CONTACT

Le code civil : filet de sécurité des commissions perdues…

02 mars 2020 | Derriennic Associés |

Au moyen de fondements civilistes, la chambre sociale de la Cour de cassation ouvre ici le droit, pour le salarié injustement licencié, à un rappel de commissions sur les dossiers traités par ce dernier mais non encore réglés à la date de son licenciement et ce, alors même que le contrat de travail s’opposait à leur règlement. 

Le contrat de travail d’un salarié prévoyait « qu’en cas de départ pour quelque cause que ce soit, le salarié n’aura plus aucun droit sur les dossiers (…) non réglés et aucune commission ne lui sera due à compter de la date de cessation du contrat ». Licencié, le salarié saisit le Conseil de prud’hommes. En cause d’appel, les magistrats confirment l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement mais déboutent l’intéressé de son rappel de commissions, rappelant à ce titre que la clause précitée s’opposait à ce que les dossiers clôturés postérieurement au licenciement fassent l’objet d’un règlement. Ce type de clause n’est pas sans rappeler les clauses dites de « bonne fin » aux termes desquelles le versement de la part variable est conditionné à l’encaissement par l’entreprise des sommes correspondantes (Cass. Soc. 30 nov. 2011, n°09-43183). L’arrêt est frappé de pourvoi par le salarié, lequel fait valoir d’une part que les modalités de versement d’une rémunération ne peuvent priver le salarié de celle-ci lorsque la prestation de travail correspondante a bien été exécutée avant la rupture. D’autre part et plus surprenant, le salarié se prévalait de l’article 1178 ancien du code civil aux termes duquel « la condition est réputée accomplie lorsque c’est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l’accomplissement ». Ce faisant, il soutenait que son employeur l’ayant licencié sans cause réelle et sérieuse ne pouvait, en conséquence, se prévaloir de la condition de présence afférente aux commissions, cette condition étant « tombée » du fait qu’il en ait empêché l’accomplissement. 

Accueillant ce moyen, la Cour de cassation censure les magistrats d’appel en relevant, au visa de l’article 1178 précité, que ces derniers n’ont pas tiré les conséquences légales qui s’imposaient alors qu’ils avaient constaté que « le salarié, éligible à ces commissions, avait été licencié sans cause réelle et sérieuse ». Autrement dit, du fait du licenciement, l’employeur avait empêché la condition (de présence) attachée aux commissions de se réaliser, de sorte qu’il en était redevable. La question se pose de savoir si cette décision n’intervient qu’en raison du caractère infondé du licenciement ou si tout licenciement, même fondé, pourrait justifier le rappel de commissions sur la base du texte civiliste. A notre sens, il y a lieu de considérer, pour deux raisons, que seul le licenciement injustifié caractériserait un empêchement de la condition. En premier lieu, le droit de licencier apparaît comme une prérogative légitime de tout employeur, de sorte que sa mise en œuvre ne saurait caractériser un empêchement volontaire de la réalisation d’une condition contractuelle. En second lieu, la Cour de cassation ne manque pas d’indiquer expressément que le salarié avait été licencié « sans cause réelle et sérieuse ». La solution n’en reste pas moins sévère en ce qu’elle revient à censurer une stipulation contractuelle au seul motif de l’absence de cause réelle et sérieuse.

L’apport de l’arrêt est triple. Il rappelle déjà que le droit civil s’applique incontestablement à la relation de travail. L’arrêt a également pour mérite de considérer valides les clauses conditionnant le versement des commissions au terme de l’opération commerciale qui les a fait naître et à la présence du salarié à cette période. Enfin, l’arrêt doit inciter les employeurs à la plus grande vigilance dès lors que le motif du licenciement avancé apparaît fragile : le licenciement invalidé par un juge pourrait ainsi faire resurgir le droit à commission de l’intéressé.