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Contrat informatique : les délais sont-ils soumis à une obligation de résultat du prestataire ?

27 juillet 2022 | Derriennic associés|

Le seul décalage du calendrier, lorsque le délai est indicatif et ne relève pas contractuellement expressément d’une obligation de résultat, ne peut être constitutif d’une inexécution contractuelle ; il appartient au client de rapporter la preuve d’un manquement suffisamment grave à ses obligations par le prestataire, permettant de justifier la résiliation dans les conditions prévues par le contrat.

Une société décide d’externaliser les activités d’infrastructure informatique et contractualise en 2016 avec un opérateur cloud pour une durée de 5 ans et un montant de plusieurs millions d’euros. Considérant que ce dernier n’avait pas été en mesure de respecter le calendrier contractuel relatif à la phase de transfert, le client met en en demeure son cocontractant de respecter les délais et de finaliser les prestations, puis résilie unilatéralement le contrat de prestations de services.

Pour le client l’obligation de résultat s’appliquait au calendrier et en ne respectant pas son obligation, le prestataire a engagé sa responsabilité. Il considère qu’il était en droit de résilier et sollicite plus de 15M€ de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier et d’image subi. Le prestataire réclame pour sa part le paiement de ses factures et près de 5M€ à titre de dommages et intérêts en réparation de coûts engagés et manque à gagner sur l’exécution du contrat jusqu’à son terme et son renouvellement.

Le tribunal de commerce de Paris, le 12 novembre 2020, va juger que la résiliation était fautive, déboutant le client de l’ensemble de ses demandes indemnitaires et le condamnant à verser au prestataire des factures impayées (environ 200K€) ainsi qu’une indemnité de résiliation de 300K€ justifiée par la requalification en résiliation de convenance, pour laquelle le contrat prévoyait une indemnité. Le client a interjeté appel.

Après avoir rappelé les articles 1134 et 1184 (anciens) du code civil, la cour d’appel va analyser en détail les termes du contrat ainsi que le contenu de la mise en demeure et de la lettre de résiliation, mais également des éléments du projet tels que les échanges des parties et compte-rendu des comités de pilotage.

Les juges vont notamment relever que :

  • le contrat prévoyait une clause résolutoire en cas de manquement et une obligation de résultat portant sur « la direction, la maîtrise, l’exécution et la coordination » et énumérait les obligations sur lesquelles portaient cette obligation sans viser les délais de réalisation ;
  • dans la formule « le fournisseur apportera tout le soin et la diligence appropriés à l’exécution du contrat et à la réalisation des prestations », la diligence fait référence aux délais, la volonté commune des parties étant donc d’assortir le calendrier d’une obligation de moyen, par dérogation spéciale à l’obligation de résultat prévue en termes généraux ;
  • lors des négociations, la mention « l’obligation de résultat en termes de respect des délais et des niveaux de service contractuels », avait été supprimée ;
  • la clause qui prévoyait que « le fournisseur s’engage à fournir au client les prestations conformément au calendrier défini (…) » est rédigée de manière générale, l’article précité étant plus précis et donc plus spécial sur la nature de l’obligation en cause ;
  • l’annexe calendrier ne mentionnait pas qu’il était impératif ou attaché à une obligation de résultat, une disposition indiquant que de l’analyse qui sera faite au démarrage de la phase de transfert, certains éléments peuvent apparaître et obligeront à revoir des choix qui ne sont donc pas définitifs.

Pour la Cour, ces éléments démontrent suffisamment que le délai était indicatif et ne pouvait faire peser une obligation de résultat à la charge du fournisseur. Dès lors, la Cour va considérer que le seul décalage du calendrier ne peut être constitutif d’une inexécution contractuelle et il appartient au client de rapporter la preuve d’un manquement suffisamment grave à ses obligations par le prestataire, permettant de justifier la résiliation dans les conditions prévues par le contrat.

La cour va ensuite indiquer que seuls les manquements visés à la mise en demeure peuvent justifier la résiliation sur le fondement de la clause résolutoire or ils se limitaient au non-respect du calendrier conjointement arrêté et l’impossible mise en production. En l’espèce, il n’est pas contesté par le prestataire que des retards dans l’exécution de la phase de transfert ont été subis, mais il apparait que les deux parties s’étaient accordées pour décaler le calendrier et s’organiser pour travailler de concert.

En conséquence, la mise en demeure apparaît en contradiction avec l’évolution des chantiers et des relations entre les parties et il n’est pas rapporté à cette date un manquement grave imputable au prestataire sur les seuls manquements visés. Partant, la résiliation est intervenue à tort.

Le jugement est par conséquent confirmé, y compris dans la réparation accordée au prestataire.

Ses demandes indemnitaires complémentaires seront en effet rejetées :

  • les prestations complémentaires devaient faire l’objet d’un devis/avenant. Dès lors que la réalité de l’accord du client n’est pas rapportée, la facture n’est pas due.
  • les coûts devaient entrer dans l’économie générale du contrat et partant être couvert soit par des factures, soit par l’indemnité de résiliation pour convenance, déjà retenue.