Dans un arrêt très remarqué et que nous avions également présenté en vidéo, la Cour de cassation se prononçait pour la première fois en faveur de la nullité d’un licenciement notifié au salarié en raison de sa critique des valeurs de l’entreprise, notamment lorsque celles-ci touchent aux évènements se déroulant hors cadre du travail.
En l’espèce, un salarié, engagé à l’origine comme consultant senior et qui occupait en dernier lieu les fonctions de directeur, a été licencié pour insuffisance professionnelle. L’entreprise se fondait à ce titre sur son management inadapté, une mésentente avec les équipes, mais aussi sur sa rigidité et son refus d’intégrer la valeur « fun and pro » de l’entreprise. Celle-ci, comme beaucoup de jeunes entreprises, véhiculait la culture du divertissement avec, la concernant, une incitation aux apéros et à divers évènements conduisant à de nombreux « excès et dérapages ».
Le salarié saisit le Conseil de prud’hommes pour demander la nullité de son licenciement, estimant que refuser une telle culture de l’alcool et des excès relèverait de sa liberté d’expression et d’opinion. Outre d’importantes indemnités, le salarié demandait également sa réintégration ! L’argument ne convainc pas les premiers juges ni la Cour d’appel de Paris, qui considèrent l’insuffisance professionnelle établie. Ils indiquent, précision importante, que pris dans leur ensemble, les différents griefs justifiaient l’incompétence.
La Cour d’appel, en particulier, estime qu’en reprochant au salarié de ne pas être « fun », c’est-à-dire de ne pas participer aux pots hebdomadaires et autres excès, l’employeur n’a fait que critiquer le comportement du salarié et non remettre en cause ses opinions personnelles. Il n’y a donc pas d’atteinte à la liberté d’expression, si bien que la demande de nullité ne pouvait aboutir. Aux termes de son arrêt du 9 novembre 2022, la Cour de cassation vient censurer cette motivation. Elle énonce d’abord que le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l’exercice par le salarié de sa liberté d’expression entraine à lui seul la nullité du licenciement. Peu importe donc les autres motifs qui seraient avancés. Dès lors qu’un seul motif illicite est avancé, celui-ci fait tomber le tout, de sorte que le licenciement encourt la nullité. Cette solution, dite de l’effet contaminant, n’est cependant pas nouvelle en jurisprudence puisque déjà appliquée à l’égard de licenciements reposant, notamment, sur une liberté fondamentale (Cass. soc., 3 févr. 2016, no 14-18.600) ou encore sur l’exercice d’une action en justice (Cass. soc., 21 nov. 2018, no 17-11.122).
Les conséquences d’un tel licenciement jugé nul peuvent être colossales, ce d’autant si le salarié sollicite sa réintégration. A défaut de la demander, un autre arrêt récent de la Cour de cassation permettrait d’alléger possiblement les conséquences financières de l’indemnisation du licenciement ainsi jugé nul. Dans un arrêt du 19 octobre 2022, la Cour de cassation vient en effet de juger que dans l’hypothèse où l’employeur le demande, le juge est tenu d’examiner si les autres motifs de licenciement invoqués pour justifier la rupture, autre que celui frappé de nullité, sont fondés ; de manière ainsi à moduler le montant de l’indemnité versée au salarié qui n’est pas réintégré.
C’est là l’un des apports, passé inaperçu, de l’ordonnance Macron no 2017-1387 du 22 septembre 2017 ayant introduit un nouvel article L.1235-2-1 au code du travail. Pour espérer, subsidiairement, contenir les conséquences financières d’une éventuelle nullité du licenciement, les employeurs ont désormais tout intérêt à invoquer cet article qui lie ainsi le juge dans l’appréciation du quantum du préjudice.
Il n’en demeure pas moins que ces arrêts doivent conduire à faire preuve d’une particulière vigilance quant à la rédaction de la lettre de licenciement : quand bien même celle-ci reposerait sur des motifs réels et sérieux, un mot de trop peut conduire à l’annulation du licenciement et à la réintégration du salarié. Tel est le cas lorsqu’on évoque des valeurs qui ne seraient pas QUE professionnelles. Une décision qui a de quoi dégriser plus d’un DRH.
Source : Cass. Soc., 9 nov. 2022, n°21-15.208 & Cass. Soc., 19 oct. 2022, n°21-15.533