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La violation d’un contrat de licence n’est pas un acte de contrefaçon

07 mai 2021 | Derriennic Associés|

Cour d’appel de Paris, Chambre 5, Pôle 2, 19 mars 2021, RG n°19/17493

Dans un arrêt du 19 mars 2021, la Cour d’appel de Paris a retenu que le non-respect d’un contrat de licence de logiciel relevait de la seule responsabilité contractuelle. Cette décision, qui exclut toute action sur le fondement de la contrefaçon, est surprenante au vu de la jurisprudence et, notamment, celle de la CJUE.

Par un arrêt du 19 mars 2021, la Cour d’appel de Paris confirme le jugement du 21 septembre 2019 du Tribunal de Grande Instance de Paris qui avait conclu qu’une licence portant sur un logiciel libre est un contrat et que, en conséquence, les manquements à l’une de ses stipulations relèvent du droit de la responsabilité contractuelle.

Jusqu’à présent, la violation d’obligations contractuelles par un licencié ou un tiers autorisé semblait pouvoir être réprimée par l’application du régime de la contrefaçon. La Cour de cassation estimait que : « la société Folia est autorisée à exploiter la marque sous la condition expresse, exempte de toute ambiguïté, de respecter le graphisme de la marque telle que celle-ci a été déposée et que cet accord de coexistence doit recevoir une interprétation restrictive afin d’éviter tout risque de confusion entre les marques ; (…) qu’en ne respectant pas les accords contractuels auxquels elle était soumise, la société Folia a commis des actes de contrefaçon à l’égard de la société Morgan » (Cass. Com., 31 mars 2009, n° 07-17.665).

Cet arrêt s’inscrit dans le cadre de l’arrêt de la CJUE du 18 décembre 2019 qui conforte le principe de non-cumul des responsabilités contractuelles et extracontractuelles, tout en permettant de faire application des garanties offertes par la directive européenne en matière d’atteinte à un droit de propriété intellectuelle. La Cour de Luxembourg affirme dans sa décision que les États membres conservent la liberté de « fixer les modalités concrètes de protection des dits droits et de définir, notamment, la nature, contractuelle ou délictuelle, de l’action » (CJUE., 18 décembre 2019, aff. n° C-666/18).

En l’espèce, la société Entr’Ouvert a développé un logiciel destiné à l’authentification des internautes, qu’elle diffuse sous licence libre (licence GNU GPL v2). La société Orange a utilisé ce logiciel pour la réalisation du portail en ligne « Mon service public ». La première société estimait que l’utilisation du logiciel par Orange contrevenait aux termes de la licence libre. Cette violation du contrat de licence constituait, selon Entr’Ouvert, une atteinte à ses droits de propriété intellectuelle. Entr’Ouvert a ainsi assigné la société Orange le 29 avril 2011 devant le Tribunal de Grande Instance de Paris en contrefaçon de droit d’auteur.

Dans un jugement en date du 21 juin 2019, la juridiction de première instance a déclaré irrecevable l’action en contrefaçon initiée par Entr’Ouvert sur le fondement délictuel puisque, selon elle, les faits reprochés à la société Orange résultent de l’inexécution d‘obligations contractuelles de la licence. Pour le tribunal, « il apparaît ainsi que la société Entr’ouvert poursuit en réalité la réparation d’un dommage généré par l’inexécution par les sociétés défenderesses d’obligations résultant de la licence et non pas la violation d’une obligation extérieure au contrat de licence ».

La Cour d’appel devait donc décider si l’action en contrefaçon introduite par le propriétaire du logiciel était recevable ou si l’inexécution d’un contrat de licence ne pouvait relever que de la responsabilité contractuelle.

Par cet arrêt du 19 mars, la Cour d’appel de Paris rappelle que : « la CJUE ne met pas en cause le principe du non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle et la conséquence qui en découle de l’exclusion de la responsabilité délictuelle au profit de la responsabilité contractuelle dès lors que les parties sont liées par un contrat et qu’il est reproché la violation des obligations de celui-ci ».

La Cour d’appel s’attache principalement à la notion de fait générateur ; deux options sont alors possibles :

  • si le fait générateur résulte d’un acte de contrefaçon, le titulaire du droit devra alors invoquer le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle prévue à l’article L.335-3 du Code de la propriété intellectuelle ;
  • si le fait générateur résulte d’un manquement contractuel, le titulaire du droit devra alors invoquer le fondement de la responsabilité contractuelle en application du principe de non-cumul des responsabilités.

Pour la Cour d’appel, la société demanderesse poursuit en réalité la réparation d’un dommage généré par l’inexécution par Orange d’obligations résultant de la licence, et non pas la violation d’une obligation extérieure au contrat de licence. La Cour d’appel constate que le manquement invoqué, bien que constitutif d’un acte de contrefaçon, résulte avant tout d’un manquement contractuel et confirme ainsi la décision de première instance en penchant en faveur de la responsabilité contractuelle.

La sagesse veut cependant que dans de tels cas, il est plus sécurisant d’agir en responsabilité contractuelle.