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« Souriez, vous êtes mieux filmé », des caméras augmentées aux Jeux olympiques et paralympiques 2024 

07 février 2023 | Derriennic associés|

En prévision des Olympiades de Paris 2024 un projet de loi ambitionne de mettre en œuvre un cadre légal expérimental en matière de sécurité, de transports et de lutte antidopage s’appuyant sur des caméras dites « augmentées ». Dans le sillon de sa prise de position publiée en juillet 2022 sur les conditions de déploiement des caméras « augmentées » ou « intelligentes », la CNIL fut amenée, le 8 décembre dernier, à rendre une délibération (n°2022-118) sur les enjeux de ce déploiement. Un avis a finalement été publié le 4 janvier 2023.

Des caméras en réponse à une problématique de sécurité

L’appellation de caméras « intelligentes », s’applique aux appareils qui sollicitent des dispositifs d’intelligence artificielle (« IA »). Cela vise les caméras « augmentées » d’une part, dont l’objectif est de catégoriser et d’analyser grâce à l’IA, sans identifier une personne de manière unique. D’autre part, les caméras « biométriques », auxquelles il est recouru en vue d’identifier et d’authentifier, sur la base d’analyse des caractéristiques physiques, physiologiques ou comportementales des personnes, un individu de manière unique, en comparant un gabarit filmé ou existant d’autre part.

Les caméras « intelligentes » occupent une place centrale du second projet de loi sur les jeux Olympiques et Paralympiques 2024 (sur ce point, voir la : loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024) dans la mesure où il est envisagé dans un cadre expérimental, de recourir à des traitements algorithmiques sur les images captées par les dispositifs de vidéoprotection ou des drones.

Une nouvelle fois, l’IA est présentée par l’Exécutif comme un moyen nécessaire à assurer la sécurité « d’évènements sportifs, festifs ou culturels exposés à des risques d’atteintes graves à la sécurité des personnes, notamment de nature terroriste », dans un contexte où la France, qui vient d’accueillir avec le succès que chacun connaît, la finale de la Ligue des Champions 2022, doit successivement recevoir la plus grande compétition de rugby mondiale avant d’héberger les prochaines olympiades.

Le contenu du projet de loi

Le projet de loi prévoit principalement de :

  • Mettre en conformité le régime de vidéoprotection prévu par les articles L251-1 à L255-1 du Code de la Sécurité Intérieure (« CSI ») avec le RGPD et la loi du 6 janvier 1978 modifiée afin d’encadrer les conditions de traitements des images captées dans des espaces publics ouverts par des dispositifs de vidéoprotection et l’exercice de leurs droits par les personnes dont l’image serait captée (article 5 du projet de loi) ;
  • Créer un cadre expérimental, inédit en France, permettant aux pouvoirs publics ainsi qu’aux services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP « la mise en œuvre de traitements algorithmiques d’analyse automatisée des images provenant des dispositifs de vidéoprotection et de caméras installées sur des aéronefs afin de détecter et de signaler en temps réel des évènements prédéterminés » (article 6 du projet de loi) ;
  • Une extension du type d’images que peuvent visionner les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP peuvent visionner lorsqu’ils sont affectés au sein des salles d’information et de commandement relevant de l’Etat (« CCOS »).

Actuellement, ces agents n’ont accès qu’aux « images des systèmes de vidéoprotection transmises en temps réel dans ces salles depuis les véhicules et emprises immobilières des transports publics de voyageurs relevant de leurs compétences, aux seules fins de faciliter la coordination avec ces derniers lors des interventions de leurs services au sein desdits véhicules et emprises » (article 7 du projet de loi) ;

  • Un élargissement de la procédure dite « de criblage » prévue par l’article L211-11-1 du CSI aux « lieux situés dans l’espace public accueillant de grands rassemblements de personnes afin d’assister à des retransmissions de ces évènements » comme les fan-zones.

Le criblage désigne l’obligation faite aux organisateurs de grands évènements de demander l’avis de l’autorité administrative compétente avant d’autoriser une personne n’étant ni un spectateur ni un participant (sportifs, équipe médicale, arbitres…) d’accéder à un établissement ou une installation accueillant ces évènements. Cet avis doit être rendu à la suite d’une enquête administrative sur la personne concernée qui peut donner lieu à la consultation de certains traitements automatisés de données à caractère personnel (article 9 du projet de loi) ;

  • La possibilité de mettre en place des scanners corporels à l’entrée des enceintes sportives (article 10 du projet de loi)

Les réserves des observateurs vis-à-vis du projet de loi en matière de caméras augmentées

En matière de caméras « intelligentes », la CNIL souligne le caractère inédit en France du recours à de telles technologies à des fins préventives et rappelle la nécessité de mise en conformité du CSI avec le RGPD et la directive n°2016/680 « Police-Justice » vis-à-vis desquels il est obsolète depuis 2017.

La Commission considère que ce projet de loi entérine une modification de la nature même des dispositifs sécuritaires et de notre rapport à l’intelligence artificielle et que cette réforme s’accompagne inévitablement d’un risque de surveillance généralisée de l’espace public particulièrement menaçant pour les libertés individuelles.

Certaines craintes en matière de droits et libertés ont d’ailleurs ressurgi lors de l’examen du texte au Sénat, débutée le 24 janvier 2023 par le Sénat, à travers l’amendement du sénateur Claude Kern voté en commission, qui relève de 1500 à 3750 euros l’amende infligée aux auteurs d’intrusions « par force ou fraude et pénétration sur le stade sans motif légitime » dans les enceintes sportives.

Pour sa part, lors d’une interview du 24 janvier dernier, Marie-Laure Denis, présidente de la CNIL, a souligné les biais et erreurs auxquels les dispositifs d’IA risquent de soumettre les citoyens et qu’afin de contrer ces derniers, aux côtés des interventions humaines, la CNIL accompagnera les fournisseurs d’algorithmes présents dans les caméras déployées (voir ici).

Pour l’heure, un autre amendement parlementaire prévoyant la mise en place de reconnaissance faciale a pour l’heure été écarté, notamment à la demande du gouvernement.

Enfin, il est prévu de tester le dispositif à l’occasion de la Coupe du Monde de rugby 2023.

Source : ici