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Résiliation du contrat au tort du prestataire malgré la mise en production du logiciel par le client

05 octobre 2021 | Derriennic Associés|

Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 11, Arrêt du 17 septembre 2021, Répertoire général nº 19/03566

La signature d’un nouveau contrat de mise en œuvre d’une solution spécifique pour pallier les difficultés liées à un outil progiciel vient établir que malgré sa mise en production, ce dernier ne permettait pas de répondre aux besoins du client et présentait des dysfonctionnements importants.

Mais au-delà du remboursement des sommes versées sans contrepartie, la réparation du client est limitée.

Une société souhaitant se doter d’un système informatique de gestion de type « ERP » signe avec un cabinet de conseil un contrat à forfait portant sur la mise en place de l’outil du logiciel ainsi que sur la formation utilisateur, ainsi que sur un devis relatif à la licence elle-même.

L’outil est mis en production avec retard sans couvrir tous les besoins du client. Un nouveau contrat de prestations est signé un an plus tard portant sur la réalisation d’un outil de gestion s’accompagnant de la reprise de l’ensemble des données existantes extraites de l’ERP.

En contrepartie, le client devait verser le solde restant dû sur le précédent contrat et un montant supplémentaire. Des dates de livraisons sont contractualisées.

Après de multiples échanges, le client ne validait pas le recettage, mettait en demeure le prestataire de justifier du paiement des licences à l’éditeur et l’assignait devant le Tribunal de commerce de Paris qui a rendu le jugement dont appel. Les premiers juges prononcent la résiliation des contrats signés et condamne le prestataire à rembourser le client, retenant qu’il a gravement manqué à ses obligations contractuelles.

La Cour d’appel de Paris va confirmer le jugement.

  • Le prestataire soutient qu’il n’est pas justifié qu’il n’a pas réglé les redevances d’utilisation du logiciel. Cependant, il n’apporte pas la preuve que pendant le temps d’exécution du contrat, il s’était fait concéder par l’éditeur les licences nécessaires à l’utilisation régulière du progiciel dont il avait charge de faire bénéficier le client. Ce faisant, l’installation du progiciel à laquelle s’est livré le prestataire étant dénuée de toute sécurité juridique, il a commis un grave manquement à ses obligations contractuelles.
  • Le prestataire conteste avoir manqué à son obligation de délivrance conforme et ne pas avoir respecté les délais au titre de l’exécution du second contrat, faisant valoir que ce sont les manquements du client à son obligation de collaboration qui l’ont empêché de finaliser le logiciel spécifique et que les parties avaient convenu de reporter tacitement la livraison. Cependant, aucun élément ne le démontre et il apparaît que la recette n’a pu être finalisée en raison du nombre trop important de fonctionnalités manquantes. Ainsi le retard dans l’installation du logiciel destiné à remédier à l’inadaptation aux besoins du client et au dysfonctionnement du progiciel ERP, fait d’autant plus grief ; il caractérise une inexécution grave par le prestataire de ses obligations.
  • Le prestataire poursuit l’infirmation de la condamnation à son encontre de rembourser le montant des sommes payées par le client, faisant valoir qu’elles étaient dues, le client ayant utilisé en production le progiciel ERP et reconnu dans le second contrat signé que la solution implémentée était opérationnelle. La cour relève que le client se plaignait depuis la « bascule » sur l’ERP de rencontrer de graves difficultés et concluait ne plus pouvoir travailler, conduisant ainsi les parties à s’orienter vers l’installation d’un nouvel outil spécifique, ce qui établit que malgré sa mise en production, le progiciel ne permettait pas de répondre aux besoins du client et présentait des dysfonctionnements importants. Par ailleurs, l’absence de recette de la solution spécifique ne permet pas de conclure qu’elle a permis de remédier à l’inefficience du progiciel. Il en résulte une absence de contrepartie aux sommes versées.

Le client sollicitait de son côté l’infirmation du jugement l’ayant débouté de sa demande de dommages et intérêts résultant de l’absence de délivrance d’un progiciel conforme.

  • Il caractérise les pertes subies par les frais salariaux supportés du fait notamment du temps passé à pointer les dysfonctionnements et rechercher d’une nouvelle solution informatique mais également le coût de la démission de salariés imputée à sa désorganisation. Il prétend par ailleurs à l’existence d’un gain manqué résultant de la non réalisation des économies qu’un ERP efficient aurait dû lui permettre de réaliser et de la perte d’une clientèle et de bénéfice.
  • Il considère, en outre, que la clause limitative de responsabilité dont le prestataire se prévaut contredit son obligation essentielle et vide de sa substance l’engagement souscrit par cette dernière qui ne peut lui être appliquée, et ce d’autant plus qu’il n’est pas un professionnel de l’informatique.

La Cour va :

  • Prendre en considération la désorganisation subie du fait de l’inefficience du progiciel et de la mobilisation des salariés que cette déficience a entraînée, ces derniers ne pouvant être affectés à des tâches plus rentables. Pour autant, le client ne prétend pas avoir eu recours à du personnel supplémentaire ou avoir dû faire appel à des prestataires extérieurs sauf pour une nouvelle solution informatique de remplacement. La Cour définit une somme forfaitaire, de 10% du montant réclamé en réparation par le client.
  • Ecarter toute indemnisation liée à la démission de salariés ainsi que le changement des organes dirigeants qui peuvent avoir été provoquées par de multiples raisons, en l’absence de tout élément pouvant les rattacher avec une certitude suffisante aux manquements imputés au prestataire.
  • Juger valable la clause limitative de responsabilité selon laquelle le prestataire ne répond pas des manques à gagner, qui n’a pas pour effet de contredire la portée essentielle des contrats sur l’implémentation de logiciels.

Enfin, le client faisait valoir un préjudice résultant de l’absence de paiement des redevances par le prestataire auprès de l’éditeur fondée sur la responsabilité délictuelle. Pour la cour, en application du principe du non cumul des deux ordres de responsabilité contractuelle et délictuelle et de la primauté du premier, le client ne peut pas rechercher la responsabilité du prestataire sur le fondement délictuel et il est irrecevable en sa demande de dommages et intérêts de ce chef.