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Un employeur peut-il produire en justice des courriels reçus postérieurement au départ d’un salarié ?

16 avril 2024 | Derriennic Associés|

La Cour d’appel de Douai a eu à apprécier, dans un arrêt du 28 mars 2024, la recevabilité et la licéité de courriers électroniques reçus par des salariés, postérieurement à leur départ de l’entreprise, et produits par leur ancien employeur à titre de preuve.

Des courriels reçus sur la messagerie électronique des salariés, après leur départ

Trois salariés d’une société, spécialisée dans la formation de négociateurs, ont démissionné de façon concomitante et ont fait immatriculer plusieurs sociétés ayant des objets sociaux proches de celui de leur précédent employeur.

Ce dernier, estimant que ses anciens salariés se livraient à des actes de concurrence déloyale, de parasitisme et de dénigrement, a été autorisé, par ordonnance sur requête du président du Tribunal de commerce, à réaliser des investigations et saisies aux sièges des sociétés nouvellement créées.

Afin d’obtenir cette ordonnance, l’ex-employeur a produit en justice des courriels reçus par ses anciens salariés, postérieurement à leur départ.

Prétextant l’absence de tout motif légitime fondant ces mesures, les sociétés ayant fait l’objet des saisies ont sollicité la rétractation de l’ordonnance « 145 », qu’ils ont obtenue. L’ancien employeur a interjeté appel de la décision de rétractation.

Des courriels « interceptés » en violation des recommandations CNIL

Devant la Cour d’appel, les intimées ont demandé que les courriels interceptés sur les anciennes adresses professionnelles et messageries des trois salariés soient écartés des débats.

En effet, pour les intimées, la production de ces pièces en justice :

  • Est dépourvue de base légale, d’une part, et
  • Ne respecte pas les recommandations de la CNIL, selon lesquelles l’employeur se doit de « supprimer l’adresse nominative de l’employé une fois qu’il a quitté l’entreprise et d’avertir l’employé de la date de fermeture pour lui permettre de transférer ses messages privés vers sa messagerie personnelle », d’autre part. En effet, certains courriels produits par l’appelante avaient été adressés par d’anciens clients de la société, postérieurement aux départs des salariés. Cela indique donc que les adresses électroniques étaient toujours actives après le départ des salariés.

Des courriels non seulement recevables, mais également « licites »

La Cour d’appel rappelle que :

  • Les messages adressés ou reçus sur une messagerie électronique sont des données à caractère personnel ;
  • « Les courriels adressés et reçus par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, en sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l’intéressé et les consulter, sauf si le salarié les identifie comme personnels ».

Il en résulte que, pour la Cour, « bien que plus de six mois après leur départ de l’entreprise, les [appelantes] n’aient pas procédé à la fermeture de ces boîtes, comme le recommande la CNIL notamment dans son avis produit aux débats, il ne peut lui être reproché la consultation de courriels qui n’avaient pas été estampillés ‘personnels’ et qui émanaient de clients du groupe dont il n’était pas démontré qu’ils avaient eu connaissance du départ des salariés de l’entreprise. »

La Cour d’appel en déduit que les appelantes avaient bien un intérêt légitime à connaitre des courriels en cause.

Ainsi, pour la Cour d’appel, les courriels produits par l’employeur étaient non seulement recevables, mais également licites, nonobstant les requêtes formulées par les salariés tendant à la fermeture de leurs messageries respectives : « Le fait que [les anciens salariés] aient sollicité (…) la fermeture de leurs boites de messagerie professionnelles ne retire pas à ces éléments de preuve un caractère licite et ne justifie pas d’exclure ces deux pièces des débats ».

Source : Cour d’appel, Douai, 2e chambre, 2e section, 28 Mars 2024 – n° 23/04189