La question posée à la Cour était de savoir si Amazon avait fait un usage non autorisé du signe enregistré par Christian Louboutin en publiant les annonces de vendeurs tiers faisant un usage contrefaisant du signe litigieux.
L’affaire oppose Christian Louboutin, célèbre créateur de chaussures à la semelle rouge, à la non moins célèbre marketplace Amazon.
Le chausseur a déposé la couleur rouge appliquée à la semelle d’une chaussure comme marque Benelux depuis 2005 et marque de l’Union européenne depuis 2016.
Amazon publie et propose sur sa plateforme en ligne à la fois des annonces portant sur ses propres produits, qu’elle vend et expédie de son propre chef, ainsi que des annonces de vendeurs tiers. Amazon offre également aux vendeurs tiers des services complémentaires de stockage et d’expédition des produits mis en ligne sur son site.
Or, le chausseur s’est rendu compte que de nombreuses annonces de vendeurs tiers portant sur des chaussures à semelles rouges sont publiées sur la plateforme Amazon et, considérant que ces annonces ont été mises en ligne et ces chaussures commercialisées sans son consentement, Christian Louboutin a initié deux actions en contrefaçon au Luxembourg et en Belgique à l’encontre de la marketplace.
L’usage illicite résulte, selon lui, de l’affichage sur les sites Internet de vente en ligne d’Amazon d’annonces relatives à des produits portant un signe identique à la marque dont il est titulaire pour des produits identiques, mais également de la détention, de l’expédition et de la livraison de tels produits par Amazon.
Selon lui, « Amazon ne saurait, dès lors, être considérée comme un simple hébergeur de sites Internet ou un intermédiaire neutre, étant donné qu’elle prêterait assistance aux vendeurs tiers, notamment pour l’optimisation de la présentation de leurs offres. »
La question posée à la CJUE est donc de savoir si une marketplace fait usage d’un signe protégé, au sens de l’article 9 du Règlement UE n°2017/2001 du Parlement européen sur la marque de l’Union européenne, et est, en conséquence, responsable des usages contrefaisants résultant des annonces publiées par des vendeurs tiers sur ladite place de marché.
La Cour rappelle que l’usage d’un signe identique à une marque par un tiers implique que ce dernier fasse un usage du signe dans le cadre de sa propre communication commerciale. En effet, la simple création de conditions techniques permettant l’usage du signe par des vendeurs tiers ainsi que la perception d’une rémunération au titre de ce service rendu (c’est-à-dire le fait de monétiser la publication de telles annonces par les vendeurs tiers) ne signifie pas que le fournisseur de service fasse lui-même usage dudit signe, même s’il agit dans son propre intérêt économique. C’est le raisonnement qu’a, par le passé, suivi la Cour concernant eBay : seuls les vendeurs tiers de la place de marché faisaient un usage illicite de signes identiques ou similaires à des marques dans les offres qu’ils publiaient, dans la mesure où eBay, bien qu’hébergeant de telles annonces, n’utilisait pas ces signes dans le cadre de sa propre communication commerciale.
La Cour observe toutefois qu’Amazon n’est pas qu’une marketplace, mais vend également ses propres produits et propose des services additionnels de stockage et d’envoi.
Or, la Cour constate que cela peut avoir pour conséquence de brouiller les pistes pour les internautes, qui pourraient penser que les annonces pour les produits litigieux sont exploitées par la marketplace, et non par des vendeurs tiers. Ce faisant, la plateforme utilise le signe en question dans le cadre de sa propre communication commerciale.
L’appréciation de cette circonstance est laissée aux juridictions de renvoi ; la Cour précisant néanmoins que la société Amazon recourt à un mode de présentation uniforme des offres à la vente publiées sur son site Internet, affichant en même temps ses propres annonces et celles des vendeurs tiers et faisant apparaître son propre logo sur l’ensemble de ces annonces. En outre, la Cour relève qu’Amazon offre des services additionnels de stockage et l’expédition des produits de vendeurs tiers, ce qui rend encore plus difficile, pour l’utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif, de distinguer les annonces de tiers portant sur les produits Louboutin de celles commercialisées par Amazon en son nom et pour son propre compte.
Source : Arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 22 décembre 2022 – C-148/21 et C-184/21