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Dénonciation de faits de harcèlement moral : faut-il aller en…quête(r) ?

02 février 2023 | Derriennic associés|

L’employeur a-t-il obligation d’enquêter dès lors que des faits susceptibles de harcèlement moral sont portés à sa connaissance ? C’est à cette question que répondent deux arrêts récents de la Cour de cassation qui viennent confirmer un mouvement déjà initié.

Dans la première espèce, un salarié faisait valoir qu’après avoir dénoncé auprès de son employeur des faits de harcèlement moral, ce dernier n’avait aucunement réagi, de sorte qu’il avait ainsi méconnu son obligation de prévention. Le salarié sollicitait des dommages-intérêts en raison du harcèlement moral subi mais également des dommages-intérêts distincts, en raison de l’inertie de son employeur à la suite de son alerte. La Cour d’appel l’avait débouté de l’ensemble de ses demandes, au motif qu’aucun fait précis et concordant ne laissait en l’espèce supposer l’existence d’un harcèlement moral. Dans la seconde espèce, une vendeuse s’estimait également victime de faits de harcèlement moral de la part de sa supérieure hiérarchique. Placée en arrêt maladie, elle avait demandé la résiliation judiciaire de son contrat sur le fondement dudit harcèlement ainsi que du manquement de son employeur à l’obligation de sécurité. L’intéressée est déboutée par la Cour d’appel, qui prend soin de relever que la salariée avait été entendue sur les faits dénoncés, ce qui avait conduit à une enquête interne.

Les deux affaires sont portées devant la Cour de cassation avec, comme question commune, celle de savoir si, en présence de faits dont il est alerté qu’ils pourraient caractériser un harcèlement moral, l’employeur est tenu de diligenter une enquête ou s’il peut s’abstenir au regard du caractère, selon lui, insuffisant des faits dénoncés.

La Cour de cassation répond en rappelant d’abord la distinction existant entre l’obligation de prévention du harcèlement moral des faits de harcèlement moral proprement dits. Se prononçant au visa de la seule obligation de prévention, la Cour de cassation vient censurer, dans la première affaire, la Cour d’appel qui avait rejeté la demande du salarié alors que celui-ci faisait valoir que son employeur s’était abstenu de toute réaction à la suite des faits qu’il avait dénoncés. En revanche, la Cour de cassation salue, dans la seconde espèce, la Cour d’appel ayant relevé que l’employeur avait immédiatement réagi et organisé une enquête interne.

Quel apport tirer de ces arrêts ? Confirmant un mouvement déjà initié (Cass. Soc., 27 nov. 2019, n°18-10551), la Cour de cassation vient ici rappeler que l’absence de tout fait de harcèlement moral n’empêche pas pour autant le salarié de se revendiquer d’un manquement de l’employeur à son obligation de prévention. Dès lors, il ne peut qu’être déconseillé aux entreprises de s’abstenir de toute enquête, quand bien même la Direction supposerait, à tort ou à raison, que les faits dénoncés ne s’assimilent aucunement à un harcèlement moral. Une telle abstention suffirait, en effet, à démontrer le manquement à l’obligation de prévention. Bien évidemment, cette démarche préventive ne doit pas dégénérer en abus et on imagine mal déclencher systématiquement une enquête interne au moindre grief adressé tous azimuts par un salarié à son employeur. Pour la Cour de cassation, prévenir, c’est avant tout prendre au sérieux l’alerte du salarié. Celle-ci suppose toutefois de reposer sur des faits matériels tangibles d’une part, qualifiés de suffisamment graves, d’autre part. Si l’employeur peut parfaitement, à ce stade, discuter la matérialité des faits considérés pour écarter toute alerte qui procèderait d’erreurs ou de malentendus, il ne saurait pour autant en préjuger la pertinence dès lors que les faits sur lesquels elle est avancée sont établis et qualifiés, par l’intéressé, de possible harcèlement. L’employeur se mettrait ainsi en risque, dans cette hypothèse, à s’abstenir de toute enquête. Quant au formalisme de celle-ci, la jurisprudence récente fait preuve de souplesse, confirmant qu’une telle enquête n’a pas lieu nécessairement d’être confiée à la CSSCT mais peut être conduite par un membre de la direction des ressources humaines (Cass. Soc., 1er juin 2022, n°20-22058). Point n’est besoin, après tout, d’être l’élu pour aller en quête…de la pertinence des faits dénoncés.

Source : Cass. Soc., 23 nov. 2022, n°21-18.951 & Cass. Soc., 7 déc. 2022, n°21-18.114