Cour d’appel d’Orléans, Chambre commerciale, Arrêt du 2 mars 2017, Répertoire général nº 16/01501
Lorsqu’en raison de la spécificité de la prestation, il existe nécessairement un aléa, le non-respect de délais donnés à titre indicatif ne peut constituer une faute lourde, ni même un manquement à une obligation essentielle.
En 2007, différentes sociétés d’un groupe signent avec un éditeur un contrat de fourniture d’un progiciel et des commandes de prestations. Le premier planning de démarrage ne sera pas tenu, un nouveau calendrier est fixé début 2008 mais ne sera pas mieux respecté. Après une mise en demeure, les clients prennent acte de la résolution partielle du contrat.
Les clients reprochent à l’éditeur un manquement à ses obligations contractuelles, tant au titre de son obligation de délivrance qu’au titre de son obligation de conseil, pour avoir sous-estimé le temps nécessaire à l’adaptation de son progiciel aux besoins ; ils considèrent que ces manquements justifiaient la résolution unilatérale du contrat et la réparation intégrale de leur préjudice, la clause limitative de responsabilité tendant à soustraire l’éditeur à ses obligations essentielles étant nulle, ou, subsidiairement, inopposable pour faute lourde.
Pour l’éditeur, les retards trouvaient leur cause exclusive dans le comportement des clients et l’indisponibilité de ses équipes. Il s’oppose à l’indemnisation d’un quelconque préjudice, en se prévalant d’une interdiction contractuelle de recouvrer les préjudices commerciaux, de même que du caractère indicatif des délais et dates.
Le Tribunal de commerce de la Rochelle en 2011 déboute les clients et sera confirmé par la Cour d’appel de Poitiers le 10 janvier 2014: les clients avaient accepté un nouvel échéancier et étaient au moins partiellement responsables du nouveau retard pour ne pas avoir procédé aux validations indispensables à la poursuite du projet. Le manquement à l’obligation de conseil allégué n’était pas établi dès lors qu’en acceptant le nouveau planning pour l’année 2008, le groupe avait renoncé à se prévaloir de ce manquement d’origine.
La Cour de cassation, par arrêt du 5 avril 2016, a cassé et annulé cette décision: la faute des clients ne pouvait qu’entraîner une réduction de leur droit à indemnisation ; la cour d’appel n’a pas caractérisé une renonciation certaine et non équivoque des clients à se prévaloir du manquement.
La Cour d’appel d’Orléans sur renvoi va distinguer dans son analyse les retards initiaux de 2007 et ceux de 2008.
- Pour les retards de 2008 : les clients tenus de participer aux études et à prendre le temps nécessaire à la validation des analyses n’ont pas satisfait à cette obligation ; mis en demeure de valider les analyses fonctionnelles qui leur avaient été fournies, ils s’y sont refusés, préférant dénoncer le contrat. Or, selon Le contrat tout retard dans la réception d’informations justifie le report de plein droit des délais ; les clients sont seules responsables des retards et ont, sans motif valable, dénoncé le contrat. Aucune indemnisation n’est due.
- Pour les retards de 2007 : le planning initial n’a pas été respecté et l’éditeur en porte l’entière responsabilité. Cependant le contrat précise que les délais sont donnés à titre indicatif ; les retards éventuels ne donnent pas le droit au client de dénoncer le contrat en tout ou partie ni de réclamer des dommages et intérêts ; les préjudices financiers, commerciaux, indirects, pertes d’exploitation, perte de données et les pertes de chance n’ouvrent pas droit à réparation; ces dispositions sont opposables au client sauf à rapporter la preuve de la faute lourde ; en raison de la spécificité de la prestation, il existe nécessairement un aléa, de sorte que le non- respect de délais donnés à titre indicatif ne peut constituer une faute lourde, ni même un manquement à une obligation essentielle. Les sociétés du groupe en ont, du reste, implicitement convenu, en ne dénonçant pas le contrat dès la fin de l’année 2007, comme elles en avaient la possibilité, et en acceptant de poursuivre leurs relations avec le prestataire sauf à considérer que c’est sciemment qu’elles ont accepté de travailler avec un partenaire notoirement incompétent ; elles ne peuvent, dans ces conditions, prétendre à l’indemnisation d’un quelconque préjudice.
La somme réclamée par l’éditeur correspond à des prestations effectivement réalisées ; les sociétés ayant dénoncé irrégulièrement le contrat, il n’existe aucun motif de les dispenser de devoir la payer.
Le jugement entrepris sera, en définitive, confirmé.