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Les contours du préjudice du client, en cas d’échec de livraison d’un site internet non conforme aux attentes

04 avril 2024 | Derriennic Associés|

Dans une affaire opposant un client à un prestataire, le client avait confié au prestataire la réalisation d’un site de rencontre. En l’espèce, les parties s’étaient accordées, par contrat, sur un prix global de 31.500€.

Au moment de la livraison, le client avait fait le constat que le site comportait de nombreux bugs et qu’un module (le tchat) était manquant.

Une expertise judiciaire est ordonnée à la demande du client qui, sur la base d’un rapport d’expert chiffrant le reste à faire à environ 28 heures de travail (outre la réalisation du module tchat pour 2000€), puis, le client, assigne son prestataire au fond.

Le Client obtient un jugement globalement favorable (condamnant le prestataire à environ 30.000€ de réparations diverses (préjudice matériel et perte d’exploitation notamment) mais estime que le montant alloué ne répare pas correctement son préjudice et interjette appel.

La Cour d’appel de Lyon rappelle, à titre introductif, que l’engagement par le prestataire de sa responsabilité contractuelle ne fait pas débat (ni lui ni son assureur ne la contestant) et que seul le chiffrage du préjudice est ici en cause.

Une analyse poste par poste est donc opérée.

S’agissant tout d’abord du préjudice relatif aux désordres affectant le site livré, deux thèses s’opposent :

  • Celle du client consiste à dire que son préjudice est égal aux sommes réglées au prestataire en pure perte, le projet étant définitivement abandonné, sans possibilité de reprise en interne (faute de compétences) ou par un tiers (aucun prestataire ne souhaitant, selon lui, prendre le risque d’un projet ayant si mal démarré…) ;
  • Celle du prestataire consiste à dire que le préjudice est égal aux sommes qu’il convient de mobiliser pour finaliser le projet et faire corriger les quelques bugs, en se fondant sur le rapport d’expert, soit, un montant qui ne saurait excéder 7.900€. Celui-ci soulignait qu’une indemnité égale aux sommes réglées n’aurait été possible que si la résolution du contrat avait été prononcée à ses torts, ce qui, au regard du caractère mineur des bugs, n’était pas possible.

La Cour d’appel se rallie à la position du prestataire et considère que le préjudice lié aux bugs doit se réparer en considération du coût de correction, qu’elle chiffre à 7.900€.

Sur le préjudice d’exploitation, la Cour commence par préciser que, contrairement à ce que prétendait le client, il ne saurait (du moins dans ce contexte) exister un préjudice de perte de jouissance, distinct du préjudice d’exploitation.

Le raisonnement opéré est en effet implacable : la jouissance du site consiste à l’exploiter, et l’exploitation a pour but d’en tirer profit. Les notions de jouissance et d’exploitation concourent donc au même résultat et ne sauraient faire l’objet de deux indemnisations distinctes.

S’agissant du chiffrage du préjudice d’exploitation, le client sollicitait 250.000€ de préjudice au titre d’un raisonnement consistant à :

  • Chiffrer le nombre de recherches Google impliquant des mots clés liés à son activité ;
  • Supposer qu’il aurait pu capter 2% de ces recherches ;
  • Supposer qu’il aurait pu convertir en ventes 3% des recherches ainsi captées ;
  • Supposer que ces 3% de ventes l’auraient été sur la base d’un panier moyen
  • Dire que sur les 1M de recherches google mensuelles relatifs aux mots clés « tchat vision », il aurait capté 2% des recherches (donc environ 22K) et que sur ces 22K visite il en aurait converti 3% en vente avec un panier moyen de 25€.

Sans surprise, le prestataire lui opposait le caractère largement théorique de ce raisonnement et relevait surtout que ce chiffrage contredisait les estimations financières du client lui-même, réalisées par un expert-comptable en phase d’avant-vente, et qui démontrait que le retour sur investissement attendu pour l’année 1 était de 13.000€ (et sensiblement plus pour l’année 2).

La Cour rappelle d’abord qu’il n’est pas contestable que les désordres affectant le site internet ont bel et bien empêché le client d’utiliser le site et d’en tirer des revenus, de sorte qu’il en résulte une perte de chance de réaliser des gains, sur une période qu’il fixe à quatre années.

Pour chiffrer la perte de chance sur ces 4 années, la Cour d’appel de Lyon va procéder au calcul suivant :

  • Pour l’année 1 :
    • Prise en compte du montant retenu dans le document comptable pour l’année 1 ;
    • Application d’un taux de perte de chance de 30% sur ce montant ;
  • Pour l’année 2 :
    • Prise en compte du montant retenu dans le document comptable pour l’année 1 augmenté de 30% (= montant de l’année 2) ;
    • Application d’un taux de perte de chance de 30% sur ce montant ;
  • Pour l’année 3 :
    • Prise en compte du montant résultant de l’année 2 augmentée de 30% ;
    • Application d’un taux de perte de chance de 30% sur ce montant.
  • Etc.

Enfin, sur le préjudice de temps passé, le client sollicitait une indemnisation de 2.000€ au titre du temps qu’il avait consacré à l’expertise et à la procédure.

La Cour va lui donner tort, estimant que ce préjudice se confond avec les frais irrépétibles (nous soulignons qu’une solution inverse avait, un temps, été donnée par la jurisprudence, notamment au travers d’un arrêt de la Cour de cassation du 12 avril 2016 qui avait considéré que le temps consacré par un dirigeant à la gestion d’un contentieux était un poste de préjudice autonome).

Source : Cour d’appel, Lyon, 1re chambre civile B, 20 février 2024 – n° 21/06400