Opérant un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation vient juger, dans un arrêt du 23 novembre 2022, que lorsque le salarié commercial se rend à la disposition de son employeur et répond à ses directives durant les temps de trajet entre son domicile et le premier et dernier client, ce temps doit être considéré comme du temps de travail effectif et rémunéré comme tel.
Déjà en 2015, la CJUE avait appelé à la vigilance, s’agissant des salariés pour lesquels, à défaut de lieu de travail fixe, le temps de déplacement entre leur domicile et leur premier et dernier lieu d’intervention, devait être considéré comme du travail effectif et rémunéré comme tel (CJUE 10 septembre 2015 aff. 266/14). Malgré tout, la Chambre sociale restait chauvine et, aux termes d’une décision de 2018, faisait de la résistance en jugeant que la rémunération des travailleurs, fussent-ils itinérants « relève, non pas de ladite directive, mais des dispositions pertinentes du droit national » (Cass. Soc., 30 mai 2018, n°16-20.634). Face à de tels mouvements séditieux, la CJUE ne pouvait que réagir. Ce fut chose faite par sa décision du 9 mars 2021 (CJUE, gr. ch., 9 mars 2021, aff. C-344/19), aux termes de laquelle elle a jugé que même si les états membres disposent d’une certaine liberté dans la définition des « temps de travail » et/ou des « temps de repos », celles-ci constituent des notions relevant du droit de l’Union. Elles doivent dès lors être définies et appliquées de manière uniforme, à la lumière de la directive 2003/88. La Cour de cassation ne pouvait donc plus résister longtemps, ce qui explique son revirement du 23 novembre dernier. Les itinérants ne peuvent donc plus, du seul fait qu’ils se déplacent souvent entre divers lieux d’intervention, se voir exclus de la définition normale du temps de travail. En pratique, le juge devra vérifier si, pendant le temps de déplacement, le salarié se tient effectivement à la disposition de l’employeur sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles. Si tel est le cas, ce temps devra être pris en compte dans le temps de travail effectif, notamment au titre du décompte des heures supplémentaires réalisées.
Cette posture résiliente de la Cour de cassation n’est pas nouvelle. La Cour avait déjà été amenée à infléchir sa position sur les astreintes, au regard des dispositions communautaires, par son arrêt du 26 octobre 2022 : la Haute Cour a précisé que pour déterminer si ces dernières constituaient du temps de travail effectif, les juges du fond devaient vérifier « si le salarié avait été soumis au cours de ses périodes d’astreinte, à des contraintes d’une intensité telle qu’elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels n’étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles ». Selon la Cour de cassation, le simple contrôle de tâches imposées au salarié pendant les permanences ne suffit pas.
Il apparaît dès lors opportun de définir avec précision ces temps au sein de l’entreprise. La Société pourrait par exemple rappeler sur le fondement du droit à la déconnexion, l’interdiction de travailler durant ces trajets. Ce nouveau mouvement jurisprudentiel appelle en tout état de cause à la plus grande prudence. Car bien que le trajet entre les deux soit important, de la CJUE à la Cour de cassation, le pas peut être fracassant.
Source : Cass. Soc., 23 nov. 2022, n°20-21.924 & Cass. Soc., 26 oct. 2022, n°21-14.178