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Rupture Conventionnelle et licenciement

02 octobre 2015 | SABINE SAINT- SANS| SUPPLÉMENT DE JURISPRUDENCE AEF

Dans trois arrêts du 3 mars 2015, la chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur les interférences possibles entre une rupture conventionnelle et un licenciement. La Cour de cassation envisage successivement les effets d’une rupture conventionnelle conclue après la notification d’un licenciement, et ceux d’une rupture conventionnelle conclue après l’engagement d’une procédure disciplinaire, rupture ensuite rétractée par le salarié. Il en ressort notamment qu’un licenciement notifié au salarié peut être rétracté par une rupture conventionnelle postérieure. Sabine Saint-Sans, avocate associée, Derriennic Associés, commente pour AEF ces arrêts et leurs conséquences.

1/ Rupture conclue après la notification d’un licenciement

L’arrêt :

« Lorsque le contrat de travail a été rompu par l’exercice par l’une ou l’autre des parties de son droit de résiliation unilatérale, la signature postérieure d’une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue.

Aux termes de l’article L. 1237-13 du code du travail, la convention de rupture conclue entre un employeur et un salarié fixe la date de rupture du contrat de travail, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l’homologation par l’autorité administrative. Il en résulte que, lorsque le contrat de travail prévoit que l’employeur pourra libérer le salarié de l’interdiction de concurrence soit à tout moment au cours de l’exécution du contrat soit à l’occasion de sa cessation au plus tard dans la lettre notifiant le licenciement ou le jour même de la réception de la démission, c’est, en cas de rupture conventionnelle, la date de la rupture fixée parla convention de rupture qui détermine le respect par l’employeur du délai contractuel.

Ayant retenu à bon droit qu’en signant une rupture conventionnelle, les parties avaient d’un commun accord renoncé au licenciement précédemment notifié par l’employeur, la cour d’appel, qui a relevé que la date de la rupture du contrat avait été fixée parla convention de rupture au 10 avril 2009 et que l’employeur avait libéré le salarié de son obligation de nonconcurrence le 8 avril 2009, a, par ces seuls motifs et sans être tenue de procéder à une recherche que ses énonciations rendaient inopérante, légalement justifié sa décision (Cass, soc., 3 mars 2015, n° 13-20.549).

Sabine Saint-Sans :

Dans cette affaire, un salarié avait été licencié pour faute avec dispense de préavis par lettre du 9 janvier 2009. Le 10 février suivant, les parties ont conclu une rupture conventionnelle, homologuée par la Direccte en mars. S’appuyant sur les termes de l’article L.1237-11 du code du travail, selon lequel « la rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l’une ou l’autre partie », le salarié a ultérieurement fait valoir devant la juridiction prud’homale qu’une rupture conventionnelle ne pouvait pas intervenir après la notification d’un licenciement.

Les juges du fond et la Cour de cassation n’adoptent pas le point de vue du salarié et précisent que : « lorsque le contrat de travail a été rompu par l’exercice par l’une ou l’autre des parties de son droit de résiliation unilatérale, la signature postérieure d’une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue ».

Une rupture conventionnelle peut donc être valablement signée après un licenciement, voire même après une démission. Elle emporte alors renonciation à la rupture précédente qui ne produira aucun effet.

Rétractation d’un licenciement ou d’une démission

Cette jurisprudence est cohérente avec les précédents arrêts rendus par la Cour de cassation qui prévoient qu’un licenciement ou une démission peuvent toujours être rétractés sous réserve que l’autre partie y consente de façon claire et non équivoque (Cass. Soc.. 12 mai 1998. n°95-44.354. Cass. Soc.. 18 juillet 2000. n°98-41.033. Cass. Soc., 26 avril 2007, n °05-44.246).

La position de la Cour de cassation est ainsi justifiée dans la mesure où la rupture conventionnelle marque l’accord commun des deux parties. Il n’y a donc aucun obstacle à reconnaître sa validité et l’anéantissement de l’acte de rupture antérieur. Il est utile de rappeler que ce principe trouve bien évidemment sa limite dans la preuve du vice du consentement, qu’il appartient au salarié de démontrer.

Cela étant dit, on peut s’interroger sur la question de savoir comment un même contrat de travail peut-il être rompu deux fois et pour quelles raisons le serait-il ?

En effet, en cas de successions de ruptures – prise d’acte suivie d’un licenciement, demande de résiliation judiciaire postérieure à un licenciement, licenciement suivi de prise d’acte – le principe dégagé par la jurisprudence est résumé par la formule : « rupture sur rupture ne vaut ». Ainsi, dans la mesure où le contrat ne peut être rompu deux fois, seul le premier mode de rupture peut valablement produire ses effets. La jurisprudence fait donc une exception en matière de rupture conventionnelle signée après la notification d’un licenciement, qui jouerait alors le rôle d’une transaction.

Clause de non-concurrence

Par ailleurs, en l’espèce, le contrat de travail du salarié contenait une clause de nonconcurrence dont le salarié pouvait être libéré à l’occasion de cette cessation effective du contrat de travail et au plus tard dans la lettre de licenciement (N.B. dispositions contractuelles conformes à la jurisprudence qui impose une levée de la clause de nonconcurrence au plus tard à la date du départ effectif de l’intéressé de l’entreprise, nonobstant dispositions contraires (Cass, soc.. 21 janvier 2015. n°13-24.471î.

Dans cette affaire, l’employeur avait licencié le salarié, avec dispense d’exécution du préavis, sans pour autant lever la clause de non-concurrence. La renonciation était donc inopérante et le salarié pouvait prétendre à la contrepartie financière dans l’hypothèse où il respectait l’obligation de non-concurrence. Or, en signant une rupture conventionnelle et en fixant la fin des relations contractuelles à une date plus éloignée, l’employeur s’est alors donné le temps de notifier au salarié la levée de la clause dans les délais imposés par la jurisprudence, soit à la date de cessation effective du contrat au plus tard correspondant au lendemain du jour de l’homologation.

2/ Rupture conclue après l’engagement d’une procédure disciplinaire

L’arrêt :

« La signature parles parties au contrat de travail d’une rupture conventionnelle, après l’engagement d’une procédure disciplinaire de licenciement, n’emporte pas renonciation par l’employeur à l’exercice de son pouvoir disciplinaire. Il s’ensuit que si le salarié exerce son

droit de rétractation de la rupture conventionnelle, l’employeur est fondé à reprendre la procédure disciplinaire parla convocation du salarié à un nouvel entretien préalable dans le respect des dispositions de l’article L. 1332-4 du code du travail et à prononcer une sanction, y compris un licenciement pour faute grave.

Ayant relevé que M. X…, commercial expérimenté, avait insulté un fournisseur, avait quitté les lieux malgré l’ordre de son supérieur hiérarchique et que ses débordements comportementaux étaient réitérés et imprévisibles, la cour d’appel a pu en déduire, en dépit de l’absence de reproche antérieur et de l’ancienneté de ce salarié, l’existence de faits rendant impossible son maintien dans l’entreprise et constituant une faute grave » (Cass, soc., 3 mars 2015, n° 13-15.551).

Sabine Saint-Sans :

Dans ce second arrêt du 3 mars 2015, après avoir copieusement insulté un fournisseur au cours d’une réunion du 21 mai, un commercial a été convoqué à un entretien préalable au licenciement, fixé au 7 juin suivant. Ce jour-là, il a signé une rupture conventionnelle, avant de se rétracter le 16 juin suivant. Dès le 21 juin, l’employeur l’a alors convoqué à un nouvel entretien préalable au licenciement, puis lui a notifié son licenciement pour faute grave par lettre du 1er juillet.

Devant la juridiction prud’homale, le salarié, souhaitant voir reconnaître son licenciement sans cause réelle et sérieuse, faisait valoir que l’employeur s’était engagé dans la voie d’une rupture conventionnelle pour ces faits précis ce qui avait pour conséquence une renonciation à se prévaloir d’un licenciement disciplinaire.

Or, la Cour de cassation n’adhère pas à la thèse du salarié et répond que « la signature par les parties au contrat de travail d’une rupture conventionnelle, après l’engagement d’une procédure disciplinaire de licenciement, n’emporte pas renonciation par l’employeur à l’exercice de son pouvoir disciplinaire ; qu’il s’ensuit que si le salarié exerce son droit de rétractation de la rupture conventionnelle, l’employeur est fondé à reprendre la procédure disciplinaire par la convocation du salarié à un nouvel entretien préalable ».

Reprise de la procédure disciplinaire

Par conséquent, sous réserve de convoquer à nouveau le salarié à un entretien préalable, la procédure disciplinaire peut être reprise pour les mêmes faits après la rétractation d’une rupture conventionnelle. Néanmoins, il est important de souligner que l’employeur ne doit pas tarder pour procéder à la nouvelle convocation car l’arrêt impose de respecter le délai de prescription des faits fautifs de deux mois prévu par l’article L.1332-4 du Code du travail. En l’espèce, les faits n’étaient pas prescrits puisque moins de deux mois séparaient leur découverte par l’employeur et la convocation au second entretien préalable.

Cela étant dit, il est pertinent de s’interroger sur la contradiction de conclure une rupture conventionnelle à la suite de la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire dès lors que la rupture conventionnelle implique nécessairement le maintien du salarié pendant toute la durée de la procédure contrairement à la procédure de licenciement pour faute grave qui rend impossible le maintien du salarié dans ses fonctions.

A titre informatif, il est utile de rappeler que la convocation au premier entretien préalable interrompt le délai de prescription. Par conséquent, un nouveau délai de prescription aura en tout état de cause commencé à courir à partir de cette date (Cass, soc.. 9 octobre 2001. n °99-41.217).

3/ Rupture ensuite rétractée par le salarié

L’arrêt :

«La signature par les parties d’une rupture conventionnelle ne constitue pas un acte interruptif de la prescription prévue par l’article L. 1332-4 du code du travail.

La cour d’appel, qui a souverainement retenu que l’employeur ne justifiait pas n’avoir eu connaissance des absences reprochées, dont la dernière était du 11 septembre 2010, que dans les deux mois ayant précédé la convocation, le 16 novembre 2010, à l’entretien préalable, en a exactement déduit la prescription des faits fautifs (Cass, soc., 3 mars 2015, n ° 13-23.348) ».

Sabine Saint-Sans :

Dans cette affaire, après de nombreuses absences injustifiées, l’employeur et le salarié avaient conclu une rupture conventionnelle avant que l’employeur ne mette en œuvre une procédure disciplinaire.

Contrairement à l’arrêt précédent, le salarié n’avait donc pas encore été convoqué à un entretien préalable. Or, seule cette convocation aurait permis d’interrompre le délai de prescription des faits fautifs de deux mois. En effet, dix jours après que le salarié a exercé son droit de rétractation, l’employeur convoque le salarié à un entretien préalable au licenciement qu’il lui notifie trois semaines plus tard. En l’espèce, entre la découverte des faits fautifs, constitués par les absences injustifiées et la convocation à l’entretien préalable, il s’était écoulé un délai supérieur à deux mois.

L’employeur a donc été condamné, sans surprise, pour licenciement sans réelle et sérieuse en raison des faits prescrits.

Délai de prescription de la procédure disciplinaire

Pour faire un parallèle avec nos commentaires de l’arrêt précédent (Cass, soc.. 3 mars 2015. n°13-15.551î. il est important de noter que la signature de la rupture conventionnelle n’est pas susceptible d’interrompre le délai de prescription de la procédure disciplinaire comme le rappelle l’attendu de la Cour de cassation de cet arrêt : « la signature par les parties d’une rupture conventionnelle ne constitue pas un acte interruptif de la prescription prévue par l’article L. 1332-4 du code du travail ».

Ainsi, la volonté seule de l’employeur de mettre un terme au contrat de travail du salarié via une rupture conventionnelle n’a aucune conséquence sur le délai de prescription que seul l’exercice de poursuites pénales peut interrompre.

En résumé, si l’employeur ne peut pas considérer que la signature d’une rupture conventionnelle entraîne l’interruption de la prescription des faits fautifs, le salarié ne peut pas, de son côté, estimer que la conclusion d’une convention de rupture vaut renonciation à l’exercice du pouvoir disciplinaire par l’employeur.

 

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