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Covid-19, obligation vaccinale et suspension du contrat : lorsque certains conseils prud’homaux ont eu leur dose !

16 mars 2022 | Derriennic Associés|

Très attendues, les décisions des premiers juges sur la validité de la « sanction », instaurée par le Gouvernement, de suspension du contrat de travail en cas de défaut de vaccination du personnel de santé, se prononcent en faveur des salariés. Elles se révèlent toutefois, mais sans surprise, davantage polémiques que juridiques.

Ordonnance de référé du Conseil de prud’hommes d’Alençon du1er mars 2022 (RG n°21/00010) et Ordonnance de référé du Conseil de prud’hommes de Colmar du 16 février 2022 (RG nº 18/05471)

Dans l’espèce soumise à Alençon, il s’agissait d’une infirmière qui, bien que confrontée à l’obligation vaccinale, n’y avait pas déféré et s’était vue remettre une lettre de suspension de son contrat de travail. Son salaire étant de ce fait également suspendu, elle saisit le juge en référé lequel va, en premier lieu, indiquer qu’il est compétent en matière de trouble manifestement illicite dès lors que « les libertés fondamentales du salarié sont bafouées par l’employeur ». Sur le fond, la salariée évoquait ainsi la violation de ses libertés fondamentales au regard des conventions internationales. Ne se bornant pas à des moyens de pur droit, l’intéressée indiquait par ailleurs avoir subi une chimiothérapie pendant 4 ans, de sorte que son organisme pouvait potentiellement être exposé à de graves conséquences du fait du vaccin, ce d’autant qu’elle avait une enfant à charge. Elle rappelle enfin qu’elle ne peut être obligée de subir une injection en phase d’essai clinique pour laquelle l’Agence Européenne du médicament n’a délivré qu’une Autorisation de mise sur le marché conditionnelle. Ces derniers arguments sont repris par les conseillers, lesquels estiment que le refus de l’intéressée repose autant sur le droit de l’Union européenne que sur la Convention d’Oviedo (art. 26), « lesquels imposent un consentement libre et éclairé pour l’administration de tout médicament à usage humain en phase d’essai clinique ». Le Conseil évoque ensuite la situation personnelle de la salariée, rappelant que « face à l’épreuve de santé qu’elle a dû traverser, constatant qu’elle constitue le seul soutien familial pour sa fille, le Conseil comprend la volonté de la salariée de ne prendre aucun risque en refusant l’obligation vaccinale ». Par suite, les juges ordonnent la réintégration de la salariée ainsi que le rétablissement de son salaire, outre une provision à titre de rappel pour ceux n’ayant pas été versés.

La seconde espèce jugée à Colmar révèle une motivation beaucoup plus discutable. La sanction concernait ici la comptable d’un EHPAD. A la suite de la suspension de son contrat, la salariée indiquait ne pas vouloir se faire injecter un vaccin encore en phase expérimentale, proposait de prendre à sa charge des tests PCR réguliers et rappelait que son poste de comptable pouvait s’exercer sans contact avec les résidents. L’employeur, pour sa part, exposait le strict respect de la loi du 5 août 2021, que le Conseil constitutionnel a validé.

S’agissant de cette dernière, les juges indiquent « qu’il n’appartient pas au Conseil d’apprécier si le Conseil Constitutionnel a ou non été dupé par le gouvernement qui a finalement avoué ultérieurement ses buts réellement recherchés, à savoir contraindre la population à se vacciner et non simplement lutter contre la propagation de l’épidémie de Covid-19 ».

Ils ajoutent que l’employeur aurait méconnu l’article L.1121-1 du code du travail (« nul ne peut apporter aux droits des personnes… ») mais aussi l’article 9 du RGPD (interdisant la collecte de données sur l’état de santé) et le secret médical protégé par le code de la santé publique. Par suite et mettant en concurrence l’article L.1121-1 et l’obligation vaccinale, le Conseil se livre à un examen de la proportionnalité de la restriction apportée à la salariée. L’exercice pouvait s’avérer intéressant s’il n’avait pas été empreint de démagogie.

Dans le raout de la salle de délibéré, le Conseil a ainsi pris le soin d’indiquer que bien que le vaccin soit efficace, « il s’avère moins utile (mais non inutile, juste une efficacité moindre) contre la propagation de l’épidémie ainsi que l’actualité nous l’a malheureusement démontré ces deux derniers mois, or l’obligation vaccinale prévue (…) n’avait pour seule finalité selon le gouvernement que de lutter contre cette propagation, nonobstant les récents propos avouant que le but n’était que d’importuner les non-vaccinés ». Par suite, le Conseil juge que la mesure de suspension n’était, au cas d’espèce, pas proportionnelle au but recherché. Ils relèvent que l’employeur pouvait, vis-à-vis de la salariée qui occupait un poste administratif, aménager son bureau pour qu’elle ne croise aucun résident ou encore la faire télétravailler.

Le Conseil relève enfin « l’imperfection de la loi du 5 août 2021 qui requiert la suspension de son contrat de travail tout en lui permettant d’exercer son mandat de représentante du personnel, bien qu’elle n’ait pas décidé d’user de cette faculté ».

Pour finir, les conseillers de Colmar rappellent une ordonnance du 22 octobre 2021 rendue par le Tribunal administratif de Lyon qui faisait droit aux demandes de salariés suspendus au sein d’un CHU alors qu’ils étaient affectés en cuisine, d’où une similitude avec l’espèce ici jugée.

Au terme de cette motivation, les premiers juges caractérisent un trouble manifestement illicite.

La motivation de cette décision particulièrement critique envers le Gouvernement ainsi qu’envers d’autres organes étatiques, ne repose pas moins, en filigrane, sur des principes juridiques sérieux.  Deux décisions prud’homales ont donc aujourd’hui remis en cause la sanction de l’obligation vaccinale au regard de textes de portée supérieure. Eminemment discutables, il convient de respecter à notre sens une certaine…distanciation envers ces décisions, le temps que soit rendu un arrêt de cour d’appel. Espérons que d’ici là, les décisions ne seront pas contagieuses.