C’est l’un des enjeux majeurs du droit social pour 2023.
La Fédération Syntec en donne un bon exemple puisque celle-ci est parvenue, le 13 décembre 2022, à conclure quatre accords de branche qu’elle qualifie de « socialement et sociétalement innovants ». Outre la durée du travail (forfait-jours) et le télétravail qui sont repensés, ceux-ci ont également trait à la déconnexion ou encore aux droits pouvant être donnés aux salariés subissant une interruption spontanée de grossesse.
Ces sujets relèvent incontestablement de la RSE qui, s’élevant au-dessus des frontières des différents droits, a vocation aujourd’hui à intégrer l’entreprise.
Or, il ne s’agit pas d’une démarche identique pour tous. La RSE doit, tout au contraire, s’adapter au paysage de l’entreprise, à ses acteurs internes et externes, ainsi qu’à ses moyens.
Compte tenu de son évolution exponentielle, la RSE doit aujourd’hui conduire l’entreprise à mener rapidement une véritable réflexion, ce qui suppose évidemment d’en maitriser les bases mais aussi un accompagnement sérieux pour éviter tout risque de contentieux.
Cette première note d’actualité n’a donc pas vocation à détailler ici tous les aspects de la RSE, mais à sensibiliser le lecteur sur les défis et les enjeux vertueux de ce dispositif.
Précisément en raison de son évolution, le périmètre de la RSE peut aujourd’hui apparaitre comme vertigineux aux yeux de celui qui s’empare du sujet (I). L’inertie n’étant plus une option, l’outil doit, pour atteindre son but, être manié avec précaution (II).
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I. La RSE : enjeu possiblement vertigineux
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Outre une palette à sept couleurs dont les tons ont de plus en plus tendance à être déclinés (A), la vérité des composantes de la RSE oblige également à s’interroger sur les acteurs de celle-ci, qualifiés de « parties prenantes » (B).
A) Le champ d’application matériel de la RSE : un univers en expansion !
- Une définition élastique
Bien qu’il existe plusieurs définitions de la RSE, l’Organisation internationale de normalisation la définit, aux termes de la norme ISO 26000 comme « responsabilité sociétale des entreprises ».
Le qualificatif « sociétal » englobe volontairement plus que le seul aspect social puisqu’il rassemble tous les sujets de responsabilité envers la société et l’environnement.
La norme ISO 26000 définit d’une part un noyau dur de sept sujets devant se retrouver au sein de toute démarche RSE : la gouvernance de l’organisation (i), les droits de l’homme (ii), les relations et conditions de travail (iii), l’environnement (iv), la loyauté des pratiques (v), les questions relatives aux consommateurs (vi) et les communautés, intérêts et développement local (vii).
La même norme impose, d’autre part, d’appréhender chacune de ces sept sphères au travers de sept principes qui consistent à être redevable de ses activités (a), être transparent (b), adopter un comportement éthique (c), reconnaître les intérêts des parties prenantes (d), respecter le principe de légalité (e), prendre en compte les normes internationales de comportement (f) et respecter les droits de l’homme (g).
Outre l’aspect symbolique des nombres, on peut d’emblée remarquer que chaque composante de la RSE est ainsi susceptible de recouvrir de nombreuses problématiques actuelles et à venir, elles-mêmes susceptibles d’évoluer au regard des sciences et nouvelles technologies. Le sujet peut donc se révéler vertigineux pour celles et ceux qui déciderai(en)t de s’y plonger.
- Une évolution des composantes elles-mêmes
Par facilité, certains praticiens rassemblent les sept composantes de la RSE en trois questions centrales : la gouvernance, les conditions de travail et l’environnement.
Mais qu’elles soient rassemblées ou distinguées, les composantes de la RSE ne cessent d’évoluer
1. La gouvernance va devoir s’articuler autour d’un devoir de vigilance tourné vers l’ensemble des acteurs afin de prévenir tous les risques sociaux (travail illégal ou dissimulé, travail des enfants, travail forcé,…), environnementaux (dommages environnementaux, sanitaires,…) ou encore de gouvernance (respects des normes de sécurité, financières,…).
Concernant le reporting extra-financier, la NFRD (Non Financial Reporting Directive) cède la place à la CSRD (Corporate Sustainibility Reporting Directive).
Qu’est-ce qui va changer sur l’exercice 2024, pour la DPEF à publier en 2025 ?
→ Plus d’entreprises concernées
L’obligation de reporting s’appliquait aux entreprises de plus de 500 salariés. Elle concernera désormais les entreprises de plus de 250 salariés réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 40 millions d’euros (réalisé en Europe) ou ayant un bilan supérieur ou égal à 20 millions d’euros.
On estime que près de 50 000 entreprises en Europe seraient concernées, au lieu d’environ 10 000 actuellement.
→ Un reporting plus détaillé
Le contenu du reporting serait enrichi : changement climatique (atténuation et adaptation), ressources en eau et marines, utilisation des ressources et économie circulaire, pollution, biodiversité et écosystèmes. Sur ces différentes thématiques, les entreprises devront notamment fixer des objectifs.
L’analyse des impacts négatifs (double impact sur l’environnement et sur la Société) devra être plus détaillée.
En ce qui concerne le changement climatique, il sera inévitable de réaliser un bilan Carbone de ses activités.
La vérification du reporting par un Organisme tiers indépendant (OTI) serait plus exigeante : elle ne portera pas seulement sur la réalité des informations transmises, mais aussi sur leur cohérence avec les objectifs de durabilité de l’entreprise, ou sur la pertinence des indicateurs retenus.
La loi Sapin II du 9 décembre 2016 a imposé de véritables process pour lutter contre tout montage financier frauduleux, qu’il s’agisse de corruption, de favoritisme, de conflit d’intérêts, de trafic d’influence ou encore de détournement de biens publics par dépositaire. La loi Pacte du 22 mai 2019, quant à elle, a pour objectif de mieux partager la valeur créée avec les salariés tout en prenant en considération les enjeux sociaux et sociétaux, par le qualificatif de « société à mission » inscrit dans les statuts. Le nouvel article 1833 du code civil énonce ainsi que « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».
2. Les relations et conditions de travail vont également devoir, si ce n’est évoluer, du moins être préservées.
Les modèles actuels imposent déjà de promouvoir le bien-être au travail avec la Qualité de Vie au Travail (QVT), devenue depuis peu la Qualité de Vie et Conditions de Travail (QVCT).
Tenu à une obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels, l’employeur doit aujourd’hui répertorier, avec l’aide du CSE, l’ensemble des risques possibles au sein du document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), lequel donnera lieu ensuite à un programme Annuel de Prévention (PAPRIPACT).
Des obligations, plus spécifiques encore, s’imposent à l’égard de la prévention des agissements de harcèlement moral et sexuel ainsi que des agissements sexistes. Là encore, le visage traditionnel de ces agissements évolue, la jurisprudence récente ayant reconnu, au titre du harcèlement moral, le harcèlement d’ambiance ou encore, au-delà du burn-out, le bore-out ainsi que le brown-out. Autant de sujets qui devront être utilement étudiés, selon l’environnement de travail propre à l’entreprise.
Des obligations particulières en termes de sécurité s’imposent enfin à certaines entreprises qui interviennent de manière concomitante sur un même lieu de travail voire sur un chantier (plan de prévention, PPSP, etc.).
Au-delà des risques, le bien-être au travail doit encore permettre la reconnaissance des individus, qui passe ainsi par l’avancement, le développement des compétences ainsi que par l’équilibre réussi entre le travail et la vie privée.
La RSE conduit à ce titre à s’interroger, sur le traitement équitable fait entre les salariés, quels qu’ils soient. Que ce soit dans le recrutement, dans la rémunération et l’avancement ou encore dans la prise en considération des spécificités de chacun, l’employeur doit aujourd’hui réfléchir aux écarts possibles entre hommes et femmes, mais aussi à la prise en compte des intérêts de populations ethniques, sociales ou sociétales minoritaires.
Enfin, le développement de l’IA ainsi que l’uberisation du travail interroge également sur le futur des relations de travail et la protection de l’individu, projeté dans ces nouvelles sphères (réseaux sociaux, métavers, crypto-rémunération,…).
3. L’environnement, enfin, constitue un sujet à part entière autant qu’il irradie, par lui-même, l’ensemble des sujets de la RSE.
La démarche doit ici s’intéresser aux moyens d’utiliser de manière efficace et durable les ressources naturelles, de réduire les émissions de gaz à effets de serre, de limiter et trier les déchets, de favoriser la biodiversité, de développer l’économie circulaire, de faire des économies d’énergie (en désignant un « inspecteur énergie » par exemple) ou encore de privilégier l’achat de produits locaux ayant un impact faible sur l’environnement.
Les lois successives (TECV en 2015, Energie climat en 2019, Anti-gaspillage pour une économie circulaire en 2020, Climat et résilience en 2021) ont contribué, lentement mais surement, à la prise en compte de ces problématiques dans l’entreprise.
Du côté du diagnostic, le Bilan Carbone des entreprises va devoir progressivement intégrer un spectre beaucoup plus large (passant du scope 1 et 2 au scope 3).
Du côté des relations de travail, la démarche consistera à promouvoir des activités sociales et culturelles à vocation environnementale mais aussi à repenser la rémunération (primes, formations ou encore ces nouveaux « agreenment » en matière d’intéressement) pour qu’elle soit moins polluante ou procède de comportements eco-friendly. On pense également ici à la flotte de véhicule des entreprises ainsi qu’au plan de mobilité des salariés.
→ Une dimension coercitive
La RSE n’est plus un vœu pieux. Il s’accompagne désormais de réels moyens coercitifs en possession de toute partie prenante.
Les représentants du personnel (le CSE) pouvaient déjà exercer un droit d’alerte en matière économique ou en cas de harcèlement ou d’atteinte aux droits ou à une liberté fondamentale mais encore désigner un expert pour ces mêmes sujets mais aussi à l’occasion de l’examen de la situation économique et financière de l’entreprise, de sa politique sociale ou encore de ses orientations stratégiques.
Allant plus loin, la loi Pacte a permis à ces derniers de proposer même des orientations stratégiques alternatives au conseil d’administration, lequel est alors tenu d’y répondre de manière argumentée.
Quant au volet environnement, le CSE dispose non seulement d’un nouveau droit d’alerte pour « risque grave sur la santé publique ou l’environnement » mais dispose encore désormais d’un accès de principe aux données environnementales de l’entreprise qui doit leur transmettre via la BDES, rebaptisée BDESE.
Mais les élus ne sont plus les seuls à pouvoir questionner l’entreprise sur ces questions. Toute partie prenante est également susceptible aujourd’hui de se prévaloir d’un manquement de l’entreprise à ces sujets.
Que ce soit à l’occasion d’appels d’offre, dans les chaînes d’approvisionnement ou encore dans les relations donneur d’ordre – sous-traitant (y compris à l’égard de l’URSSAF), la nature des engagements peut être synonyme de responsabilité en cas de manquement, y compris à l’égard de l’environnement.
Le Conseil d’Etat vient d’ailleurs de confirmer aux termes d’une ordonnance de référé rendue le 20 septembre 2022 la reconnaissance du droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, ce droit présentant le caractère de « liberté fondamentale ».
La RSE n’est donc plus théorique. Non seulement son cadre et ses composantes sont évolutifs, mais son support normatif est devenu coercitif, ce d’autant plus qu’elle s’exerce à tous les niveaux.
Pour plus d’efficacité, la RSE ne se déploie pas que sur le plan horizontal mais vertical aussi : vis à vis des filiales de l’entreprise ou encore de ses partenaires commerciaux.
Cela entraîne une démultiplication des « parties prenantes » dont il faut identifier puis coordonner les intérêts
B) Le champ d’application personnel de la RSE : les parties prenantes au diapason !
La RSE a vocation à intéresser de nombreuses parties prenantes dans, et en dehors, de l’entreprise, dans son giron proche ou éloigné.
→ Une RSE couvrant tous les types de rapports sociétaux
C’est dans l’ensemble de ses rapports que l’entreprise va devoir appliquer sa démarche RSE dans ses rapports avec :
- ses filiales, la loi n°2017-399 ayant imposé aux entreprises d’établir et de publier un plan de vigilance afin de prévenir les risques précités ;
- l’Administration et les collectivités, qualifiés de B TO A ;
- les consommateurs, clients et citoyens, qualifiés de B TO C ;
- ses salariés, qualifiés de B TO E ;
- ses investisseurs, qualifiés de B TO I ;
- ses partenaires, qu’ils soient fournisseurs, sous-traitants ou autres, qualifiés de B TO B.
Et c’est ainsi dans chacun de ses rapports que devront être pris en compte chacune des sept composantes précitées de la RSE.
→ Une RSE confiée dès lors à qui ?
La difficulté de la RSE tient notamment à la méthode de travail employée mais encore à son pilotage.
S’agissant de la méthode, plusieurs peuvent être envisagées mais il faut indiquer que deux pratiques s’imposent au préalable dans tous les cas.
Il faut en premier lieu identifier sa responsabilité sociétale. C’est là où l’approche devra se faire en fonction du visage de l’entreprise. Quels sont ses besoins ainsi que ses enjeux ? Comment son organisation peut y contribuer ou quelles évolutions cela implique-t-il ? Quels sont les bénéfices et les risques d’une telle évolution, avant d’envisager les conditions, financières mais aussi techniques, opérationnelles et juridiques, pour la mise en œuvre de ces évolutions ?
Il faut, en second lieu, identifier les parties prenantes et engager le dialogue avec elles. Entre un grand groupe d’envergure internationale et une PME, la cartographie des parties prenantes sera bien différente. Elle n’en est pas moins importante puisqu’à chaque niveau, il faudra retrouver les sept composantes initiales de la RSE.
Quant au fait de savoir qui doit on mettre à la tête du projet pour conduire ces changements, la question devient moins aisée dès lors qu’elle oblige la coordination de nombreuses équipes au sein de l’entreprise : logistique/supply chain travaillant avec le juridique/RH, travaillant avec le compliance/données personnelles, travaillant avec la finance sans oublier la communication.
Faut-il un poste ad hoc ? Faut-il un chef de projet ? Ces questions devront faire l’objet d’une étude en amont, en fonction des problématiques de chaque entreprise. Il va de soi que la RSE d’une entreprise de bâtiment sera très différente de celle d’une ESN.
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II. La RSE : sujet dangereux, faute d’accompagnement sérieux
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La démarche réussie en matière de RSE peut apporter beaucoup à l’entreprise (A), ce qui suppose toutefois un accompagnement sérieux (B).
A) Les bienfaits connus et reconnus de la RSE
Chacun des pans de la RSE dispose désormais d’un support normatif, plus ou moins contraignant et qui peut, en ce sens, effrayer certains acteurs.
Mais ce que la RSE a d’effrayant peut aussi se révéler comme un marqueur de noblesse, dès lors que l’entreprise s’y conforme.
Les opportunités d’une démarche RSE réussies sont nombreuses puisqu’elle contribue à rendre l’entreprise pérenne ainsi qu’à la faire grandir socialement, humainement et éthiquement.
Les marqueurs positifs connus d’une RSE en mouvement sont les suivants :
- amélioration de l’image ;
- innovation, créativité et développement de nouvelles offres ;
- différenciation vis-à-vis de la concurrence (appels d’offres, recrutement de salariés) ;
- fidélisation des clients ;
- développement des relations avec les parties prenantes (dont le CSE) ;
- apport d’affaire & nouveaux clients ;
- amélioration de la productivité des salariés, développement de la cohésion d’équipe et du sentiment d’appartenance, réduction du turn over ;
- maitrise de l’empreinte environnementale
Une telle démarche, de l’avis de tous, contribue également à une meilleure connaissance, par l’entreprise, de son propre fonctionnement.
En évaluant ses impacts, en faisant remonter les demandes ou tendances, en approfondissant les controverses provenant des partenaires internes et externes à l’entreprise, celle-ci sera amenée à réfléchir sur ce qui constitue son « ADN » comme l’évoquent les startups. Comme si les sept facettes de la RSE précitées conduisaient l’entreprise à mieux se connaître soi-même.
Enfin, le risque contentieux s’avèrera d’autant plus réduit, dès lors que l’accompagnement en ce sens aura été sérieux.
B) Les conditions d’un accompagnement sérieux
Ainsi qu’il l’a été évoqué, la RSE doit être traitée d’un point de vue à la fois juridique, technique et opérationnel.
C’est pourquoi en tant que conseil, il nous faut mener une réflexion, in concreto, en fonction de l’environnement propre à chaque entreprise tout en adoptant une triple vision :
- Globale : les relations évoquées entre les différents départements doivent nous permettre d’aboutir à une RSE aussi personnelle et complète que valorisante ;
- Partenariale : la méthode employée, qui passe par le dialogue avec les parties prenantes, devra nécessairement faire preuve d’autant d’agilité que d’efficacité ;
- Sur le long terme : la démarche ainsi poursuivie ne doit pas être ponctuelle mais s’inscrire sur le court, moyen et long terme.
Cette vision permettra d’identifier le plus efficacement possible la responsabilité sociétale inhérente à l’activité de l’entreprise ainsi qu’à cartographier l’ensemble de ses parties prenantes pour établir un plan d’action concret en vue de conduire ce changement.
C’est dans cette démarche pragmatique que le pôle Droit social du Cabinet Derriennic souhaite cette année s’investir, en sensibilisant ses partenaires aux fins d’échanger et travailler avec eux.
Cet axe de travail permettra de faciliter au mieux, tant juridiquement que socialement, le changement que nous impose désormais la RSE.
L’équipe Droit social