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IA génératives & droit d’auteur : la protection des auteurs passera-t-elle par une gestion collective des œuvres et la taxation des exploitants de l’IA ?

03 octobre 2023 | Derriennic associés|

Les députés français s’emparent du sujet brulant des IA génératives et de leur encadrement par le droit d’auteur, dans l’objectif d’endiguer les risques de paupérisation des artistes et de dévalorisation de leurs œuvres. Que penser de cette proposition de loi, qui instaurerait un nouveau système de gestion collective des droits et une taxe des sociétés exploitant les systèmes d’IA ?

Le 12 septembre 2023, plusieurs députés du groupe Renaissance ont déposé une proposition de loi à l’Assemblée nationale pour encadrer l’IA par le droit d’auteur. Leur proposition tente de répondre aux problématiques liées à l’utilisation par des systèmes d’IA d’œuvres protégées par le droit d’auteur.

Un pavé dans la mare dans un contexte de grogne des artistes et de la presse à l’encontre des sociétés exploitant les IA, en particulier Open AI. De façon unanime, ils dénoncent, depuis plusieurs mois, l’utilisation de leurs œuvres à des fins d’entrainement, sans leur consentement préalable et sans aucune contrepartie financière. Une situation que les députés qualifient de véritable « menace pour la création ».

Pour réguler urgemment l’IA, une adaptation du code de la propriété intellectuelle est donc proposée.

L’objectif : mieux faire respecter le droit d’auteur dans le monde de l’IA en :

  • mettant l’accent sur l’importance du consentement préalable des auteurs pour l’utilisation de leurs œuvres à des fins d’entrainement des IA ;
  • imposant une transparence quant au recours à l’IA : il sera impératif d’apposer la mention « œuvre générée par IA », mais également le nom des auteurs des œuvres qui ont permis d’aboutir à la génération des « œuvres artificielles » ;
  • garantissant une rémunération juste et équitable des titulaires de droits des œuvres alimentant les modèles d’IA, au travers:
  • de la création d’un système de gestion collective des droits : un organisme (de type Sacem) serait en charge de la perception et la répartition, entre les auteurs des œuvres initiales, des rémunérations relatives à l’exploitation des copies des résultats générés par l’IA ;
  • d’une taxation des sociétés qui exploitent le système d’IA, « destinée à la valorisation de la création », lorsque l’origine des œuvres ayant servi à la création des résultats ne pourrait être déterminée précisément.

Cette proposition a le mérite d’initier certaines réflexions… sans pour autant apporter de réelles solutions. La proposition ne comporte, en effet, aucune proposition concrète concernant la détermination de la contrepartie financière à l’exploitation des « œuvres artificielles », le mécanisme de répartition entre les différents auteurs, ou quant à la nature de la taxe à percevoir…

Cette proposition de loi est par ailleurs étonnante à plusieurs égards et suscite de nombreuses questions.

D’abord, rétablir un consentement des auteurs des œuvres utilisées à des fins d’entrainement va directement à l’encontre des dernières réformes intervenues en propriété intellectuelle. La volonté politique européenne de favoriser le développement de l’IA a justifié depuis plusieurs années la consécration d’une exception aux droits de propriété intellectuelle (au sens large) permettant la fouille de textes et de données, y compris à des fins commerciales, sauf opposition des titulaires de droit.

Ensuite, une identification précise des auteurs des œuvres qui ont permis d’aboutir à la génération des « œuvres artificielles » est difficile – si ce n’est impossible – à réaliser en pratique. Comment identifier précisément les œuvres source de l’inspiration de l’IA pour arriver au contenu généré ? Et lorsqu’il y plusieurs auteurs, cela ne serait-il pas source de difficultés de gestion des droits de chacun ?

La proposition entretient enfin un flou important quant à la protection ou non des résultats générés par l’IA par le droit d’auteur : « Lorsque l’œuvre est créée par une intelligence artificielle sans intervention humaine directe, les seuls titulaires des droits sont les auteurs ou ayants droit des œuvres qui ont permis de concevoir ladite œuvre artificielle». Indépendamment des droits que les auteurs détiennent sur leurs œuvres d’origine, cette proposition n’instaure-t-elle pas implicitement un droit de propriété sur les résultats générés, qui seraient dès lors protégeable en tant qu’« œuvre artificielle » ? Ne crée-t-elle pas incidemment un nouveau régime d’œuvre dérivée en contradiction avec le régime européen de protection des programmes d’ordinateurs du 23 avril 2009 ?

Autant de questions qui devraient être débattues, non seulement au plan national, mais aussi et surtout au niveau européen.

Source : Proposition de loi n°1630 du 12 septembre 2023 visant à encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur.