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Caméras augmentées : adoption de la loi olympique et tournant quant à l’utilisation de l’IA à des fins sécuritaires

05 juin 2023 | Derriennic associés|

Les caméras augmentées font leur entrée dans l’espace public, sous couvert de la nécessité de protéger et sécuriser les abords des grands évènements sportifs lors de la Coupe du Monde de Rugby et les JO 2024 à venir. Il s’agit de l’une des mesures phares de la Loi relative aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, définitivement adoptée à l’Assemblée Nationale le 11 avril et par le Sénat le 12 avril 2023.

Désormais, les images issues des caméras de vidéosurveillance, situées dans la rue ou dans les transports en commun, et de drones, pourront être traitées au moyen de dispositifs d’intelligence artificielle, pour détecter et signaler, en temps réel, des situations susceptibles de menacer la sécurité des personnes. Les services de police, les pompiers, les secours et les équipes de sécurité de la RATP et de la SNCF pourront traiter ces images pour les besoins de leurs activités.

Que prévoit cette loi ? Elle encadre les modalités de recours aux caméras augmentées et pose une série d’obligations à la charge des pouvoirs publics (ex : information du public, interdiction de traitement biométrique empêchant toute reconnaissance faciale, contrôle permanent du dispositif par un opérateur physique sans aucune prise de décision automatisée…). Elle prévoit également, et c’est une première, plusieurs obligations à la charge des sociétés privées auxquelles l’Etat confie le développement de ces systèmes, en particulier concernant la correction d’erreurs et des biais et la prévention de leur réitération. Les images collectées pourront être utilisées pendant 12 mois à des fins d’entrainement des systèmes. L’expérimentation durera jusqu’au 31 mars 2025 (soit bien au-delà de la durée des jeux olympiques).

Si le Sénat a renforcé l’encadrement du recours à ces dispositifs, il n’en demeure pas moins qu’un élément essentiel reste absent : le texte ne définit pas la liste des évènements pouvant être détectés ni les traitements associés. Ces éléments, pourtant essentiels, sont renvoyés à des décrets ultérieurs et ne donneront donc lieu à aucun débat parlementaire. Pourtant, les finalités poursuivies peuvent être variées : identifier en temps réel un colis abandonné est sans commune mesure avec l’identification d’une personne au comportement suspect (comment le profiler ?), ou avec la détection de mouvements de foule. L’intensité de la surveillance et donc les risques d’atteinte au droit à la vie privée, au droit de manifester et aux droits aux libertés de réunion et d’expression sont réels.

En France, cette loi n’a curieusement pas suscité de débats dans les médias. Pourtant, les associations de protection des droits de l’homme (Ligue des Droits de l’Homme, Amnesty International, la Quadrature du Net…), le Conseil National des Barreaux (CNB) ou encore les eurodéputés européens n’ont cessé d’appeler les instances politiques à faire machine arrière. De tels dispositifs seraient en effet, selon eux, les prémisses d’une surveillance de masse, particulièrement attentatoire aux libertés publiques, sans aucun précédant en Europe.  L’expérimentation n’est souvent que le prélude d’une généralisation – qui plus est au regard des investissements financiers importants qui seront effectués.

Un recours devant le Conseil Constitutionnel a été formé par un groupe de parlementaires. Des adaptations pourraient donc encore intervenir avant la promulgation de la loi.    

En tout état de cause, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés aura un rôle essentiel dans la régulation et la mise en œuvre de ces systèmes. En charge de l’établissement d’une attestation de conformité des dispositifs avant leur mise en service (avec l’ANSSI), elle sera informée tous les 3 mois des conditions de mise en œuvre de l’expérimentation. La Cnil a par ailleurs annoncé que les caméras augmentées faisaient partie des thématiques prioritaires pour l’année 2023.

A noter par ailleurs que cette règlementation fait échos aux importants débats qui ont lieu au niveau européen, concernant l’IA Act. Ce dernier devrait en effet poser une interdiction de principe de la surveillance généralisée en temps réel, basée sur des données biométriques. Les eurodéputés restent malgré tout très divisés sur la portée de cette interdiction et plus généralement sur les questions de police prédictive.

Source : ici