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Brevetabilité du logiciel : coup d’arrêt porté par le Tribunal de grande instance de Paris

04 octobre 2015 | Derriennic Associés |

(Jugement de la troisième chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris du 18 juin 2015 Orange / Free)

Dans le cadre d’un litige opposant l’opérateur de téléphonie Orange à son concurrent Free, la 3ème chambre du Tribunal de grande instance de Paris est venue mettre un terme à une pratique de l’Office européen des brevets (OEB) consistant à tolérer des brevets comportant des logiciels.

Orange accusait en l’occurrence Free d’avoir contrefait un de ses brevets européens en commercialisant son application logicielle « Freebox compagnon », interface permettant à l’abonné Free d’accéder depuis son terminal mobile à sa Freebox et de consulter ainsi le contenu qui y est stocké. Considérant que cette fonction de basculement de session multimédia s’apparentait à son brevet d’invention délivré par l’OEB, orange a assigné en contrefaçon son concurrent.

La procédure aurait pu suivre son cours si ce brevet ne consistait pas en réalité en des programmes d’ordinateur, lesquels sont non seulement explicitement exclus de la brevetabilité par l’article L. 614-12 du Code de la propriété intellectuelle, mais également par l’article 52-2c) et 3 de la Convention sur le brevet européen de 1973.

A cet égard, Orange ne conteste pas qu’il s’agit bien de logiciels, mais fait valoir qu’il s’agit d’une « pratique » de l’OEB, tolérant la brevetabilité des « programmes-produits ».

En dépit de cet argument, le Tribunal a tout simplement annulé les revendications du brevet d’Orange délivré par l’OEB, en considérant que la convention des brevets européens est parfaitement claire et exclut de son champ « les programmes d’ordinateur en tant que tels ».

S’il est vrai que l’OEB des brevets admet une telle protection pour les « programmes-produits », le TGI fait preuve d’une positon plus dure en considérant « qu’il ne peut être admis qu’un simple artifice de langage permette de délivrer des brevets contra legem » et que « la délivrance de brevets pour les programmes d’ordinateurs, fussent-ils dénommés programmes-produits, n’est en effet soutenue par aucun texte ou par aucune difficulté d’interprétation de la CBE et au contraire ceux-ci sont clairement exclus en tant que tels de la brevetabilité ».

Les revendications en cause sont donc considérées comme nulles pour défaut de brevetabilité tant en droit français qu’européen et, faute de contrefaçon, l’action intentée par Orange est donc rejetée et le brevet, de facto, invalidé.

Nouvel attrait pour les marques tridimensionnelles ?

(CJUE 16 septembre 2015 (C-215/14)

Saisie dans le cadre d’un litige intéressant la forme des célèbres barres chocolatées KitKat, la CJUE s’est livrée à une interprétation de l’article 3 de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 sur les motifs de refus ou de nullité à l’enregistrement d’un signe à titre de marque.

En premier lieu, la Cour a précisé que les motifs de refus ou de nullité précisé au e) dudit article (signe constitué exclusivement (i) par la forme imposée par la nature même du produit, (ii) par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique (iii) par la forme qui donne une valeur substantielle au produit) sont autonomes. La CJUE a ainsi jugé qu’un signe peut être refusé à l’enregistrement en tant que marque sur le fondement de plusieurs de ces motifs, sous réserve qu’au moins l’un d’entre eux soit pleinement applicable au signe en cause.

Poursuivant une interprétation stricte de ces motifs, la Cour de Justice a considéré que le motif de refus ou de nullité tiré de la forme du produit nécessaire à « l’obtention d’un résultat technique » vise uniquement la manière dont le produit fonctionne et non pas la manière dont il est fabriqué.

Enfin, la CJUE s’est prononcée sur les conditions d’acquisition du caractère distinctif d’une marque par l’usage (l’absence de « distinctivité » étant également un motif de refus d’enregistrement ou de nullité d’une marque) : elle estime que le demandeur à l’enregistrement d’une marque doit apporter la preuve que les milieux intéressés perçoivent le produit ou le service désigné par cette seule marque, par opposition à toute autre marque pouvant être également présente, comme provenant d’une entreprise déterminée.

Après une jurisprudence plutôt sévère en la matière (cf. notamment CJUE 18 septembre 2014 205/13), cette décision vient sans nul doute redonner un attrait pour les marques tridimensionnelles en invitant les juridictions nationales à interpréter strictement les motifs de refus d’enregistrement ou de nullité de la forme d’un produit en tant que marque.