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Hébergeur/éditeur de contenus : le contrat prime sur la LCEN

27 mars 2023 | Derriennic associés|

Le mécanisme contractuel de réaction à l’identification d’un contenu manifestement illicite n’a pas à se calquer sur le dispositif prévu par la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique. Nos avocats en droit du digital vous éclairent.

En l’espèce, la société de stockage de fichiers en ligne Dstorage (éditant le site 1fichier.com) avait eu recours à la Société Générale pour intégrer une solution de paiement.

Le contrat conclut entre elles prévoyait notamment que :

  • Dstorage s’engageait « à utiliser le système de paiement à distance sécurisé en s’abstenant de toute activité illicite », cette notion couvrant naturellement les actes de contrefaçon ;
  • Société Générale pouvait « suspendre ou résilier le service sans préavis, sans autre formalité que l’envoi d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception, dès lors qu’elle est informée de l’illicéité du contenu du site Internet de l’Accepteur ». 

Dans le cadre de la démarche « follow the money », notamment préconisée par la HADOPI, pour impliquer les acteurs financiers dans la lutte contre les pillages de droits de propriété intellectuelle, c’est la Société Générale qui avait été directement notifiée de l’existence de contenus contrefaisants sur le site 1fichier.com.

Elle notifiait immédiatement Dstorage de cette illicéité manifeste (il était fait état de plusieurs centaines de fichiers illicites) et la mettait en demeure de supprimer les contenus litigieux sous 24h, faute de quoi elle n’aurait d’autre choix que de résilier le contrat.

Faute pour Dstorage d’avoir accepté ou réussi à s’exécuter dans le délai imparti, la Société Générale avait résilié le contrat et suspendu les services dans la foulée.

Après plusieurs actions en référé, Dstorage s’est résolu à assigner la Société Générale devant le Tribunal de commerce de Paris, sollicitant plusieurs millions d’euros, notamment au titre de son préjudice matériel et de sa perte de chance de parvenir à se développer sans solution informatique de paiement.

Le principal argument déployé par Dstorage tenait à la résiliation fautive du contrat par Société Générale, au motif qu’elle bénéficiait du statut protecteur d’hébergeur de contenus au sens de la LCEN et qu’elle avait parfaitement respecté les contraintes et obligations découlant de ce statut.

Dans son arrêt du 3 mars 2023, la Cour d’appel de Paris rappelle d’abord que dans ce litige, la qualité d’hébergeur de Dstorage n’était pas contestée : en effet, celle-ci ne jouait aucun rôle actif, que son intervention se limitant à la structuration du site, ainsi qu’à la classification des informations mises à disposition du public et à l’uniformisation formelle de la présentation des données pour faciliter l’usage de son service, et qu’elle ne s’impliquait ni dans la détermination, ni dans la vérification des contenus qui y étaient publiés sous la seule responsabilité des internautes.

Mais elle précise que le litige soumis à la cour s’inscrit sur le terrain de l’exécution des clauses du contrat conclu avec la Société Générale et non sur celui de la recherche d’une responsabilité délictuelle instaurée par la LCEN.

Partant, la Cour va considérer que c’est à bon droit que le Tribunal de commerce a écarté l’application de la loi LCEN.

Sur l’application du contrat, la Cour s’en tient à une lecture stricte des droits et obligations des parties et retient que les dispositions de l’accord signé permettaient, effectivement, à la Société Générale de résilier le service sans préavis et sans autre formalité que l’envoi d’une lettre recommandée, dès lors qu’elle était informée de l’illicéité d’un contenu.

De manière assez logique, les juges d’appel retiennent que ce dispositif a été respecté, sans qu’il soit besoin de se référer aux mécanismes et aux exigences de la LCEN, qui n’avait vocation à s’appliquer que pour des relations non contractuelles.

Pour l’ensemble de ces raisons, la Cour d’appel conclut que c’est à bon droit que la Société Générale, en application des conditions générales du contrats et après mise en demeure, a procédé à la résiliation du Contrat.

Source : Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 11, 3 mars 2023, n° 21/10178