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Caractéristisation et portée d’une non-conformité

15 octobre 2021 | Derriennic Associés|

Cour de cassation, 3ème chambre civile, 10 juin 2021, n° 20-15.277 / 20-15.349 / 20-17.033

La Cour de cassation rappelle qu’en l’absence de désordre, le non-respect des normes qui ne sont rendues obligatoires ni par la loi ni par le contrat ne peut donner lieu à une mise en conformité à la charge du constructeur et, plus largement, du cocontractant.

En l’espèce, une société a entrepris la construction d’une plate-forme logistique composée d’entrepôts et de bureaux. Après la réception de l’ouvrage, à la suite d’un orage, une partie de la toiture d’un des entrepôts s’est affaissée.

L’expert judiciaire désigné a conclu que la réalité des désordres consistait en un affaissement localisé de la charpente métallique résultant de l’accumulation d’eau à cet endroit particulier et a, au surplus, relevé un défaut de conformité de cette charpente métallique avec le DTU 43.3 caractérisé par une insuffisance de pente des toitures et des pannes métalliques trop longues rendant l’ensemble impropre à destination.

Le nouveau propriétaire de l’entrepôt, ayant-droit du maître de l’ouvrage, a fait réaliser des travaux de réparation du désordre ainsi que des travaux de mise en conformité des toitures, puis a sollicité l’indemnisation des coûts afférents auprès des différents intervenants à l’opération initiale de construction et leurs assureurs respectifs.

Si les premiers juges ont rejeté ses demandes en indemnisation des travaux de mise en conformité de la toiture, la cour d’appel de Paris a infirmé leur décision et condamné les sociétés chargées du lot portant sur les toitures au paiement d’une somme de près de 900 000 €.

Le pourvoi des sociétés condamnées a conduit la Haute juridiction à s’interroger sur une question aux incidences pratiques récurrentes : quelles sont les conséquences du non-respect, par une entreprise, d’une norme relevant de son corps de métier ?

Par un attendu de principe clair, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel et énonce, au visa des articles 1134 anc., 1147 anc. et 1382 anc. du Code civil, qu’ « en l’absence de désordre, le non-respect des normes qui ne sont rendues obligatoires ni par la loi ni par le contrat ne peut donner lieu à une mise en conformité à la charge du constructeur ».

Déjà affirmée par le passé, la solution ne surprend pas : en l’absence de désordre, la seule non-conformité aux DTU n’est pas de nature à engager la responsabilité contractuelle de l’entreprise, les normes techniques ne devant être respectées par elle que lorsqu’elles ont été intégrées à son marché.

Bien que limpide, cette solution ne manque pas de susciter quelques interrogations :

  • comment l’articuler avec l’obligation faite au constructeur de respecter en toutes circonstances les « règles de l’art » ? Les DTU étant le recueil des prescriptions techniques minimales sur lesquelles s’accordent les professionnels d’un secteur, comment les distinguer des règles de l’art ? Doit-on conclure que la Cour de cassation entend opérer une distinction entre les règles de l’art et les DTU, voire une hiérarchisation en plaçant les DTU au-dessus des règles de l’art ?
  • quid en présence d’un désordre ? quelles conséquences doit-on tirer du respect ou du non-respect des DTU en présence d’un désordre de construction ?

Précisément, le non-respect des DTU entraîne-t-il la responsabilité du constructeur ? Indifférent lorsque la responsabilité de l’entreprise est engagée sur le fondement des garanties légales n’exigeant pas la faute du constructeur, le non-respect des DTU caractérise-t-il une faute obligeant l’entreprise à réparer ?

A l’inverse, l’entreprise peut-elle s’exonérer de sa responsabilité lorsqu’elle a respecté les DTU ? S’il est établi que le respect des DTU n’est pas de nature à exonérer le constructeur de sa responsabilité sur le fondement des garanties légales (Cass. civ. 3ème, 30 novembre 1983, Bull. civ. III, n° 253), qu’en est-il en cas de responsabilité pour faute ?

Une chose est certaine, cette solution n’a pas vocation à se limiter au champ spécifique du droit de la construction…