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La Haute juridiction ouvrirait-elle une brèche vers la brevetabilité des logiciels ?

16 mars 2023 | Derriennic associés|

A titre liminaire, rappelons que l’obtention d’un brevet sur une invention octroie à son titulaire un droit exclusif d’exploitation de l’invention, qui lui permet d’interdire aux tiers d’utiliser celle-ci sans son autorisation préalable.

Un logiciel n’est, en principe, pas brevetable, conformément aux dispositions de l’article L611-10 du Code de la propriété intellectuelle, sauf à ce qu’il fasse partie d’une invention plus globale ; le logiciel étant seulement l’un des éléments de l’invention (article L611-10 du même Code).

Or, pour déterminer si tel est le cas, la jurisprudence retient des interprétations assez variées, notamment en fonction de s’il s’agit de l’Office Européen des Brevets ou de la jurisprudence française.

L’Office Européen des Brevets a ainsi admis la protection par le brevet lorsque le logiciel est intégré à une invention et lui apporte une contribution technique (par exemple, une méthode mathématique appliquée à un domaine technologique), puisqu’il n’est alors pas considéré « en tant que tel » et pris isolément.

En France, l’interprétation des tribunaux est plus fluctuante : les tribunaux reconnaissant tantôt (i) l’incompatibilité du logiciel avec la protection conférée par le brevet ; les programmes d’ordinateur étant exclus de la brevetabilité du fait de leur protection par le droit d’auteur (TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 18 juin 2015, n° 14/05735, SA Orange c/ SAS Free et Freebox : Propr. industr. 2015, chron. 11, n° 1, TGI Paris, 18 novembre 2016, n° RG 13/11351, confirmé par CA Paris, pôle 5, chambre 2, 28 juin 2019, n° RG 17/01776), tantôt (ii) la brevetabilité du logiciel dès lors qu’il s’agit d’un système constitué d’une combinaison de moyens venant résoudre un problème technique (CA Paris 4e ch., sect. B, 5 juin 2009, n° 07/20589 : PIBD 2009, n° 903, III, p. 1331).

La décision :

Dans cette affaire, la société Thales a déposé la demande de brevet français n° 10 04947, intitulé « Procédé d’affichage temporel de la mission d’un aéronef », publiée le 22 juin 2012.

Par décision du 17 juillet 2018, le Directeur général de l’Institut National de la Propriété industrielle (l’INPI) a rejeté la demande de brevet au motif, notamment, que son objet ne concernait qu’une présentation d’informations associée à une méthode mathématique, dépourvue de caractéristiques techniques au sens de l’article L. 611-10, 2° du Code de la propriété intellectuelle ; condition pourtant sine qua none afin d’obtenir un brevet.

La société Thales a formé un recours contre cette décision et a obtenu gain de cause devant la Cour d’appel, qui a considéré que la demande de brevet déposée par la société Thales est recevable, en ce qu’elle vise des moyens techniques, distincts du contenu des informations en elles-mêmes.

Le Directeur général de l’INPI fait grief à l’arrêt d’annuler sa décision du 17 juillet 2018, au motif que les logiciels ne sont pas brevetables et que, contrairement à ce qu’a énoncé la Cour d’appel, des caractéristiques qui définissent la manière dont les informations sont visualisées selon un certain agencement (affichage partiel ou total) ne peuvent être regardées comme apportant une contribution technique.

La Cour de cassation retient que :

  • ne sont pas considérées comme des inventions les présentations d’informations (première caractéristique de la revendication) ;
  • la seconde caractéristique de cette revendication, qui prévoit que l’utilisateur (à savoir le pilote) peut n’afficher qu’une partie des informations présentées, ce qui aide ce dernier à sélectionner, parmi celles-ci, les plus pertinentes, pourrait être un moyen technique distinct du contenu des informations elles-mêmes pouvant être brevetable. Cependant, la Cour d’appel, qui déduit de ce qui précède que la revendication 1, prise dans son ensemble, n’est pas exclue de la brevetabilité, en se bornant à reproduire les termes de la revendication 1, n’a pas véritablement établi l’existence d’une contribution technique apportée par le brevet entrepris.

Tout en cassant et en annulant la décision rendue par la Cour d’appel de Paris, la Cour de cassation vient toutefois laisser entrevoir la possibilité de breveter un logiciel consistant en la présentation d’informations associée à une méthode mathématique.

Source : Cass. Com, 11 janvier 2023, n°19-19.567