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Une mesure de saisie de données / fichiers informatiques ne peut s’apparenter à une perquisition civile et doit donc être annulée

18 décembre 2015 | Derriennic Associés|

Cour d’Appel de VERSAILLES – 14ème chambre – 19 novembre 2015 – Affaire IBM FRANCE/CSC Computer Sciences

La société CSC Computer Sciences (CSC) alléguait d’un débauchage de salariés et d’un détournement de savoir-faire par la société IBM FRANCE (IBM).

CSC a donc sollicité et obtenu du Tribunal de Commerce de NANTERRE une ordonnance sur requête désignant un Huissier afin que celui-ci recherche les éléments de preuve au soutien de ses allégations et effectue des saisies de fichiers informatiques, données, etc..

IBM a sollicité la rétractation de cette ordonnance ; demande qui a été rejetée en 1ère instance. Un Expert Judiciaire a cependant été nommé pour surveiller la réalisation des opérations de constat suite à la saisie opérée par l’Huissier.

IBM a alors interjeté appel de cette décision devant la Cour d’Appel de VERSAILLES, laquelle a :

  • rappelé que selon l’article 145 du CPC une opération de saisie-constat ne peut être ordonnée que s’il « existe d’un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige», c’est-à-dire que les faits présentés soient suffisamment plausibles, ou à condition qu’ils soient susceptibles d’avoir une influence sur la solution du litige (notions de pertinence ou d’utilité),
  • retenu sur la question du motif légitime que « l’appréciation des mérites de la requête s’opère (…) en fonction des seuls éléments énoncés dans l’acte et des pièces justificatives produites au soutien de la requête, sans que la société CSC puisse justifier à postériori de son bien-fondé, soit par de nouvelles pièces, soit par des éléments obtenus dans le cadre de l’exécution des mesures d’investigation (…) »,
  • considéré qu’en l’espèce, les éléments énoncés ou fournis dans la requête initiale étaient insuffisants à démontrer la concurrence déloyale alléguée de sorte que la mesure d’instruction était injustifiée,
  • livré son appréciation de la notion de « mesure légalement admissibles» en s’intéressant aux intérêts légitimes du défendeur et en retenant que « les mesures d’investigation ordonnées s’apparentent à une véritable perquisition civile de la société » au regard :
  • de l’étendue des moyens matériels et humains que le défendeur devait mettre à disposition du demandeur (mobilisation des équipes de la partie saisie, description de l’ensemble de l’architecture informatique de l’entreprise, mise à disposition de l’ensemble de ses équipements « sur une durée illimitée qui peut être de plusieurs jours ou plusieurs mois», y compris avec le concours de la force publique ou de plusieurs experts informatiques),
  • le contenu de la requête et le caractère excessivement vaste de certains termes ou mots-clés utilisés susceptibles de porter atteinte au secret des affaires. A titre d’exemple, la recherche autorisée via le mot clé « Nice » qui peut paraître précis et restrictif si on se réfère à la ville, s’est avéré, en pratique et dans le contexte d’une société employant largement l’anglais, entraîner la saisie de tous les documents, fichiers, projets, courriels, etc. où figurent le terme « nice » (sympathique) et donc, un volume de document excédant très largement le périmètre des actes de détournement fondant la mesure sollicitée,
  • de l’emploi de mots-clés qui ne sont pas toujours associés tout comme les noms proposés conduisant « à un audit de l’activité commerciale de la société»

Au regard de ces éléments,  la Cour considère que :

  • l’exercice de la mesure ordonnée était susceptible de porter atteinte au secret des affaires de la société IBM,
  • il «ne peut être admis que soient ordonnées sur requête, en dérogeant au principe de la contradiction, des mesures intrusives qui ont vocation à se dérouler sur plusieurs semaines et qui obligent dans le même temps à recourir à une mesure d’expertise judiciaire (…) ».

La Cour ordonne donc la rétractation de l’ordonnance avec toutes ses conséquences en découlant (nullité des opérations de constat, restitution de tous les éléments saisis).