
Cour d’appel, Versailles, Chambre commerciale 3-1, 5 Mars 2025 – n° 23/01412
Après échec de la mise en service contractuellement prévue, l’évaluation du préjudice invoqué par le client correspondant aux heures perdues, à partir de tableaux établis par lui-même, ne permet pas de faire droit à l’intégralité de sa demande de réparation. Les juges, considérant que des ressources ont cependant été nécessairement mobilisées en vain, vont prendre en compte des éléments de faits pour fixer le montant de la réparation (à l’équivalent d’un tiers de la réclamation).
Le premier jugement déboutait les deux parties de leurs demandes indemnitaires
Une société qui traite des données de santé commande à un prestataire de services informatiques la mise en œuvre d’accès internet pour différents sites. Le contrat prévoit un abonnement d’une durée initiale de 3 ans. Le client refuse rapidement de régler les factures et notifie la résiliation de l’accord. Après mise en demeure de payer les mensualités échues et à échoir jusqu’au terme du contrat, à titre d’indemnité de résiliation, le prestataire fait assigner son client en paiement devant le tribunal de commerce de Nanterre, les parties se renvoyant la responsabilité de l’absence de mise en service.
Les premiers juges déboutent le prestataire, de même qu’ils rejettent la demande reconventionnelle de dommages et intérêts du client. Le prestataire interjette appel et le client forme un appel incident.
Le prestataire échoue à démontrer la bonne exécution mais le client échoue à démontrer l’intégralité de son préjudice
Après analyse du Contrat et des échanges entre les parties, les juges concluent que le prestataire ne rapporte pas la preuve d’avoir mis en service la solution dans le délai prévu et n’était pas fondé à émettre les factures litigieuses. Il a commis une faute contractuelle justifiant la résiliation du Contrat à ses torts exclusifs. Le jugement sera confirmé en ce qu’il l’avait débouté de sa demande de paiement et indemnitaire.
Mais le jugement sera infirmé s’agissant de la demande reconventionnelle du client.
Le client invoquait un préjudice correspondant au nombre d’heures additionnelles perdues à cause de l’échec de la mise en service de la solution, valorisées en fonction du poste occupé.
Les juges vont noter qu’il a nécessairement mobilisé, mais en vain, une partie de ses ressources humaines au suivi du projet, ainsi que le révèle les documents produits et le nombre de courriels échangés entre les parties, notamment sur l’état d’avancement du projet, ce qui constitue un préjudice consécutif à la faute commise par le prestataire. Cependant, l’évaluation de son préjudice résulte de tableaux établis par le client lui-même sans précision quant au détail du temps réellement consacré par ses salariés au suivi du projet et à sa tentative d’implémentation.
La cour va, dans ce contexte, prendre en compte la durée de négociation du Contrat et de son exécution jusqu’à la date de sa résiliation et du niveau des intervenants pour fixer forfaitairement à 10.000 € le préjudice subi quand le client réclamait près de 30.000 €.
Une jurisprudence fluctuante
La cour d’appel de Paris le 10 mars 2017 (RG nº 15/03970) a pu rejeter une demande de dommages et intérêts d’un client qui ne pouvait établir l’existence d’un préjudice en lien direct avec les manquements du prestataire, considérant que l’utilisation de son personnel ne constituant pas une dépense supplémentaire.
Le raisonnement suivi dans l’affaire jugée à Versailles rappelle celui de la cour d’appel de Paris le 17 septembre 2021(RG n°19/03566) : la cour prenait en considération la mobilisation des salariés que la déficience du progiciel avait entraînée, ces derniers ne pouvant être affectés à des tâches plus rentables. Pour autant, le client n’avait pas eu recours à du personnel supplémentaire ou des prestataires extérieurs et les juges définissaient une somme « forfaitaire » de l’ordre de 10% du montant réclamé en réparation par le client.
Cette jurisprudence fait également échos à l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 20 janvier 2023 (RG n°20/05569): dans cette affaire, le client versait au débat un tableau estimatif et une attestation de son expert-comptable attestant le coût moyen d’une heure de travail du personnel, pièces jugées insuffisantes à démontrer d’une part, la réalité d’un surcoût de temps de travail de salariés dédiés à la récupération de données et d’autre part son lien de causalité avec des manquements [du prestataire] à ses obligations.
Il est enfin utile de rappeler que les juges du fond encourent la censure, sous le visa de l’article 4 du code du procédure civile, s’ils n’évaluent pas le préjudice en se fondant sur l’insuffisance des preuves qui leurs sont fournies à partir du moment où ils constatent l’existence du préjudice dans son principe (Cass, com, arrêt du 29 mars 2023, n°21-21.432).