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URSSAF & abus de droit : le contrôleur doit aller jusqu’au bout de la procédure, à peine de nullité du redressement

03 mars 2023 | Derriennic Associés|

Cass. Civ. 2ème 16 févr. 2023, n°21-11.600, n°21-18.322 et n°21-17.207

Aux termes de trois arrêts rendus le 16 février 2023, la Cour de cassation rappelle que lorsque l’URSSAF écarte un acte juridique, en raison de son caractère fictif ou frauduleux, celle-ci se place nécessairement sur le terrain de l’abus de droit dont elle doit, dès lors, respecter les règles de procédure, sous peine de nullité du contrôle.

Dans la première espèce, l’URSSAF avait considéré comme fictifs les éléments produits par l’entreprise quant aux procédures de licenciement pour justifier du bénéfice d’exonération sur une partie des indemnités. L’URSSAF n’avait cependant pas appliquer la pénalité de 20% prévue en cas d’abus de droit ni mis en œuvre la procédure faisant en principe intervenir le comité des abus de droit. Dans la deuxième espèce, l’URSSAF avait fondé son redressement sur l’habillage artificiel des ruptures de contrat en cause, considérant qu’il n’y avait pas de nette séparation entre les fonctions techniques des emplois occupés par les intéressés et leurs fonctions antérieures de mandataire social. Dans la dernière espèce, l’URSSAF redressait une société sur la partie du salaire réglée sous forme de droits à l’image considérés comme des revenus mobiliers (à l’égard de sportifs). La question qui se posait, similaire pour les trois espèces, consistait à savoir si l’URSSAF pouvait ou non s’affranchir de la procédure d’abus de droit dès lors qu’elle écarte tel ou tel élément fourni par le cotisant au moment de son contrôle sans pour autant appliquer la pénalité afférente. Argument supplémentaire de l’URSSAF : la procédure ne saurait, en tout état de cause, aboutir puisque le comité des abus de droit ne dispose plus d’aucun membre depuis 2015…

La procédure d’abus de droit a été créée en 2009 (CSS, art. L.243-7-2) à l’image de celle qui existe en matière fiscale. Elle permet à l’Administration de court-circuiter les fraudes en tout genre qui mettent en œuvre des opérations juridiques dans le seul et unique but d’échapper à l’impôt et, par suite, d’imposer les intéressés en fonction de leur situation réelle. L’article L.64 du Livre des procédures fiscales prévoit qu’en cas de désaccord, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l’avis du comité de l’abus de droit fiscal. Le même système a été pensé en matière de sécurité sociale, permettant à l’URSSAF d’écarter tel ou tel acte en le considérant inopposable au motif qu’il se rattacherait à une situation fictive ou frauduleuse et, par suite, d’appliquer une pénalité de 20% au cotisant. Or, alors qu’un arrêté avait fixé la liste des membres d’origine du comité de l’abus de droit pour trois ans, la liste n’a pas été reconduite et aucune nomination nouvelle n’est intervenue. Les cotisants se trouvent donc ne présence d’un comité…fantôme. Que faire alors, en pareille situation ?

Pour les deux premières espèces, les cours d’appel avaient déclaré la procédure suivie irrégulière et annulé les redressements, ce qui conduit l’URSSAF à former un pourvoi en cassation. Pour la dernière espèce, la procédure était jugée régulière, amenant au pourvoi de la société.

Adoptant une approche favorable aux cotisants, la Cour de cassation vient juger que l’URSSAF qui écarte les actes litigieux en raison de leur caractère fictif se place implicitement mais nécessairement sur le terrain de l’abus de droit dont il lui appartient, dès lors, de respecter la procédure. A défaut, le redressement encourt la nullité. A cet égard, la Cour suprême relève que l’URSSAF ne saurait se retrancher derrière l’absence de sanctions pour contester le recours à l’abus de droit et que la circonstance que les membres du comité des abus de droit n’avaient pas été nommés est inopérante et inopposable au cotisant. Il appartenait ainsi à l’URSSAF de renoncer à recourir à cette notion si les dispositions législatives, précisément adoptées pour assurer la protection des droits du cotisant, s’avéraient impossibles à observer et que ces garanties n’ont pas été respectées. Ce faisant, la deuxième chambre civile s’aligne sur la jurisprudence de la Chambre commerciale rendue en matière fiscale qui avait pu juger que « l’administration s’était nécessairement placée sur le terrain de l’abus de droit et que, faute par elle de s’être conformée à la procédure prévue par le texte visé au moyen, la procédure de redressement et celle subséquente de recouvrement étaient entachées d’irrégularité » (Cass. Com., 23 juin 2015, n°13-19.486). Une fois encore, la procédure reste jumelle de la liberté.