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Placer un lien hypertexte renvoyant vers un contenu contrefaisant est-il constitutif d’une violation du droit d’auteur ?

06 juin 2016 | Derriennic Associés|

Conclusions de l’Avocat général près la CJUE, 7 avril 2016(Affaire C-160/15)

L’affaire opposait l’éditeur de la célèbre revue PLAYBOY, la société SANOMA, à l’exploitant d’un site internet d’annonces, la société GS MEDIA. SANOMA reprochait à GS MEDIA de publier sur son site des annonces contenant des hyperliens renvoyant à un site internet tiers sur lequel des photographies appartenant à SANOMA étaient publiées sans l’autorisation de cette dernière. SANOMA a ainsi sommé, à plusieurs reprises, GS MEDIA de supprimer ces liens hypertextes, en vain. En effet, si le site tiers procédait bien à la suppression des photographies litigieuses à la demande de SANOMA, de nouvelles annonces étaient publiées sur le site de GS MEDIA contenant un nouveau lien hypertexte renvoyant vers un nouveau site tiers sur lesquelles lesdites photos étaient accessibles.

Considérant qu’une telle pratique portait atteinte à ses droits d’auteur, SANOMA a saisi les juridictions néerlandaises, compétentes en l’espèce.  Les juges néerlandais ont relevé que les photos n’étaient pas introuvables avant que GS MEDIA ne place l’hyperlien, mais que, en même temps, elles n’étaient pas faciles à trouver de sorte que le placement de l’hyperlien avait un caractère éminemment simplificateur.

C’est dans ce cadre que la CJUE a été saisie en interprétation de la Directive du 22 mai 2001 sur le droit d’auteur et les droits voisins, afin de savoir si les liens hypertextes publiés sur le site de GS MEDIA constituent ou non des actes de communication au public. En effet, aux termes de la Directive de 2001, chaque acte de communication d’une œuvre au public doit être autorisé par le titulaire du droit d’auteur.

L’avocat général près la CJUE vient de livrer sa position dans des conclusions datées du 7 avril 2016.

Celui-ci considère que  les hyperliens qui conduisent même directement, vers des œuvres protégées ne les « mettent pas à la disposition » d’un public lorsqu’elles sont déjà librement accessibles sur un autre site et ne servent qu’à faciliter leur découverte. Selon l’avocat général, l’acte qui réalise la véritable «mise à disposition » est le fait de la personne qui a effectué la communication initiale. Par conséquent, les hyperliens qui sont placés sur un site internet et qui renvoient vers des œuvres protégées librement accessibles sur un autre site ne peuvent pas être qualifiés d’ « acte de communication » au sens de la directive.

Aussi, l’avocat général a souligné que les motivations de GS MEDIA et le fait qu’elle savait ou devait savoir que la communication initiale des photos sur ces autres sites n’avait pas été autorisée par SANOMA ou que ces photos n’avaient pas non plus été mises auparavant à la disposition du public avec l’accord de cette dernière sont sans incidence sur une telle conclusion (hypothèse prise de ce que les photos étaient librement accessibles sur les sites des tiers à l’ensemble des internautes, l’avocat renvoyant à l’appréciation des juges du fond la question de savoir si l’intervention de GS MEDIA était indispensable pour mettre les photos à la disposition des visiteurs de son site).

Pour l’avocat général, toute autre interprétation de la notion de communication au public entraverait considérablement le fonctionnement d’internet et porterait atteinte à un des principaux objectifs de la directive de 2001 : le développement de la société d’information en Europe. Ainsi, même en présence de circonstances flagrantes, l’avocat général a adopté une position stricte vis-à-vis des titulaires de droits, considérant que les internautes ne savent pas et ne disposent pas des moyens pour vérifier si la communication d’une œuvre protégée librement accessible sur internet a été faite avec ou sans le consentement du titulaire du droit d’auteur concerné.

A noter qu’en France, la responsabilité des intermédiaires lorsqu’ils donnent accès au public à des œuvres ou des objets protégés par le CPI au moyen d’outils automatisés est actuellement débattue (dans le cadre du projet de loi pour une République numérique). La position de la CJUE sur cette question dont les enjeux pratiques sont conséquents est donc attendue avec impatience. A suivre…