CONTACT

CA Paris, le 15 décembre 2017, n°15/24042 – Contrat d’intégration : faculté de résiliation du prestataire en cas d’impayés et absence d’interdépendance avec le contrat de licence

22 janvier 2018 | Derriennic Associés|

 

Malgré le retard du projet, le contrat d’intégration ne prévoyant pas que le paiement des factures était subordonné à la réalisation d’un évènement quelconque, le non-respect des échéances de paiement justifie la résiliation d’un contrat par le prestataire aux torts du client. Le client cherchant à faire prononcer la caducité du contrat de licence, les juges d’appel viennent également rappeler les conditions de l’interdépendance contractuelle pour conclure au rejet de la demande. Néanmoins seule une partie du préjudice du prestataire sera retenue. 

Une société conclut en juin 2010 avec un prestataire spécialisé dans le conseil informatique un contrat d’intégration de systèmes d’information basé sur le progiciel SAP pour un prix global d’environ 600K€. Six mois avant, le client avait conclu avec ce même prestataire un contrat relatif à l’acquisition et à la maintenance des licences SAP.

Le prestataire facture les échéances correspondant aux dates prévues dans le contrat, bien que la fin de la première phase du projet ait été décalée. Le client ne payant pas, malgré une mise en demeure fin octobre 2010, le prestataire prononce, en novembre 2010, la résiliation du contrat d’intégration.

Prétendant que le paiement des factures litigieuses était subordonné à la réalisation de la phase 1 du contrat d’intégration et n’était donc pas encore exigible, que le prestataire était soumis à une obligation de moyen renforcée pour la totalité de ses obligations contractuelles et à une obligation de résultat concernant les délais et la conformité des éléments du système intégré, que le prestataire ne l’a pas informé des dérives calendaires et des conséquences de celles-ci sur la réalisation du projet, manquant à son obligation de conseil et de mise en garde sur les risques liés à l’exécution du contrat, que le prestataire n’a pas respecté son obligation de conformité puisque certains livrables étaient absents ou incomplets, le client considère que le prestataire a résilié abusivement ledit contrat. Le client assigne le prestataire et sollicite une indemnisation de plusieurs millions d’euros.

Pour le client, la rupture du contrat d’intégration emporte caducité du contrat de licence et maintenance puisque les deux contrats poursuivent le même but et n’ont aucun sens l’un sans l’autre, que l’objet du contrat d’intégration était une solution préfigurée sur la base d’un logiciel SAP que le prestataire avait précédemment installé, que le contrat d’intégration renvoie au contrat de licence et sert de base au système intégré objet du contrat d’intégration, les redevances étant reportées au mois de juin 2010 afin d’effectuer préalablement la phase 0 du projet d’intégration, et le prestataire ayant été choisi pour l’intégration avant même la conclusion du premier contrat.

Par jugement rendu le 29 septembre 2015, le Tribunal de commerce de Paris déboute le client et évalue le préjudice du prestataire au montant correspondant aux factures impayées : le client est condamné à payer au prestataire 200K€ à titre de dommages et intérêts. Le prestataire interjette appel, sollicitant une indemnisation d’environ 750K€ incluant les factures non réglées, les jours prestés sur la réalisation de la Phase 1, des frais supportés, le manque à gagner sur la non-réalisation des phases suivantes et la perte de chance sur la réalisation de différents lots et sur le non-renouvellement du contrat de maintenance.

La Cour d’appel va venir confirmer le jugement de première instance considérant que :

  • le prestataire a parfaitement respecté les stipulations contractuelles relatives à la résiliation : les échéances ayant donné lieu à factures étaient dues, l’échéancier prévoyait des dates de règlement précises sans que le paiement ne soit subordonné à la réalisation d’un événement, le client n’avait formulé aucune critique à l’encontre des factures ni sollicité de report de paiement, et le prestataire a envoyé plusieurs relances et une mise en demeure restée vaine ;
  • le client ne démontre pas les manquements du prestataire : il n’établit pas que le retard lui était imputable, ni que le prestataire a tenté de bouleverser l’économie du contrat afin d’obtenir un complément de revenu : c’est dans le cadre de son obligation de conseil que le prestataire a proposé au client de réviser délais et processus opérationnels au vu de l’évolution du projet, la phase 1 n’a pas fait l’objet de non-conformités mais de simples réserves non bloquantes qui n’empêchaient pas le passage à la phase 2 et devaient en tout état de cause être corrigées ;
  • l’interdépendance des deux contrats n’est pas démontrée : ils ne comportent aucune clause d’indivisibilité, un délai de 6 mois s’est écoulé entre leurs conclusions, les parties ont négocié pour parvenir à un accord sur le contrat d’intégration qui aurait pu être confié à un autre intégrateur, le client n’a pas établi que le prestataire ait conditionné la conclusion du premier contrat par la conclusion du deuxième.

Concernant la demande indemnitaire du prestataire, la Cour d’appel :

  • déclare irrecevables en cause d’appel certaines demandes d’indemnisation, considérant qu’il s’agit de prétentions nouvelles, non sollicitées devant les premiers juges ne tendant pas aux mêmes fins et dont le fondement est différent ;
  • retient la juste appréciation des faits de la cause et de l’évaluation des préjudices à un montant global correspondant aux factures impayées, rejetant le manque à gagner pour la non-réalisation des phases suivantes alors que le préjudice n’apparaît pas certain, la continuation des relations contractuelles s’avérant peu probable au vu des divergences entre les parties ;
  • ajoutera, notamment, le montant au titre du préjudice fondé sur les frais supportés constitués du temps passé par les équipes du prestataire pour la gestion du dossier et le montant au titre du non-paiement de la totalité des jours prestés sur la réalisation de la phase 1.