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Pratiques restrictives de concurrence : mea culpa et revirement de jurisprudence de la Cour de cassation

09 novembre 2023 | Derriennic associés|

Par un arrêt du 18 octobre 2023 (n° 21-15378) la chambre commerciale de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence et considéré que pour contester la compétence d’une juridiction à connaître d’une demande reconventionnelle fondée sur une pratique restrictive de concurrence, il faut soulever une exception d’incompétence et non une fin de non-recevoir : explications.

En matière de « pratiques restrictives de concurrence », le Code de commerce nous rappelle que toutes les juridictions de premier degré ne sont pas compétentes : en principe les litiges relatifs aux pratiques restrictives de concurrence sont attribués à certaines juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret.

Dans les faits d’espèce, la société Locam a assigné en paiement la société Aimargali devant le Tribunal de commerce de Saint-Etienne (en vertu d’une clause attributive de compétence rédigée dans le contrat).

En réponse à l’assignation, Aimargali a reconventionnellement invoqué une pratique restrictive de concurrence. Ainsi :

  • D’un côté, Aimargali soulevait l’incompétence du Tribunal de Commerce de Saint-Etienne au profit d’un autre Tribunal de Commerce compétent pour statuer en la matière.
  • De l’autre côté, Locam soulevait l’irrecevabilité de la demande reconventionnelle.

Tandis qu’en première instance, le Tribunal de Commerce de Saint-Etienne a donné raison à Aimargali, et renvoyé l’affaire devant le Tribunal de commerce de Lyon, la Cour d’appel de Lyon a infirmé le jugement en se basant sur la jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle les demandes fondées sur les pratiques restrictives de concurrence doivent être déclarées irrecevables lorsqu’elles sont présentées devant une juridiction non spécialisée.

Aimargali a donc formé un pourvoi en cassation.

Dans son arrêt, la Cour de cassation effectue un mea culpa et indique que sa :

  • « Construction jurisprudentielle complexe […] aboutit à des solutions confuses et génératrices, pour les parties, d’une insécurité juridique quant à la détermination de la juridiction ou de la cour d’appel pouvant connaître de leurs actions, de leurs prétentions ou de leur recours. Elle donne lieu, en outre, à des solutions procédurales rigoureuses pour les plaideurs qui, à la suite d’une erreur dans le choix de la juridiction saisie, peuvent se heurter à ce que certaines de leurs demandes ne puissent être examinées, en raison soit de l’intervention de la prescription soit de l’expiration du délai de recours. Au surplus, sa complexité de mise en œuvre ne répond pas aux objectifs de bonne administration de la justice ».

Ce constat conduit la Cour de cassation à effectuer un revirement de jurisprudence : désormais, la règle désignant uniquement certaines juridictions en matière de pratique restrictive est « une règle de compétence d’attribution exclusive et non une fin de non-recevoir ».

Cela signifie, dans les faits, que lorsqu’un défendeur à une action fondée sur le droit commun présente une demande reconventionnelle en invoquant une pratique restrictive de concurrence, la juridiction saisie, si elle n’est pas une juridiction désignée, doit, si son incompétence est soulevée, selon les circonstances et l’interdépendance des demandes :

  • soit se déclarer incompétente au profit de la juridiction désignée et surseoir à statuer dans l’attente que cette juridiction spécialisée ait statué sur la demande ;
  • soit renvoyer l’affaire pour le tout devant cette juridiction spécialisée.

Autrement dit, désormais, une partie doit soulever une exception d’incompétence et non une fin de non-recevoir pour contester la compétence d’une juridiction à connaître d’une demande reconventionnelle fondée sur une pratique restrictive de concurrence.