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La clause de neutralité au règlement intérieur

15 mai 2017 | Derriennic Associés|

Le fait religieux peut susciter de nombreuses questions pratiques pour les employeurs, d’autant que tous les aspects de la vie en entreprise sont concernés. Afin d’aider les employeurs, le ministère du Travail a publié, le 26 janvier 2017, un « guide pratique du fait religieux en entreprise », reprenant la possibilité pour les entreprises de prévoir dans leur règlement intérieur des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés, tel qu’introduit par la loi Travail du 8 août 2016.

Dans le prolongement des conditions fixées par la loi Travail du 8 août 2016, la Cour de justice de l’Union Européenne est venue, par deux décisions du 14 mars 2017, encadrer la possibilité pour les entreprises d’insérer une clause de neutralité dans leur règlement intérieur (CJUE, 14 mars 2017, aff. C-157/15 et C-188/15).

N.B :En réponse à deux questions préjudicielles belge et française, qui concernaient toutes deux des salariées d’entreprises privées licenciées pour avoir refusé de retirer leur voile sur le lieu de travail, la CJUE a admis que les entreprises privées puissent restreindre, par une règle interne, le port de signes religieux, politiques ou philosophiques par leurs salariés, afin d’afficher une politique de neutralité vis-à-vis de leurs clients.

  • CONDITIONS DE LA LICEITE DE LA CLAUSE DE NEUTRALITE INSEREE AU REGLEMENT INTERIEUR

Conformément à l’article L.1321-3 du Code du travail, le règlement intérieur ne peut apporter de restrictions aux libertés individuelle, notamment la liberté de manifester ses convictions religieuses, que si celles-ci se trouvent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. Pour sa part, la Cour de cassation a ajouté que de telles restrictions doivent répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante (Cass. soc. 19 mars 2013, n°11-28.845). L’employeur ne peut ainsi formuler une interdiction générale et absolue.

L’article L.1321-2-1 du Code du travail, introduit par la loi Travail du 8 août 2016, permet d’insérer au règlement intérieur une clause de neutralité « restreignant la manifestation des convictions des salariés ». Une telle clause n’est toutefois licite que sous les conditions suivantes :

  • les restrictions doivent être justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise ;
  • elles doivent être proportionnées au but recherché.

En pratique, tel que présenté par le Ministère du Travail, le principe de neutralité peut être mis en place dans deux hypothèses :

  • lorsqu’une pratique religieuse individuelle ou collective porte atteinte au respect des libertés et droit de chacun. Cela peut concerner, par exemple, les atteintes au droit de croire ou de ne pas croire (pratiques prosélytes ou comportement exerçant une pression sur d’autres salariés) ou à l’égalité hommes/femmes.
  • en raison des nécessités de l’activité de l’entreprise, tant au regard du personnel (respect des règles d’hygiène ou de sécurité) que des tiers intéressés, notamment les clients de l’entreprise.

Il n’en reste pas moins que le règlement intérieur ne peut contenir de dispositions discriminant les salariés, dans leur emploi ou leur travail, en raison de leurs convictions religieuses (article L.1321-3 du Code du travail). A cet égard, la Cour de justice de l’Union Européenne, affirme que l’interdiction du port d’un signe religieux, en l’espèce le voile islamique, ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou les convictions, si elle découle d’une règle interne, notamment du règlement intérieur de l’entreprise, interdisant le « port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail » (CJUE, 14 mars 2017, aff. 157/15).

En définitive, sur le fondement de l’article L.1321-2-1 du Code du travail et à la lecture des décisions de la CJUE du 14 mars 2017, la clause de neutralité insérée dans le règlement intérieur devra satisfaire trois exigences :

  • tous les types de convictions personnelles devront être expressément visés.

Il ne pourra être réservé un sort particulier aux seules convictions religieuses, a fortioriaux signes qui manifestent l’adhésion à une religion en particulier.

  • le principe de neutralité devra être justifié par un objectif légitime.

A ce titre, la CJUE a estimé que « la volonté d’afficher, dans les relations avec les clients tant publics que privés une politique, philosophique ou religieuse doit être considéré comme légitime » (CJUE, 14 mars 2017, aff. 157/15).

  • les moyens mis en œuvre pour réaliser cet objectif devront être appropriés et nécessaires.

Pour ce faire, la CJUE précise que « le fait d’interdire aux travailleurs le port visible de signes de convictions(…) est apte à assurer la bonne application d’une politique de neutralité » et invite le juge à vérifier « si l’interdiction du port visible de tout signe ou vêtement susceptible d’être associé à une croyance religieuse ou à une conviction politique ou philosophique vise uniquement les travailleurs(…) qui sont en relation avec les clients » (CJUE, 14 mars 2017, aff. 157/15).

Par ailleurs, la Cour de cassation a saisi la CJUE pour savoir si le souhait de la clientèle de l’entreprise de ne plus voir les prestations assurées par une salariée voilée pouvait constituer une « exigence professionnelle essentielle et déterminante » permettant à l’employeur d’interdire le port du voile (Cass. soc. 9 avril 2015, n°13-19.855). Sur ce point, pour la CJUE, en l’absence d’une règle interne, telle qu’une « clause de neutralité » licite, la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits d’un client ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante, qui justifierait cette restriction au port d’un signe religieux (CJUE, 14 mars 2017, aff. 188/15).

  • LA PROCEDURE D’INTRODUCTION DE LA CLAUSE DE NEUTRALITE AU REGLEMENT INTERIEUR 

L’introduction d’une clause de neutralité, emporte obligation pour l’employeur de respecter strictement la procédure de modification du règlement intérieur.

Pour rappel, les étapes de la modification du règlement sont les suivantes :

  • l’employeur doit recueillir l’avis préalable du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel.
  • le règlement intérieur doit ensuite être communiqué à l’inspecteur du travail, avec l’avis des représentant du personnel (article L.1321-4 du Code du travail).
  • concernant les formalités de dépôt et de publicité, l’employeur doit déposer le règlement intérieur au greffe du conseil de prud’hommes et le porter, par tout moyen, à la connaissance des salariés (article R.1321-1 et R.1321-2 du Code du travail). En effet, la communication auprès du personnel doit être envisagée, afin que tous soient informés des règles retenues à l’égard des manifestations des convictions religieuses susceptibles de créer un trouble pour le personnel ou pour l’entreprise. L’employeur peut désormais utiliser l’intranet de l’entreprise et la messagerie électronique pour communiquer aux salariés les règles de neutralité inscrites au règlement intérieur.

Au-delà de ces obligations légales, le ministère du Travail invite vivement les employeurs à procéder à une démarche concertée, tant avec les représentants du personnel qu’avec les salariés, sur le sujet du fait religieux lorsque l’entreprise y est confrontée (consultation, groupe de travail, réunion d’échange par exemple).

En tout état de cause, l’adjonction d’une disposition concernant un principe de neutralité dans un règlement intérieur n’est pas une obligation, l’entreprise demeure libre de l’y inscrire ou non. Elle peut ainsi préférer opter pour une charte, dépourvue de toutes dispositions disciplinaires, où ne figure que des recommandations. Dès lors, ce type de charte ou guide ne relève plus du champ du règlement intérieur et la violation de ses recommandations ou conseils ne peut être sanctionnée par l’employeur.