La loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (ci-après, la « Loi Devoir de Vigilance ») se trouve, sept ans après son adoption, au cœur de l’actualité judiciaire.
Les trois arrêts rendus par la Cour d’appel de Paris ainsi que la parution le 14 juin 2024 du Rapport de la Commission d’enquête du Sénat sur les moyens mobilisés et mobilisables par l’État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe Total Energies de ses obligations climatiques, sont une double occasion de revenir sur le contentieux du devoir de vigilance.
La Loi Devoir de Vigilance a créée dans le code de commerce, en son article L225-102-4, une obligation à la charge de toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger, d’établir et de mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance, visant notamment à « identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement ».
Le 5 décembre 2023, le Tribunal judiciaire de Paris rendait sa première décision au fond sur le fondement de la Loi Devoir de Vigilance, au sein de laquelle elle statuait sur la non-conformité du plan de vigilance de La Poste en raison de l’imprécision de ce dernier, enjoignant ainsi La Poste à le compléter mais rejetait la demande d’injonction de compléter ledit plan par des mesures spécifiques.
Si La Poste a interjeté appel de ce jugement, cette affaire témoigne de l’entrée pleine et entière du devoir de vigilance dans le contentieux des affaires et est le fruit de plusieurs années d’un mouvement jurisprudentiel et législatif.
La levée progressive des obstacles procéduraux
Juridiction compétente. L’intervention loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a permis de régler une fois pour toutes les difficultés liées à la détermination du tribunal compétent pour juger de la mise en œuvre par ses débiteurs de la Loi Devoir de Vigilance en prévoyant à l’article L211-21 du Code de l’organisation judiciaire la compétence exclusive du Tribunal judiciaire de Paris pour en connaître.
Cette disposition règle les questions de compétences tant matérielles que territoriales et, avec la création, au sein de la Cour d’appel de Paris, d’une chambre spécialisée et dédiée au contentieux du devoir de vigilance, renforce la concentration parisienne de ce contentieux ; la question de la procédure demeurant toujours ouverte car de nombreuses instances en référé ont été introduites sur le fondement du devoir de vigilance, avec une efficacité toutefois cantonnée à l’absence totale de plan de vigilance (« s’il entre dans les pouvoirs du juge des référés de délivrer une injonction en application des dispositions susvisées lorsque la société, soumise au régime du devoir de vigilance n’a pas établi de plan de vigilance, ou lorsque le caractère sommaire des rubriques confine à une inexistence du plan, ou lorsqu’une illicéité manifeste est caractérisée, avec l’évidence requise en référé, en revanche, il n’entre pas dans les pouvoirs du juge des référés de procéder à l’appréciation du caractère raisonnable des mesures adoptées par le plan »: TJ Paris, Ord., 28 février 2023, n° RG 22/5394).
Mise en demeure préalable et plan de vigilance visé par la procédure. Le texte de l’article L225-102-4 du Code de commerce prévoit qu’une mise en demeure doive être adressée par le ou les demandeur(s) au débiteur de l’obligation d’établir et de mettre en œuvre le plan de vigilance de respecter ses obligations à ce titre avant d’engager toute action en justice.
Tranchant une question procédurale essentielle, la Cour d’appel de Paris a estimé, dans l’un des trois arrêts rendus par elle le 18 juin 2024 (RG n°21/22319) que la mise en demeure et l’action en justice subséquente pouvaient ne pas viser le même plan de vigilance sans encourir l’irrecevabilité. Cet arrêt permet de dissiper les risques procéduraux encourus par l’action judiciaire en présence d’un plan de vigilance modifié seulement à la marge après la mise en demeure.
Un contentieux qui n’est plus uniquement théorique
Le Rapport de la commission d’enquête du Sénat permet de mettre en lumière le décollage véritable du contentieux du devoir de vigilance, dont un certain nombre d’affaires se trouvent déjà au stade de l’appel, permettant d’entrevoir la consolidation d’une jurisprudence portant sur un texte aux contours longtemps qualifiés d’imprécis et souples.
Alors que près d’une dizaine d’affaires sont pendantes devant les juridictions, le Rapport aborde la question de l’articulation de ce contentieux avec celui portant sur la responsabilité du fait du préjudice écologique ou et met en lumière la variété des démarches de conformité entreprises par les sociétés.
L’amplitude des atteintes et des risques envisagés par la Loi Devoir de Vigilance (« les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement ») invite aussi également à aborder le devoir de vigilance et la conformité de manière transversale, y compris en ses aspects portant sur la surveillance ainsi que la protection des données personnelles.
L’anticipation de la directive européenne sur le devoir de vigilance
Publiée au journal officiel de l’Union Européenne le 5 juillet 2024, la directive 2024/1760 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité dite « CSDD » du 13 juin 2024 harmonise ce devoir de vigilance à l’échelle européenne et prévoit notamment :
- Un champ d’application plus large aux entreprises européennes de plus de 1 000 salariés et réalisant un chiffre d’affaires de plus de 450 millions d’euros ;
- Un possible engagement de la responsabilité civile des entreprises en cas de manquement à leurs obligations ;
- La désignation par les États-membres d’une autorité chargée du contrôle de l’application du devoir de vigilance, pouvant prononcer des sanctions en fonction du chiffre d’affaires de l’entreprise.
Les textes, la structure du contentieux ainsi que la jurisprudence seront donc encore amenés à évoluer à l’aune de ces changements annoncés mais resteront indéniablement un acquis pour envisager l’application des règles à venir.
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