CONTACT

Refuser de donner son code de déverrouillage de téléphone à un fonctionnaire de police lors d’une garde à vue peut être constitutif d’une infraction pénale autonome

26 octobre 2020 | Derriennic Associés |

Cass. crim., 13 oct. 2020, n° 20-80.150.

Résumé : Le refus de remettre le code de déverrouillage d’un téléphone portable peut être constitutif du délit de refus de remettre une convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie à une autorité judiciaire prévu à l’article 434-15-2 du Code pénal lorsque (i) le téléphone est équipé d’un moyen de cryptologie et que (ii) ce refus fait suite à la réquisition d’un officier de police judiciaire.

Un homme est placé en garde à vue dans le cadre d’une enquête de flagrance pour des infractions présumées liées au trafic de stupéfiants. Lors des interrogatoires diligentés, les officiers de police judiciaire lui enjoignent de leur communiquer les codes de déverrouillage des téléphones portables retrouvés en sa possession. Ce dernier refuse.

Il est cité à comparaitre devant le Tribunal correctionnel compétent qui le reconnait coupable de diverses infractions à la législation relative aux stupéfiants et du délit de refus de remise d’une convention de déchiffrement d’un moyen de cryptologie, prévu par l’article 434-15-2 du Code pénal.

Le prévenu interjette appel et la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 16 avr. 2019, n° 18/09267) le relaxe considérant (i) que la demande faite par un fonctionnaire de police ne constituait pas une réquisition émanant d’une autorité judiciaire et que (ii) un code de déverrouillage d’un téléphone portable « d’usage courant » ne constitue pas un moyen de cryptologie car il ne permet pas de déchiffrer des données ou messages cryptés mais ouvre simplement l’accès aux données qui y sont contenues.

Le procureur général près la Cour de cassation forme un pourvoi dans le seul intérêt de la loi et, dans un arrêt du 13 octobre 2020, la Cour de cassation va casser et annuler l’arrêt d’appel.

La chambre criminelle considère d’abord que la condition préalable du délit, à savoir l’existence de réquisitions émanant de l’autorité judiciaire est acquise lorsque « la réquisition est délivrée par un officier de police judiciaire agissant en vertu des articles 60-1, 77-1-1 et 99-3 du code de procédure pénale, dans leur rédaction applicable au litige, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, entre dans les prévisions » du délit.  En d’autres termes, la Cour considère que, dans le cadre d’une enquête de flagrance, les réquisitions peuvent émaner de l’officier de police judiciaire, voire d’un l’agent de police judiciaire dans la mesure où ils sont placés sous le contrôle de l’autorité du Procureur de la République.

En l’espèce elle considère toutefois, que l’injonction des officiers de police était une « simple demande formulée au cours d’une audition, sans avertissement que le refus d’y déférer est susceptible de constituer une infraction pénale » qui n’était pas constitutive d’une réquisition. Elle rejette donc la première branche du pourvoi.

Sur la seconde branche du pourvoi, la chambre criminelle casse l’arrêt d’appel qui avait considéré qu’un code de déverrouillage d’un téléphone portable était « d’usage courant » et donc exclusif de toute qualification de convention secrète d’un moyen de cryptologie au titre de l’article 434-15-2 du code pénal. Celle-ci reproche à la Cour d’appel de s’être fondée sur « la notion inopérante de téléphone d’usage courant ».

La Haute juridiction rappelle la définition de la convention secrète d’un moyen de cryptologie tel que prévu par l’article 29 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 et précise que « la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie contribue à la mise au clair des données qui ont été préalablement transformées, par tout matériel ou logiciel, dans le but de garantir la sécurité de leur stockage, et d’assurer ainsi notamment leur confidentialité ».

Aussi, la chambre criminelle en déduit que le code de déverrouillage d’un téléphone portable peut constituer une telle convention lorsque ledit téléphone est équipé d’un moyen de cryptologie. La Cour d’appel a méconnu cette définition légale et son arrêt encoure la cassation.

L’application de la solution dégagée s’avérera certainement laborieuse pour les juges du fond dans la mesure où ils devront, au cas pas cas, déterminer si le téléphone portable dont le code de déverrouillage est demandé embarque ou non, un moyen cryptologie.

De manière plus générale, cette décision constitue un nouveau recul du droit de ne pas s’auto-incriminer au profit de la recherche de la vérité.