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Un simple signalement d’un contenu litigieux via les outils de signalement du site suffit à établir la connaissance dudit contenu par le directeur de la publication

30 janvier 2016 | Derriennic Associés|

Crim. Cass, 3 novembre 2015 – Francis X

La loi HADOPI du 12 juin 2009 avait institué un régime de responsabilité aménagé au profit des directeurs de la publication(dernier alinéa de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982) qui semblait emprunter le régime de responsabilité aménagé des fournisseurs d’hébergement (articles 6-I-3 de la LCEN du 21 juin 2004).

Pour engager la responsabilité pénale d’un directeur de la publication d’un site internet suite à la mise en ligne d’un contenu illicite, la doctrine ainsi que les praticiens conseillaient de procéder aux formalités de notification requises par l’article 6-1.5 de la LCEN.

Or, dans un arrêt du 3 novembre 2015, la Cour de cassation a considéré que pour mettre en œuvre la responsabilité d’un directeur de la publication, il n’était pas nécessaire de lui notifier le contenu litigieux suivant les formes de l’article 6-1.5 de la LCEN, la simple utilisation des outils de modération pour signaler ledit contenu suffit.

Dans l’affaire commentée, le site lefigaro.fr (comme de nombreux sites de presse en ligne) permet aux internautes d’émettre des commentaires à la suite d’un article. Ligne éditoriale oblige, la modération de ce contenu généré par les utilisateurs se réalise a priori : le contenu n’est publié qu’à condition qu’il ait été préalablement validé par un modérateur lequel vérifie en amont s’il respecte ou non la « charte » des espaces contributifs. Loi oblige, des outils de signalement sont mis à la disposition des internautes pour qu’ils signalent les contenus dits illicites.

Suite à un message écrit par un internaute via l’espace de contribution personnelle et validé a priori par un modérateur, une personne (Francis X) s’estimant victime de diffamation a alerté la modération via i) les outils de signalement et ii) l’adresse mail de contact. Le contenu litigieux n’a été retiré qu’un mois après son signalement et Francis X a donc décidé d’engager la responsabilité du directeur de la publication au titre de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982.

Afin d’échapper à sa responsabilité, le directeur de la publication prétendait qu’il n’avait pas eu connaissance du contenu litigieux sur l’espace de contribution personnelle car :

  • Francis X n’avait pas signalé ledit contenu dans les formes requises par l’article 6-1.5, LCEN du 21 juin 2004
  • et, qu’en tout état de cause, il n’aurait pas pu prendre personnellement connaissance du message litigieux en raison de l’externalisation du service de modération.

Loin de convaincre la Cour de cassation, cette-dernière a approuvé les juges du fond en considérant que : « en sa qualité de directeur de la publication d’un service de communication en ligne mettant à la disposition du public un espace de contributions personnelles, mais également la possibilité d’alerter en temps réel un service de modération sur le contenu des messages déposésdans cet espace, M. Y… avait été mis en mesure, dès les alertes postées par M. X…, d’exercer son devoir de surveillance sur ledit commentaire, qui n’avait pour autant pas été retiré promptement ; (…) la cour d’appel a fait l’exacte application du dernier alinéa de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 » ;

En pratique donc, il convient de retenir que :

  • les formalités de l’article 6-1.5, LCEN du 21 juin 2004 ne s’appliquent pas au bénéfice des directeurs de la publication ;
  • l’externalisation d’un service de modération n’a pas pour effet de faire échapper au directeur de la publication d’un site de communication en ligne sa responsabilité pénale ;
  • l’utilisation des outils de signalement par un internaute s’estimant victime de propos réprimés par la loi suffit à établir la connaissance « personnelle», par le directeur de la publication, d’un message litigieux en ligne et donc, engager sa responsabilité, s’il n’a pas agi promptement pour faire retirer ledit message.

Notons que l’arrêt commenté ne précise pas que la technique de« fixation préalable d’un message » (ou modération « a priori »)suffit à constater qu’un directeur de la publication aurait« effectivement » eu connaissance du message litigieux avant sa mise en ligne.

Ainsi, la forme de modération n’est plus un critère en soi pour qu’un directeur de la publication puisse bénéficier du régime de responsabilité aménagé, et ceci, en conformité avec l’esprit de la loi Hadopi précitée.