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Quelques précisions bien utiles sur les règles de calcul des préjudices en cas de contentieux informatique

22 mai 2023 | Derriennic associés|

Un client avait conclu avec un éditeur un contrat portant sur la conception et l’acquisition de progiciels destinés à la gestion globale de sa production industrielle. Arguant de graves défaillances, ce client avait finalement mis un terme aux relations contractuelles le 6 janvier 2012.

L’éditeur l’avait par la suite assignée en paiement du solde de factures et le client avait obtenu en cause d’appel la désignation d’un expert judiciaire et avait formé une demande reconventionnelle en réparation de ses préjudices.

L’arrêt d’appel s’est logiquement prononcé sur le volet responsabilités (en se fondant sur la note de l’expert) et sur le volet préjudice, mais ce n’est que sur le volet préjudices que porte ledit arrêt de la Cour de cassation.

Les deux pourvois se sont croisés (et ont donné lieu à une jonction) si bien que la chronologie des moyens n’est pas parfaitement limpide.

En premier lieu, l’éditeur faisait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande en paiement de factures impayées (à hauteur de 64.345€) alors que :

  • Le contrat avait été exécuté à concurrence de 75% ;
  • Les modules implémentés avaient fournis leur utilité ;
  • Les prestations avaient perdu leur utilité du fait de la réorientation du projet à l’initiative du client (et avant cette réorientation, les prestations avaient apportées le service escompté) ;
  • L’expert n’avait pas déduit les sommes dues à l’éditeur de l’indemnité qu’il avait évaluée au bénéfice du client.

La Cour de cassation retient que (i) les prestations n’ont été exécutées qu’à 75% et que le prestataire a été totalement défaillante pour le surplus et que (ii) l’expert n’a pris en compte, pour le calcul des sommes à restituer au client, que les factures effectivement payées (et n’avait pas à prendre en compte les factures émises mais non réglées pour minorer le préjudice). Elle en conclut que c’est donc à juste titre que la Cour d’appel a écarté ses demandes indemnitaires. Autrement dit, les factures émises ne peuvent pas être invoquées pour minorer le préjudice du client, seules les factures payées peuvent être prises en compte.

En deuxième lieu, le client fait de son côté grief à l’arrêt d’appel d’avoir rejeté sa demande d’indemnisation à haute de 369.000 € au titre des mobilisations de personnel alors que l’existence de ce préjudice avait été reconnu par l’expert et par les juges (mais non chiffré).

La Cour de cassation estime qu’effectivement le juge ne peut refuser d’indemniser un préjudice dont il constate l’existence en son principe, en se fondent sur l’insuffisance des preuves qui lui sont fournies. Si l’Expert n’est pas parvenu à chiffre le préjudice sur la base des éléments fournis, il lui appartenait de recourir à une mesure d’instruction complémentaire.

En troisième lieu, le prestataire fait grief à l’arrêt de l’avoir condamné à 485.000€ au titre de la réparation du préjudice subi au motif que :

  • Les prestations d’un cabinet d’audit et de conseil mobilisées après l’arrêt du projet (pour repositionner le projet et choisir un nouvel ERP) ne constituaient pas un préjudice direct (soit il s’agissait de prestations autonomes sans lien avec l’échec du projet / soit elles ne constituaient pas un préjudice directement lié à de prétendues manquements du prestataire).

L’arrêt d’appel est retoqué sur ce point faute de base légale, car il avait considéré (sans véritable démonstration) qu’il y’avait bien un lieu de causalité, sans caractériser en quoi les prestations réalisées par le cabinet d’audit étaient la suite directe et immédiate de l’inexécution contractuelle reprochée à la société Cegid.

En quatrième lieu, le prestataire faisait grief à l’arrêt de l’avoir condamné à supporter les frais de maintenance versées par le client à d’autres prestataires pour maintenir un autre système, dont elle avait tiré bénéfice.

De la même manière, la Cour de cassation estime qu’il n’y a pas de lien direct entre ces sommes (dont il est difficile de considérer qu’elles constituent des « préjudices ») et une faute du prestataire.

Enfin, sur de l’achat de matériel informatique, la Cour de cassation estime qu’ils peuvent être réutilisables pour une autre solution ERP et ne constituent donc pas un préjudice indemnisable.

Les arrêts de la Cour de cassation fournissant des principes claires sur les règles de calcul des préjudices en matière de projets informatiques sont, malheureusement, trop rares. Aussi, est-il appréciable d’obtenir quelques certitudes sur certains sujets faisant débats (tel que, notamment, la question du préjudice de mobilisation de ressources internes).

Source : Cass com et financière du 29 mars 2023 n°21-21.432