le tribunal l’a condamnée à verser au bailleur lésé 51 939 € à titre de réparation ainsi que 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. 

 

Une responsabilité indirecte des plateformes en ligne pour les contenus illicites qu’elles hébergent ?

Conclusions de l’avocat général du 16 juillet 2020 (affaires jointes C-682/18,C-683/18)

L’avocat général SAUGMANDSGAARD ØE a invité la CJUE à juger que ces plateformes (telles que YouTube) ne sont pas directement responsables de la mise en ligne illégale d’œuvres protégées par les utilisateurs.

Pour rappel, la directive 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique a créé un régime spécifique pour ces acteurs, lesquels doivent obtenir une autorisation des titulaires des droits d’auteur pour les œuvres mises en ligne par les utilisateurs sur leur plateforme. Cette directive doit être transposée par les Etats membres d’ici le 7 janvier prochain. De nombreux cas ne sont ainsi pas, à ce jour, soumis à ce nouveau régime de responsabilité.

A l’occasion de deux litiges distincts relativement à la mise en ligne de contenus illicites sur la plateforme Youtube, d’une part, et la plateforme, Uploaded, d’autre part, la CJUE a ainsi été interrogée sur la responsabilité de ces plateformes à la lumière des directives alors applicables : la directive 2001/29 sur l’harmonisation  de certains aspects des droits d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, la directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle et la directive 2000/31 sur le commerce électronique.

L’avocat général a donc pris position en considérant que ces plateformes ne peuvent être directement responsables d’une telle mise en ligne dans la mesure où :

  • elles n’effectuent pas elles-mêmes un « acte de communication au public » au sens de la directive 2001/29, droit exclusif appartenant aux auteurs desdits contenus, mais fournissent des installations permettant aux utilisateurs de réaliser un tel acte (rôle par principe d’intermédiaire) ; étant précisé que cette directive n’a pas vocation à régler la responsabilité « secondaire », à savoir celles des personnes facilitant la réalisation par un tiers d’un tel acte illicite, qui relèverait du droit national ;
  • elles pourraient par principe bénéficier du régime exonératoire de responsabilité de la directive 200/31 : pas de responsabilité des informations qu’elles stockent sauf si après avoir pris connaissance ou eu conscience de leur caractère illicite, elles n’ont pas agi promptement pour les retirées ou les rendre inaccessibles.

Par ailleurs, l’avocat général propose à la CJUE de juger que « indépendamment de la question de la responsabilité les titulaires de droits peuvent obtenir, en vertu du droit de l’Union, des injonctions judiciaires à l’encontre des exploitants de plateformes en ligne, susceptibles de leur imposer des obligations » « dès lors qu’il est établi que des tiers portent atteinte à leurs droits, via le service des exploitants de plateformes, sans devoir attendre qu’il y ait eu récidive et sans avoir à démontrer un comportement fautif de l’intermédiaire » (cf. Communiqué de presse n°96/20 du 16 juillet 2020 de la CJUE).

Si ces conclusions ne lient pas la CJUE, elles dessinent des tendances qui sont généralement suivies. La position de la Cour est donc particulièrement attendue afin de clarifier la responsabilité des plateformes en ligne soumises au régime « actuel » avant la transposition de la directive 2019/790.

 

INFORMATIQUE

La réparation de la contrefaçon de logiciel : dommages et intérêts ET désinstallation !

CA Aix-en-Provence, Arrêt du 5 mars 2020, n°17/15324Il La reproduction non autorisée d’un logiciel, le client ayant installé, selon l’audit réalisé à la demande de l’éditeur, plus de licences qu’autorisé, constitue une contrefaçon. L’indemnisation doit être calculée sur la base du prix d’acquisition des licences et non sur le prix public qui aboutirait à une majoration sans fondement. Ces dommages et intérêts ne réparent le préjudice que s’ils sont accompagnés de mesures de désinstallation des licences illicites puisque le maintien de cette installation fait persister cette illicéité.

Un établissement public de santé acquiert à partir de 1995, puis par différentes commandes, des licences de droit d’usage pour un progiciel auprès d’un revendeur et d’une société qui sera fusionnée avec un éditeur, désormais titulaire des droits d’auteur. Ce dernier fait réaliser un audit par un prestataire externe et conclut à un défaut de licences portant sur plusieurs milliers de copies du logiciel et un préjudice qu’elle chiffre à plus de 3M€.

En 2012, l’éditeur fait assigner le client en contrefaçon devant le TGI de Marseille qui va, en 2017, condamner le client à régler une somme de 271K€ au titre de la contrefaçon de droits d’auteur, déboutant l’éditeur du surplus de ses demandes et notamment des demandes tendant à la condamnation du client à des mesures réparatrices.

Le client interjette appel soutenant en particulier que :

  • le marché permettait de commander des licences supplémentaires et le jugement ne pouvait valablement se fonder sur les conditions générales de licence aux fins d’établir la contrefaçon dès lors que celles-ci lui sont inopposables ;
  • la comptabilisation des licences ne pouvait se fonder que sur l’utilisation effective et non sur la simple installation ou copie sur un poste de travail, conduisant à un écart effectif réduit ;
  • l’audit est dénué de force probatoire eu égard à la contrefaçon alléguée : son auteur est un prestataire engagé et rémunéré par l’éditeur pour son compte. En acceptant sans contrainte qu’il procède aux vérifications de conformité, le client n’a pas entendu se soumettre intégralement et sans réserves aux chiffres et conclusions du rapport d’audit qu’il remet en cause ;
  • les prix de licences du logiciel et taux d’intérêts appliqués par l’éditeur pour le calcul de préjudice sont sans pertinence ; le prix à retenir par licence est celui effectivement appliqué dans le marché.

L’éditeur demande confirmation du jugement ayant déclaré le client coupable d’actes de contrefaçon des logiciels par dépassement du nombre des licences d’installation concédées mais il conteste le calcul de son préjudice ; il fait notamment valoir que :

  • les conditions générales de la licence sont bien opposables au client ; même en l’absence de relation contractuelle formelle entre le titulaire des droits d’auteur et le contrefaisant, le client connaissait parfaitement les limites posées ;
  • la métrique de comptabilisation des licences est l’installation du logiciel sur le poste informatique et non son utilisation ;
  • le rapport d’audit, réalisé contradictoirement, est valable et a pleinement force probante ;
  • le préjudice subi est à calculer sur la base des prix standard publics unitaires du logiciel vu la violation de ses droits de propriété intellectuelle.

L’éditeur sollicite également la condamnation du client à désinstaller sous astreinte les licences installées en fraude de ses droits.

La Cour va confirmer le jugement en ce qu’il a retenu :

  • l’opposabilité au client du contrat de licence dont sont actuellement bénéficiaires les sociétés éditrices. Bien que n’existant pas pour les logiciels litigieux de relation contractuelle entre elles, puisque le client a acquis les logiciels auprès d’autres sociétés, le client a signé une commande stipulant que le droit d’utilisation du logiciel est régi par les termes et conditions du contrat de licence, puis un accord qui précise que le logiciel est accompagné de l’accord de licence ;
  • que la reproduction non autorisée du logiciel constitue une contrefaçon ;
  • que, selon les termes du marché, la licence dépend de l’installation et non de l’utilisation effective ;
  • que l’audit réalisé avec la participation volontaire du client constitue une base de raisonnement concernant l’étendue de cette contrefaçon ;
  • le principe de calcul du préjudice : l’éditeur base sa demande d’indemnisation sur le prix des licences installées sans droit mais ce prix ne peut être que celui consenti au client et non le prix public qui aboutirait à majorer sans fondement le préjudice, d’autant que le client aurait acquis les licences litigieuses au seul prix contractuel.

La Cour infirme cependant le jugement sur le montant de l’indemnisation en retenant exactement le nombre de défauts de licences établi par le rapport, soit au total 360K€.

Enfin, selon la juridiction d’appel, les dommages et intérêts ne répareront le préjudice que s’ils sont en outre accompagnés des mesures de désinstallation des licences illicites réclamée par l’éditeur, et écartées de manière erronée par le Tribunal puisque le maintien de cette installation fait persister cette illicéité. Le client est donc condamné à désinstaller sous astreinte les licences installées sans droits.

 

Marchés publics entre pouvoirs adjudicateurs,

« contrats à titre onéreux » : des précisions de la CJUE

CJUE, 28 mai 2020, aff. C-796/18, Informatikgesellschaft für Software-Entwicklung

Dans un arrêt rendu le 28 mai 2020, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) se prononce pour la première fois sur les conditions d’exclusion du champ d’application de la Directive 2014/24/UE sur la passation des marchés conclus exclusivement entre deux pouvoirs adjudicateurs.

Le litige opposait une entreprise spécialisée dans les logiciels et les services informatiques à la ville de Cologne, à la suite de l’acquisition par marché public par le Land de Berlin d’un logiciel de gestion des interventions des pompiers auprès de la société Sopra Steria Consulting GmbH.

Le Land de Berlin avait initialement acquis ce logiciel auprès d’une société privée, puis l’avait mis à disposition de la Ville de Cologne, gratuitement et de manière permanente.

Il a ainsi conclu deux contrats avec la ville de Cologne : l’un prévoyant une mise à disposition gratuite du logiciel au bénéfice de celle-ci, et l’autre une coopération afin de développer ledit logiciel.

Le premier contrat était assorti d’un accord de coopération signé le même jour prévoyant que les adaptations du logiciel ou les modules techniques complémentaires développés par l’un des partenaires devaient être proposés gratuitement à l’autre.

Le tribunal régional supérieur de Düsseldorf, s’interrogeant sur la qualification et le régime juridique exact à retenir pour cette coopération entre deux pouvoirs adjudicateurs, a saisi la CJUE en interprétation de la directive 2014/24/UE sur la passation des marchés publics.

Dans cet arrêt, la Cour rappelle, tout d’abord, la définition du marché public posée à l’article 2, paragraphe 5 de la directive selon laquelle les marchés seraient « des contrats à titre onéreux ». Aussi, elle précise que l’accord de coopération en cause constitue un contrat à titre onéreux et, donc, un marché public, dès lors que la participation aux futurs développements est inévitable et implique le financement de modules complémentaires qui devront par la suite être mis gratuitement à la disposition de l’autre partenaire.

Elle ajoute ensuite, qu’un accord qui instaure une coopération entre pouvoirs adjudicateurs et porte sur des missions de service public est exclu du champ d’application de la directive, dès lors qu’il porte sur des activités accessoires qui contribuent à la réalisation effective desdits services publics.

Toutefois, la Cour indique que le principe d’égalité de traitement s’applique. L’accord ne peut donc avoir pour effet de placer l’entité privée auprès de laquelle le logiciel a été acquis et qui en assure la maintenance dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents. Il appartient au juge national de vérifier que la maintenance, l’adaptation ou le développement du logiciel font l’objet d’un marché public, que les candidats ont accès au code source du logiciel et que cet accès permet de s’assurer que les opérateurs économiques intéressés par la passation du marché concerné soient traités d’une manière transparente, égalitaire et non discriminatoire.

Ainsi, le contrat par lequel un pouvoir adjudicateur met un logiciel à la disposition d’un autre pouvoir adjudicateur, en contrepartie d’une participation gratuite aux futurs développements dudit logiciel, constitue un marché public qui ne doit pas avoir pour effet de placer une entreprise privée dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents.

 

DONNÉES PERSONNELLES

Publication des comptes d’une SAS unipersonnelle : une atteinte proportionnée à la protection des données de son associé

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 24 juin 2020, n°19-14.098

Dans un arrêt du 24 juin 2020, la Cour de cassation s’est prononcée sur le point de savoir si la publication des comptes d’une société par actions simplifiée pouvait constituer une atteinte disproportionnée à la protection des données de son associé unique.

Un juge chargé de la surveillance du registre du commerce et des sociétés d’un tribunal de commerce a enjoint au président et unique associé d’une SAS, de procéder au dépôt des comptes annuels de cette société pour plusieurs exercices, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Cet associé unique n’ayant pas déféré à cette injonction, le même juge l’a condamné à payer au Trésor public la somme de 3.000 € en liquidation de l’astreinte.

L’associé a formé un pourvoi en cassation contre la décision du président du tribunal de commerce, lui reprochant d’avoir, en lui enjoignant de publier les comptes de la SAS, porté une atteinte disproportionnée à son droit à la protection des données personnelles, en l’occurrence d’ordre patrimoniale.

En effet, selon l’associé, la divulgation de la situation patrimoniale d’une personne physique constitue une donnée à caractère personnel protégée et l’associé unique d’une société commerciale propriétaire d’un unique bien, soumise à l’obligation de déposer ses comptes au greffe du tribunal de commerce, voit ainsi des informations d’ordre patrimonial le concernant divulguées aux tiers sans y avoir consenti.

La Cour de cassation, dans son arrêt n°258 du 24 juin 2020 (19-14.098), a confirmé que les données portant sur le patrimoine d’une personne physique relevaient bien de sa vie privée. Néanmoins, pour les juges du quai de l’Horloge, les comptes annuels d’une société par actions simplifiée unipersonnelle ne constituent qu’un des éléments nécessaires à la détermination de la valeur des actions que possède son associé unique, dont le patrimoine, distinct de celui de la société, n’est qu’indirectement et partiellement révélé.

La Cour en a conclu que l’atteinte portée au droit à la protection des données à caractère personnel de l’associé était proportionnée au but légitime de détection et de la prévention des difficultés des entreprises, poursuivi par les dispositions de l’article L611-2, II du Code de commerce.

Elle a, en conséquence, rejeté le pourvoi formé par l’associé unique.

 

PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

Les adresses courriels et IP ne sont pas des « adresses » au sens la directive européenne relative au respect des droits de propriété intellectuelle

Cour de justice de l’Union européenne, 5ème ch., arrêt du 9 juillet 2020

Dans un arrêt rendu le 9 juillet 2020, la Cour de Justice de l’Union Européenne est venue circonscrire la notion « d’adresses » telle que visée à l’article 8, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle.

Pour rappel, la directive 2004/48/CE prévoit la possibilité pour les autorités judiciaires d’ordonner la fourniture d’informations sur l’origine et les réseaux de distribution des marchandises ou des services qui portent atteinte à un droit de propriété intellectuelle. Parmi ces informations figurent notamment les « adresses » des producteurs, distributeurs et fournisseurs des marchandises ou des services contrefaisants.

En l’espèce, en 2013 et 2014, deux films ont été téléversés par plusieurs utilisateurs de la plateforme vidéo YouTube, sans l’accord préalable du titulaire des droits d’exploitation exclusifs sur ces œuvres en Allemagne.

Ces derniers ont été visionnés plusieurs dizaines de milliers de fois. Le titulaire des droits a alors exigé, que la plateforme YouTube lui fournisse un ensemble d’informations relatives à chacun des utilisateurs ayant procédé aux téléversements litigieux parmi lesquelles figuraient les adresses courriels et IP.

La plateforme a refusé de fournir les informations relatives à ses utilisateurs et en particulier, leurs adresses courriel et numéros de téléphone ainsi que les adresses IP utilisées par ceux-ci tant au moment du téléversement des fichiers concernés qu’au moment du dernier accès à leur compte YouTube.

La question préjudicielle portée devant la Cour de Justice de l’Union Européenne consistait à déterminer si de telles informations relevaient de la notion d’« adresses », au sens de la directive 2004/48.

La Cour de Justice de l’Union Européenne a répondu par la négative considérant que la notion d’ « adresses » était une notion autonome de droit européen qui devait s’entendre au sens stricte, c’est-à-dire comme le lieu de domicile ou de résidente d’une personne déterminée.

Toutefois, la Cour de Justice de l’Union Européenne est venue nuancer cette position en précisant que les États membres avaient la faculté d’accorder aux titulaires de droits de propriété intellectuelle le droit de recevoir une information plus étendue, sous réserve, toutefois, que soit assuré un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux en présence et du respect des autres principes généraux du droit de l’Union, tels que le principe de proportionnalité.

Aussi, la possibilité pour les titulaires de droits d’avoir accès aux adresses courriels et IP des contrefacteurs n’est pas totalement fermée. Toutefois, ces derniers devront justifier que leur communication constitue une atteinte proportionnée au droit de la protection des données à caractère personnel. Ce qui ne devrait pas être une mince affaire.

 

La qualification de diffamation retenue à tort pour la publication d’une photo portant atteinte au droit à l’image

Cass. 1ere civ, 25 mars 2020, n°18-26.060

Dans un arrêt du 25 mars 2020, la Cour de cassation a estimé que la publication par erreur de la photographie d’une personne, pour illustrer un article consacré à un individu soupçonné de terrorisme, s’analyse comme une atteinte au droit à l’image et non comme une diffamation régie par les dispositions de la loi de 1881.

En l’espèce, une femme avait trouvé la mort au cours d’une opération de police menée à la suite des attentats terroristes survenus le 13 novembre 2015. Par erreur, une photographie de sa sœur avait été publiée par différents journaux et sites internet pour illustrer l’événement.

La sœur de la défunte, invoquant l’atteinte ainsi portée au droit dont elle dispose sur son image, a assigné les sociétés défenderesses afin d’obtenir la réparation de son préjudice, ainsi que la suppression de la photographie litigieuse sur les sites en cause.

Dans un arrêt du 31 janvier 2018, la Cour d’appel de Paris a constaté que l’action de la demanderesse était relative à une diffamation à son égard et a déclaré celle-ci irrecevable comme prescrite. En effet, elle a retenu que le fait qu’il s’agisse d’une erreur grossière n’ôtait rien au fait que la photographie litigieuse et sa légende lui imputaient un comportement criminel attentatoire à son honneur et à sa considération et que, dès lors, la diffusion de son image dans de telles conditions était constitutive d’une diffamation à son égard.

La Cour d’appel, a requalifié en action fondée sur une diffamation une action exercée à l’encontre de divers éditeurs de journaux et sites internet sur le fondement de l’atteinte portée au droit à l’image, le texte accompagnant la photographie litigieuse imputait des agissements criminels exclusivement à la sœur de la demanderesse.

La demanderesse s’est alors pourvue en cassation.

Les Hauts magistrats ont rappelé dans cet arrêt du 25 mars 2020 que « la diffamation visant une personne ne peut rejaillir sur une autre que dans la mesure où les imputations diffamatoires lui sont étendues, fût-ce de manière déguisée ou dubitative, ou par voie d’insinuation ».

La Cour de cassation a ainsi considéré qu’une action tendant à la seule réparation d’une atteinte au droit à l’image sur le fondement exclusif de l’article 9 du Code civil et ce, sans qu’il ne soit invoqué d’allégations ou d’imputations portant atteinte à l’honneur et à la considération de la personne représentée sur une photographie, ne pouvait être requalifiée par le juge en action en diffamation.