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La Chambre criminelle a tranché : le « clickwalker » n’est pas un salarié !

15 avril 2022 | Derriennic Associés|

 

« Oui, l’homme a la vie dure ! Un être qui s’habitue à tout. Voilà, je pense, la meilleure définition qu’on puisse donner de l’homme » (F. Dostoïevski).

Le 3 juin 2009, la Chambre sociale de la Cour de cassation reconnaissait les participants des émissions de télé-réalité comme des « salariés », adaptant ainsi aux temps modernes les critères du lien de subordination. Plus récemment encore, le 4 mars 2020, la Cour de cassation reconnaissait la possibilité pour un chauffeur VTC d’être qualifié de salarié. Aujourd’hui, avec l’uberisation croissante du travail et l’émergence du « digital labor », se pose la même question à l’endroit des « clickwalkers » ou « travailleurs du clic ».

En l’espèce, la société incriminée avait pour activité de collecter puis de traiter, pour le compte de marques ou d’enseignes, des données commerciales dites « de terrain » recueillies par des particuliers dénommés « clickwalkers » qui, à partir d’une application gratuite téléchargée sur leur téléphone, effectuaient pour le compte de cette société différentes missions. Celles-ci consistaient à fournir des informations sur leurs habitudes de consommation, à émettre un avis sur des supports de communication ou encore à vérifier dans les magasins la présence, le prix ou la visibilité des produits. Effectuées sur la base du volontariat, ces missions donnaient lieu à une gratification en points cadeaux ou en numéraire après vérification, par la société incriminée, du respect des modalités de la mission.

Au terme d’une enquête préliminaire engagée par le seul Procureur de la République (ni l’Urssaf ni les clickwalkers ne s’étaient constitués partie civile), le Parquet poursuivait la dirigeante et la société pour travail dissimulé. Relaxés par le Tribunal correctionnel, la Cour d’appel de Douai concluait, en revanche, à la qualité de salarié des intéressés et condamnait ainsi les prévenus à une peine d’amende respective de 5.000 € pour la dirigeante personne physique et de 50.000 € pour la personne morale. Celles-ci ont alors formé un pourvoi en cassation conduisant ainsi la Chambre criminelle à devoir se prononcer sur la qualité de salarié ou non s’agissant de cette nouvelle forme de travail assurée à distance, par le biais d’une plateforme numérique, au moyen de micro-tâches répétées sur un temps très court.

Pour caractériser un travail dissimulé, encore faut-il que la relation de travail soit qualifiée de salariée. La question se pose alors du lien de subordination juridique, c’est-à-dire des critères désormais classiques du pouvoir de direction, de contrôle et de sanction détenu par l’entreprise. A l’instar des chauffeurs VTC, l’enjeu financier est considérable, les travailleurs en question pouvant se revendiquer non seulement du SMIC ou de l’assurance chômage, mais encore de la protection sociale afférente dont on sait qu’elle risquerait d’être actionnée, s’agissant de travailleurs pouvant être exposés régulièrement à des contenus violents ou traumatisants.

Pour caractériser un lien de subordination, la Cour d’appel avait manifestement eu un « déclic » en relevant que les missions confiées étaient très précises, que la société en contrôlait la bonne exécution et que si la mission était rejetée pour mauvaise exécution, celui qui l’a exécutée n’était pas rémunéré, ce qui s’analysait en un pouvoir de sanction. La Chambre criminelle censure cette décision en deux temps. Rappelant d’abord la jurisprudence de la Chambre sociale sur le lien de subordination, elle en conclut que la Cour d’appel en a méconnu les principes. Plus précisément, la chambre criminelle relève que « n’exécute pas une prestation de travail sous un lien de subordination, le particulier qui accepte, par l’intermédiaire d’une plateforme numérique gérée par une société, d’exécuter des missions consistant à (…), dès lors qu’il est libre d’abandonner en cours d’exécution les missions proposées, ne reçoit aucune instruction ou consigne lors de leur exécution, que la société ne dispose pas, pendant l’exécution de la mission, du pouvoir de contrôler l’exécution de ses directives et d’en sanctionner les manquements, quand bien même la correcte exécution des missions est l’objet d’une vérification par la société qui peut refuser de verser la rémunération prévue et le remboursement des frais engagés, en cas d’exécution non conforme ». L’arrêt a ceci d’intéressant qu’il replace l’exercice même du lien de subordination durant l’exécution même de la prestation. Autrement dit, il importe peu qu’une personne donne à son co-contractant (mandant) des instructions précises ou que ce dernier doive lui en rendre compte. Ce qui importe est la liberté d’exécution de la mission, autrement dit, la liberté d’exécuter ou de non exécuter la mission comme on l’entend et ce, sans être placé sous le contrôle de son co-contractant durant cette phase. Ce faisant, le particulier qui clique pour recueillir des données reste libre et n’est donc pas, juridiquement, un salarié. Après avoir cliqué sur cet article, nous pouvons donc zapper sans crainte…

 

Source : Cass. Crim., 5 avr. 2022, n°20-81.775