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Actes de concurrence déloyale dans le monde d’édition de logiciel : la garantie d’éviction attachée à la vente est limitée dans le temps !

22 décembre 2022 | Derriennic Associés|

La garantie légale d’éviction à laquelle sont tenus les cédants des titres d’une société doit nécessairement être limitée dans le temps pour ne pas contrevenir au principe à valeur constitutionnelle de la liberté d’entreprendre.

L’affaire oppose deux anciens associés de la société Linagora, célèbre éditeur de logiciels libres, ayant précédemment été à l’origine d’une solution open source développée dans le cadre d’une société rachetée par l’éditeur susmentionné, audit éditeur de solutions open source.

En l’espèce, la société Linagora reproche à ses 2 anciens associés d’avoir développé, à la suite de leur départ de l’entreprise, une solution concurrente du module OBM de Linagora et ce, en violation des termes du pacte d’actionnaires de Linagora auquel ils avaient adhéré, comprenant une clause de non-concurrence, et de la garantie légale d’éviction attachée à la cession de leurs actions Linagora au bénéfice de la société Linagora.

L’éditeur a ainsi assigné, de façon fort judicieuse, ses deux anciens associés devant le Tribunal de commerce de Paris en violation de la garantie légale d’éviction. Cette affaire a également fait l’objet de deux autres actions : l’une devant le Tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de logiciel et concurrence déloyale et l’autre devant les prud’hommes sur le volet social pour violation de leurs obligations de loyauté et de non-concurrence.

Après une procédure fleuve, un seul point restait à trancher par la Cour d’appel concernant la limitation dans le temps de la garantie légale d’éviction et la violation, ou non, par les anciens associés de leurs obligations nées de cette garantie légale.

Or, selon la Cour d’appel« Aux termes de l’article 1626 du code civil, le vendeur doit garantie à son acheteur contre toute éviction du fait des tiers mais également de son fait personnel. En cas de cession de parts sociales, le cédant est tenu, comme dans toute vente, à garantie contre l’éviction (…) et doit s’abstenir de tout acte de nature à constituer des reprises ou des tentatives de reprise du bien vendu ou d’atteinte aux activités telles qu’elle empêche l’acquéreur de poursuivre l’activité économique de la société ainsi que de réaliser l’objet social. »

Selon la Cour, l’exigence légale de non-concurrence née de la garantie d’éviction doit être proportionnée à la protection des intérêts légitimes de l’acquéreur et ne doit pas porter une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l’industrie, et à la liberté d’entreprendre, ayant valeur constitutionnelle.

L’interdiction de concurrence ne doit donc pas être illimitée, mais doit, en conséquence, être délimitée quant à l’activité interdite et au cadre spatio-temporel dans lequel cette activité est interdite ; l’appréciation de ces éléments étant effectuée in concreto, selon les faits d’espèce.

La Cour retient que la cession intervient dans le cadre du marché de l’édition de logiciels et de fourniture de prestations informatiques, à savoir un marché où l’innovation technologique est rapide et où les services et prestations offertes par des prestataires changent chaque année.

La Cour d’appel prend pour repère temporel l’année de la cession des parts sociales par rapport à l’année de création de la société concurrente Blue Mind (3 ans et 5 mois plus tard), l’année où l’un des associés est devenu salarié, puis actionnaire de la société concurrente (respectivement 4 ans et 5 mois après la cession et 5 ans après la cession), la mise en ligne de la première version du logiciel accusé d’être concurrent (5 ans après la cession), etc.

Or, selon la Cour, « Ces durées, qui se comptent toutes en pluralité d’années, apparaissent trop longues, au regard du marché et de l’activité concernés, pour considérer que la garantie légale d’éviction pouvait encore s’appliquer et entraver la liberté d’entreprendre de MM. Y. et Z., cessionnaires. En effet, interdire pendant plusieurs années à des cédants d’une société intervenant sur un marché aussi innovant et évolutif que celui des prestations informatiques de se rétablir apparaît disproportionné par rapport à la protection des intérêts du cessionnaire qui doit se conjuguer avec la protection de la liberté d’entreprendre. »

Le jugement rendu par le tribunal de commerce le 23 novembre 2018 est donc confirmé,  en ce qu’il a débouté la société Linagora, la société Linagora GSO, la société Linagora Investissements et M. X. de leurs demandes relatives à la garantie d’éviction.

Source : CA Paris, pôle 5 – ch. 9, arrêt du 24 novembre 2022