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Tee-shirt « Jihad, je suis une bombe » : la condamnation pour apologie de crimes d’atteintes volontaires à la vie ne constitue pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression

05 octobre 2021 | Derriennic Associés|

Un enfant de trois ans, prénommé Jihad, se présente à l’école maternelle vêtu d’un tee-shirt portant les inscriptions « Jihad, né le 11 septembre » et « Je suis une bombe ».

L’oncle, ayant offert le tee-shirt, et la mère de l’enfant sont condamnés à des peines d’emprisonnement avec sursis et à des amendes, par les juridictions nationales françaises pour apologie de crime d’atteintes volontaires à la vie.

La Cour Européenne des Droits de l’Hommes (CEDH), saisie d’une requête, considère que cette condamnation ne constitue pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression dans la mesure où elle repose sur des motifs pertinents, suffisants et répondant à un besoin social impérieux.

L’oncle d’un enfant de trois ans, prénommé Jihad, offre à son neveu, un tee-shirt portant les mentions « Jihad, né le 11 septembre » sur le torse et « Je suis une bombe » dans le dos. L’enfant se présente à l’école maternelle vêtu, par sa mère, de l’habit litigieux.

La directrice de l’école fit un signalement à l’inspection académique et au Maire de la commune, lequel saisit le Procureur de la République d’une plainte dénonçant les faits. Une procédure pénale fut ouverte à l’encontre de l’homme à l’origine du cadeau et de la mère de l’enfant. Après avoir été relaxés par la juridiction de première instance, l’oncle fut condamné à deux mois d’emprisonnement avec sursis et 4.000 € d’amende, et la mère à un mois d’emprisonnement avec sursis et 2.000 € d’amende par la Cour d’appel de Nîmes.

Après épuisement des voies de recours, l’oncle de l’enfant saisit la Cour européenne d’une action en violation de la liberté d’expression telle que garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, invoquant notamment caractère humoristique des « publications » litigieuses.

La Cour rappelle, avec beaucoup de pédagogie, que les discours et formes d’expressions humoristiques ou satiriques font l’objet d’une protection particulièrement étendue en application de l’article 10 de la Convention, y compris lorsqu’ils sont transgressifs, mais n’échappent pas pour autant aux limites définies par ce même article.

La Cour rappelle encore que l’ingérence, pour être légitime, doit répondre à un « besoin social impérieux », l’examen de la Cour portant sur sa proportionnalité eu regard des objectifs poursuivis, ce qui implique de rechercher si les motifs adoptés par les autorités nationales sont pertinents et suffisants.

En l’espèce, le requérant a manifestement joué sur la polysémie du mot « bombe », tendant à décrire, dans un style familier propre au français courant, les caractéristiques physiques d’une personne séduisante, tout en les associant aux informations d’identité de son neveu. Tenant compte de l’intention humoristique du requérant, la Cour d’appel a donc justement considéré que les inscriptions litigieuses reflétaient une volonté délibérée de valoriser des actes criminels, en les présentant favorablement.

La Cour souligne que cette « plaisanterie » est intervenue dans le contexte des attentats terroristes ayant frappé la France, et notamment causé la mort de trois enfants dans une école. La circonstance que le requérant n’ait pas de liens avec une quelconque mouvance terroriste, ou n’ait pas souscrit à une idéologie terroriste, ne saurait davantage atténuer la portée du message litigieux.

La Cour considère que les juridictions nationales, ont correctement mis en balance les intérêts en présence et que les motifs retenus pour fonder la condamnation étaient pertinents et suffisants, et répondaient à un besoin social impérieux. En effet, le montant de l’amende prononcée était proportionné et l’emprisonnement ayant été assorti d’un sursis, elle conclut que la condamnation du requérant n’était pas disproportionnée.

L’ingérence était légitime et proportionnée et l’article 10 de la Convention n’a pas été violé.