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CA Rennes, 28 novembre 2017, n°15/04661 – Un document d’expression des besoins client « nécessairement contracuel » du seul fait de sa communication

18 janvier 2018 | Derriennic Associés|

 

Dans le cadre d’un contrat de mise en œuvre d’un Progiciel, dès lors que le client a communiqué un document d’analyse de ses besoins, celui-ci acquiert nécessairement un caractère contractuel, et il appartient au prestataire, sur qui repose la preuve de l’exécution du devoir de conseil, de rédiger le document détaillant les besoins couverts ou non, en mettant en garde le client contre les conséquences éventuelles de la non-couverture et en demandant au client la validation des choix.

Une société souhaitant se doter d’un système de gestion informatisé de type ERP se fait accompagner par un cabinet d’étude qui rédige un document d’analyse des besoins, transmis à plusieurs sociétés consultées, et choisit un des soumissionnaires dont l’offre porte sur la fourniture et l’intégration d’un progiciel qui doit être adapté aux spécificités du client.

Le contrat prévoyait l’établissement d’un « diagnostic » afin de définir le périmètre fonctionnel et technique du projet et valider la proposition initiale, puis une étape d’analyse détaillée avant conception, paramétrage et développements spécifiques, et enfin la mise en œuvre. Ce document sera édité, mais il est antérieur à la signature du contrat, n’est pas signé par le client et ne sera suivi d’aucun autre document écrit définissant en détail les prestations à effectuer et les besoins à combler. Or ce document, dont le prestataire se prévaut comme étant «le cahier des charges», définit un périmètre très en deçà des besoins définis par le client initialement.

Ledit prestataire, en cours de projet, vend sa branche d’activité relative à la commercialisation du progiciel ; la mise en œuvre se poursuit sous l’égide du cessionnaire. Face aux difficultés du projet, le deuxième prestataire acceptera un audit qui établira de nombreuses carences en se référant aux besoins figurant dans l’analyse initiale. Le prestataire proposera des aménagements financés pour moitié mais le client, qui considèrera que le logiciel s’est révélé défectueux et que ses cocontractants ont manqué à leurs obligations d’information contractuelle de conseil et de délivrance, refusera de payer un coût supplémentaire.

Le client saisira le juge des référés qui ordonnera une expertise laquelle conclura à l’absence de dysfonctionnements du progiciel et à l’absence de défaillance des prestataires qui se sont succédés dans l’exécution de leurs obligations contractuelles. L’expert, dans un contexte projet d’absence totale de formalisation, retiendra le diagnostic comme délimitant le périmètre et considèrera que le document initial d’analyse des besoins est dépourvu de tout caractère contractuel. Il établira que les difficultés auraient pu être relevées et solutionnées si l’administration du projet n’avait pas été défaillante.

Le client assignera les deux prestataires aux fins de voir prononcer la résolution du contrat à leurs torts et leur condamnation solidaire à lui restituer les montants payés et au paiement de dommages et intérêts. Le Tribunal de Commerce de Lorient déboutera le client de toutes ses demandes et ce dernier interjettera appel.

Pour la Cour d’appel de Rennes :

  • Il appartient aux prestataires payés de démontrer qu’en contrepartie ils ont effectué les prestations contractuellement mises à leur charge. A cet égard le premier prestataire est largement défaillant : il lui appartenait de pouvoir produire le « diagnostic » signé et de réaliser l’analyse détaillée devant servir de cahier des charges formalisant les choix et les procédures retenus, et de faire accepter ladite analyse par son contractant. « Dès lors qu’il avait soumissionné en ayant entre les mains le « rapport d’analyse des besoins » rédigé par le Cabinet d’étude, celui-ci acquérait nécessairement un caractère contractuel et il lui appartenait, dès la conclusion du contrat, de rédiger le document prévu détaillant ceux des besoins qui pourraient être comblés ou non par le contrat souscrit, en mettant en garde l’entreprise contre les conséquences éventuelles de la non-couverture de certains d’entre eux ». Le premier prestataire est dans l’incapacité de démontrer que les parties s’étaient accordées pour réduire le périmètre sur lequel interviendrait le système ERP et ses manquements à ses obligations de conseil et de mise en garde sont directement à l’origine du litige. Il aurait, de plus, dû soumettre au client des documents attestant de la progression de sa démarche intellectuelle et demandant la validation de ses choix, la preuve de l’exécution de son devoir de conseil reposant sur lui et non sur son client.

 

  • Le deuxième prestataire s’est retrouvé à devoir appliquer un contrat qu’il n’avait ni conclu ni conçu. S’il n’a pas plus exigé de documents écrits de son client et n’en a pas rédigés à son intention, il s’est attaché à trouver des solutions, et a fait une proposition de mise en place d’améliorations à un coût très raisonnable.
  • Enfin, la cour rappelle que repose sur le client la charge de la preuve de l’exécution de son obligation de collaboration et qu’il en est incapable : il aurait dû reconnaître sa propre part de responsabilité et accepter la proposition transactionnelle du deuxième prestataire.

En conséquence, la Cour infirme le jugement du Tribunal de commerce : elle ne fait pas droit à la demande de résolution du contrat mais condamne les sociétés prestataires à payer au client des dommages et intérêts sur la base d’un partage de responsabilité (60% pour le premier prestataire, 25% pour le client, 15% pour le deuxième prestataire) en retenant de la demande indemnitaire du client les sommes correspondant au temps passé à tenter de solutionner le litige ainsi que les frais engagés pour pallier les déficiences du logiciel, mais elle exclut le préjudice d’exploitation faute de justification.