CONTACT

Vie Privée – Protection des emails de la messagerie personnelle du salarié (Expertises, Avril 2016)

08 mai 2016 | Sabine SAINT SANS, Alexandre Fievee | Expertises

Par un arrêt du 26 janvier 2016, la Chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée, pour la première fois, sur la recevabilité d’un échange de courriels reçu par un salarié sur sa boîte de messagerie personnelle. Selon la Haute juridiction, la production en justice de cet échange de courriels par l’employeur porte atteinte au secret des correspondances. Retour sur cette décision[1].

Reprochant à son employeur, d’une part, un manque de loyauté au prétexte que – dans un projet de restructuration du groupe et de fusion avec une autre société – son poste aurait été remis en question et, d’autre part, sa résistance à verser une prime d’intéressement, une salariée avait sollicité, par lettre recommandée, une rupture conventionnelle de son contrat de travail. Puis, un mois plus tard, elle prenait acte, toujours par courrier, de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur. Quelques jours après, elle saisissait le Conseil de Prud’hommes de Bordeaux pour voir dire que sa prise d’acte produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse en paiement notamment de dommages et intérêts et des indemnités de rupture. Par décision du 1er mars 2013, le Conseil de Prud’hommes a partiellement fait droit à ses demandes. Les deux parties interjetaient respectivement appel de cette décision. Dans l’optique de démontrer la déloyauté de sa salariée vis-à-vis de lui, l’employeur produisait des pièces dont le contenu montrait que la salarié participait, au moment des faits (c’est-à-dire en 2011) avec d’autres collaborateurs de la société, à un projet de création d’une entreprise concurrente. Parmi ces pièces figurait un échange de courriels reçus et envoyés depuis l’adresse de messagerie personnelle de la salariée. Selon celle-ci, et bien qu’il n’était pas contesté que ces documents provenaient de l’ordinateur professionnel mis à sa disposition par l’employeur, de tels documents devaient être écartés des débats, car leur production portait atteinte au secret des correspondances. Par ailleurs, cette salariée reprochait à l’employeur d’avoir imprimé cet échange de courriels depuis sa boîte personnelle, ce qui supposait que ce dernier avait ouvert la messagerie de manière frauduleuse.

Par un arrêt du 18 février 2014, la Chambre sociale de la Cour d’appel de Bordeaux a suivi l’argumentation de la salariée, en considérant que « la production de cette pièce qui porte atteinte au secret des correspondances sera rejetée » et ce, dans la mesure où « la pièce [litigieuse] est un échange de courriels en date des 09 et 10 octobre 2011 reçu par [la salariée] sur sa boîte de messagerie personnelle et émanant d’adresses privée non professionnelles ». L’employeur formait un pourvoi en cassation, faisant grief à la juridiction du second degré d’avoir écarté ladite pièce produite aux débats et de dire que la rupture du contrat de travail lui était imputable. Selon l’employeur, les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par l’entreprise pour l’exécution de son travail sont présumés, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, avoir un caractère professionnel. Par conséquent, la production des courriels litigieux était parfaitement licite puisque des courriels, intégrés dans le disque dur de l’ordinateur mis à disposition du salarié, n’étaient pas identifiés comme personnels du seul fait qu’ils étaient émis de ou vers la messagerie électronique personnelle du salarié. La Chambre sociale de la Cour de cassation n’a pas suivi ce raisonnement et a, dans les termes suivants, rejeté le pourvoi : « Attendu qu’ayant constaté que les messages électroniques litigieux provenaient de la messagerie personnelle de la salariée distincte de la messagerie professionnelle dont celle-ci disposait pour les besoins de son activité, la cour d’appel en a exactement déduit que ces messages électroniques devaient être écartés des débats en ce que leur production en justice portait atteinte au secret des correspondances ».

Par cette décision, la Chambre sociale de la Cour de cassation reprend une solution que la Chambre commerciale avait dégagée quelques mois plutôt : « Attendu qu’ayant relevé que les messages électroniques litigieux avaient pu être obtenus par la société (…) car ils avaient été envoyés par erreur sur une ancienne adresse de messagerie de M.X… et qu’il s’agissait d’une adresse personnelle distincte de l’adresse professionnelle dont celui-ci disposait pour les besoins de son activité au service de la société (…), la cour d’appel en a exactement déduit que ces messages électroniques devaient être écartés des débats, peu important à cet égard que leur contenu fût en rapport avec l’activité professionnelle de M.X… ». Ainsi, il ressort de ces décisions qu’un employeur n’est pas légitime – indépendamment du moyen utilisé pour se le procurer – à produire en justice un courriel issu de la messagerie personnelle du salarié et ce, quand bien même son contenu serait en relation avec l’activité professionnelle dudit salarié. Bien entendu, il en va différemment pour les courriels émis et/ou reçus sur la messagerie professionnelle du salarié, en ce sens que ceux-ci – dès lors qu’ils ne portent pas la mention « personnel » – sont présumés comme étant professionnels. Ainsi, l’employeur peut les consulter hors de la présence du salarié. En revanche, leur production pourrait être écartée des débats s’il était établi que leur contenu relève in finede la vie privée du salarié. C’est en ce sens que s’était prononcée la Chambre sociale, dans un arrêt du 5 juillet 2011 : « Si l’employeur peut toujours consulter les fichiers qui n’ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut les utiliser pour le sanctionner s’ils s’avèrent relever de sa vie privée. »[2]Inversement, si le contenu du courriel envoyé via la messagerie professionnelle par un salarié à une collègue comporte des propos irrespectueux à l’égard de son supérieur hiérarchique, il sera considéré comme étant « en rapport avec l’activité professionnelle » et pourra donc être librement produit en justice par l’employeur[3].

En application de ces décisions, on serait tenté d’en conclure, s’agissant des smartphones et/ou tablettes mis à la disposition du salarié par l’employeur et sur lesquels cohabitent bien souvent une messagerie professionnelle et une messagerie personnelle, que seule la première serait légitimement accessible par l’employeur, à l’exclusion de la seconde. En tout état de cause, l’employeur ne pourrait pas se prévaloir contre le salarié du contenu d’un courriel issu de cette seconde messagerie et ce, même dans l’hypothèse où ce contenu s’avérait être en relation avec l’activité professionnelle dudit salarié. Dans l’optique de clarifier de telle règles, il est vivement conseillé de les rappeler et les expliquer dans un outil d’encadrement et de régulation dédié (note interne, charte informatique, etc.).

[1] Cass. soc. 26 janvier 2016, n° 14-15360.

[2] Cass. soc., 5 juillet 2011, n° 10-17284.

[3] Cass. soc., 2 février 2011, n° 09-72449.

Tags: échange de courriels, emails, licenciement sans cause, messagerie personnelle, protection des emails, prud’hommes, recevabilité, secret des correspondances, vie privée