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Faute inexcusable : le pénal tient le civil en l’état  

07 février 2023 | Derriennic associés|

L’arrêt rendu le 1er décembre 2022 illustre la manière dont les juges apprécient la faute inexcusable de l’employeur dans la survenance d’un accident du travail, dès lors que le juge pénal a préalablement prononcé une relaxe de celui-ci. Le criminel tient-il toujours le civil en l’état ?

En l’espèce, dans une société spécialisée dans la production industrielle de produits azotés, un salarié est victime d’un accident du travail, en raison d’un jet d’ammoniac ayant surgi brutalement d’une pompe sur laquelle il intervenait à des fins d’isolement. Gravement brulé, le salarié recherche la faute inexcusable de son employeur. Entre-temps et aux termes de poursuites pénales, l’employeur est relaxé du chef de blessures involontaires, par un jugement définitif rendu par le Tribunal de police. La question se posait alors de savoir si l’absence de faute pénale faisait ici ou non obstacle à la reconnaissance de la faute inexcusable. Pour retenir la faute inexcusable et ordonner par suite une expertise, la Cour d’appel de Pau rappelle d’une part que l’absence de faute pénale non intentionnelle ne fait pas obstacle à la reconnaissance d’une faute inexcusable. D’autre part, elle souligne le caractère inadéquat du dispositif de sécurité qui ne reposait, aux termes du rapport d’enquête, que sur une seule vanne papillon et qu’il importe peu qu’il ne soit pas déterminé si son ouverture était due à une défaillance technique ou une erreur humaine. L’employeur se pourvoit en cassation.

La Haute Cour vient censurer la décision des juges du fond, au visa du principe de l’autorité de la chose jugée au pénal. Dans un attendu particulièrement clair, elle énonce que ce principe d’autorité, visé à l’article 4-1 du code de procédure pénale, reste attaché à « ce qui a été définitivement décidé par le juge pénal sur l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et l’action pénale, sur sa qualification, ainsi que sur la culpabilité ou l’innocence de celui à qui le fait est imputé ». En l’espèce, la Cour ne pouvait donc que rejeter la faute inexcusable, dès lors que le juge répressif avait, pour prononcer la relaxe, « relevé que les causes de l’ouverture de la vanne étaient indéterminées, a écarté un manquement aux règles de sécurité lié à l’absence de double vanne ou d’un système de verrouillage de la vanne nécessitant un outil spécifique ». 

Ainsi, tout constat du juge pénal ayant conduit à une décision de relaxe empêche le juge civil de retenir une faute inexcusable. L’apport de cet arrêt est multiple. Il impose déjà de ne plus seulement regarder quels ont été les faits matériels relevés par le juge pénal mais également la qualification retenue par ce dernier et ce, que sa décision soit celle d’une relaxe ou d’une condamnation. Cette position de principe jette également le doute quant à la portée des présomptions de faute inexcusable prévues dans deux cas : celui du signalement antérieur de l’employeur (C. Trav., art. L. 4131-4) et celui des travailleurs précaires n’ayant pas bénéficié de leur formation à la sécurité renforcée sur les postes à risques (C. Trav., art. L. 4154-3). Le pénal semble donc, par son autorité, fermer ainsi les vannes de toute action civile.

Source : Cass. Civ. 2ème, 1er déc. 2022, n°21-10.773