CONTACT

Quelle juridiction saisir afin de faire constater des faits dont la qualification juridique est incertaine ?

18 décembre 2015 | Derriennic Associés|

Cour d’appel de Douai, 2ème Ch. 1ère Section, 26 novembre 2015

Chaque jour de nombreuses sociétés font face aux agissements déloyaux de leurs concurrents ou d’anciens salariés ou partenaires devenus des concurrents.

En effet, la dématérialisation de la documentation de l’entreprise d’une manière générale, qu’elle soit purement commerciale ou qu’elle consiste en des travaux de nature intellectuelle protégeables, tend à rendre encore plus aisés de tels actes dès lors que l’appréhension de cette documentation a été facilitée.

Dans une telle situation, l’entreprise victime de son concurrent et qui souhaite réagir par une action en justice, doit faire face à la problématique de la preuve.

En effet, le seul constat d’un départ massif de sa clientèle ou le lancement soudain d’un produit ou service qui présente de fortes similitudes au sien alors qu’il nécessite en théorie de nombreux mois voire années de préparation ne suffit pas à prouver un comportement répréhensible.

C’est pourquoi il est nécessaire pour l’entreprise d’obtenir en justice une mesure d’instruction ou de saisie permettant d’obtenir des preuves nécessaires à la solution du litige et qui ne peuvent pas être obtenues autrement.

Il existe différentes sortes de mesure d’instruction ou de saisie, de la plus générale qui est fondée sur l’article 145 du Code de procédure civile, aux plus spécifiques telles que celles prévues par le Code de la propriété intellectuelle en matière de contrefaçon.

Or, lorsque les faits en cause ne peuvent pas être qualifiés avec certitude, la partie qui entend solliciter une mesure va devoir néanmoins effectuer un choix.

C’est le cas de l’affaire ici évoquée.

Dans un premier temps, une entreprise « sollicitait la désignation d’un huissier assisté d’un expert avec mission de relever tout acte de concurrence déloyale et /ou de contrefaçon commis par la société concurrente et / ou ses gérants ; la mission réclamée était sériée à la description de ces actes de concurrence déloyale et /ou du vol ou détournements de logiciels et /ou de bases de données », mesure spécifique prévue par le Code de la propriété intellectuelle.

Sa demande ayant été rejetée par le président du Tribunal de grande instance au motif que le litige concernait deux sociétés commerciales, elle s’est donc tournée vers le président du Tribunal de commerce compétent et a sollicité une mesure similaire, en supprimant la mention des faits de contrefaçon mais en omettant toutefois de supprimer le visa du texte spécifique du Code de la propriété intellectuelle…
Le Tribunal de commerce faisait droit à la demande, et au vu des constats réalisés, la société à l’initiative de la procédure décidait finalement de saisir le Tribunal de grande instance afin d’obtenir la condamnation de son concurrent pour des actes de contrefaçon.

Celui-ci tentait alors de se prévaloir de l’irrégularité de la mesure ordonnée par la juridiction commerciale au motif qu’elle avait permis une mesure visant à constater des faits de contrefaçon, et cela en raison du visa des textes du Code de la propriété intellectuelle dans la requête.

Elle considérait que la qualification des faits par la société requérante visait des faits de contrefaçon et que cette qualification devait lier le juge. Que dès lors, le Tribunal de commerce qui avait écarté le visa de la contrefaçon avait dénaturé les faits et n’était pas compétent pour ordonner cette mesure.

La Cour d’appel de Douai, saisie de cette problématique, a apporté une réponse empreinte de pragmatisme et validé la mesure ordonnée en rappelant que :

« Incertaine de la qualification que pourraient revêtir les faits une fois mieux définis par la mesure d’instruction, la société requérant a visé les articles relatifs à la contrefaçon »

« En vertu de l’article 12 du code de procédure civile, le juge doit donner aux faits qui lui sont soumis la qualification juridique qu’ils comportent et c’est ce qu’a fait le juge civil, puis le juge commercial. »

« Si erreur de visa il y a sur la requête, elle n’en entache pas pour autant la valeur de l’ordonnance rendue par le président du Tribunal de Commerce »

Ainsi donc, le requérant saisi d’un doute sur la qualification des faits pourra légitimement s’en remettre au juge qui opérera la qualification appropriée, au seul moment où il ordonne la mesure. Cette précision permettra ensuite de leur donner une autre qualification, sans risque de remise en cause par rapport à la qualification initiale provisoire, si les éléments nouveaux tirés de cette mesure doivent conduire à requalifier les faits autrement.